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La taverne du mois : Ô Saint-Fred
Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés.
Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.
Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative et forte en ironie des plus prodigieux débits de boisson avec le café bar Ô Saint-Fred alias «le seul et unique bar de style taverne au coeur du centre-ville de Drummondville depuis 20 ans !» selon ce qu’indique sa page Facebook.
CLIENTÈLE
À notre arrivée, nous sommes accueillis par un homme de grandes circonstances. Voyant que nous nous faisons aller l’appareil photo devant le bar, il nous propose gentiment de nous aider. «Hey arrêtez vos selfies, ma vous tirer le portrait moi», lance-t-il, croyant à tort que nous tentions malhabilement de nous prendre en photo.
Bon joueur, je lui passe mon cellulaire et, tel un véritable blagueur, il fait semblant de partir avec. «…BEN NON, je suis pas NOIR ahahahahah», nous taquine-t-il avec une forme de racisme qu’on ne croyait plus en vigueur depuis la fin des années 1990.
Résultat de sa première photo : un selfie beaucoup trop près de sa face.
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Deux «blagues» en 52 secondes plus tard, il nous ordonne de nous placer comme du monde et, au lieu de nous enjoindre à dire «CHEESE», il nous lance une phrase en allemand contenant le mot «HITLER».
Assez d’extrême-droite pour ce soir, nous entrons finalement dans le vif de l’action. D’emblée, le Ô Saint-Fred semble être un bar d’habitués de la place, à voir les nombreuses interactions que plusieurs personnes assises à des places différentes ont ensemble. Le genre d’endroit où la barmaid sait ce que tu prends et où c’est normal d’entendre les mêmes personnes chanter les mêmes tounes à chaque vendredi au karaoké.
Une partie de la faune semble aussi avoir un goût bien prononcé pour l’industrie de la mode, à se fier aux quelques chandails Headrush, Ecko et Avirex qui envahissent notre champ de vision
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AMBIANCE
Sur la page Facebook, on nous promet «un établissement qui vous offre de bon 4 à 9 avec une ambiance décontractée» ainsi que «le meilleur karaoké en ville». Ouvert depuis 23 ans, le bar se vante aussi de ramener au goût du jour «le bon vieux style de la taverne où tout le monde vient rencontrer des bons chums pour prendre une grosse bière et avoir du fun!».
En quelques minutes à peine, on réalise que tout cet attirail marketing est basé sur des faits réels. Difficile d’avoir autre chose qu’une ambiance décontractée avec un gestionnaire de karaoké qui porte du Avirex. Et, surtout, difficile d’avoir une compétition au titre de meilleur karaoké en ville lorsqu’on a ce joyau de la chanson de chasse dans son répertoire.
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Parque > Parce que
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Le samedi, c’est soirée chansonnier, et on regrette quasiment de pas être venus ici demain, car le niveau a l’air solide.
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Malgré toute notre fine analyse de l’ambiance, impossible de battre cette critique bien avisée de Cid Highwinds. Laissons la parole au maître :
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Quant à lui, ce témoignage bien amer du mystérieux pyromane Lavrai Vérité, qui n’a aucun ami depuis son arrivée sur Facebook en mars 2018, ressemble davantage à un règlement de comptes qu’à un vrai avis.
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«Lol désolé mon gars ils avaient pu de tampons pour toi»
ALCOOL
Ici, pas de discrimination envers Labatt ou Molson : les deux kings de la brasserie canadienne cohabitent
Rarement a-t-on vu une photo aussi émouvante.
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Dans tous les cas, ce que vous allez prendre va ressembler à un bon vieux jus jaune de houblon flat.
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Et, si vous avez l’indécence de ne pas aimer ce goût élégant, vous pouvez faire comme ces deux bonnes chums de femmes qui se splittent non-stop des demi-bouteilles de Fuzion rouge.
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PRIX DÉRISOIRE
Avec une aussi belle affiche, difficile de résister à cette promotion alléchante.
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Rapidement éméchés en ce vendredi soir arrosé comme du monde, nous omettons délibérément de prendre le prix de nos breuvages en note. Heureusement, cette photo affichant les prix en vigueur lors de la Fête «national» du Québec 2014 nous permet de faire un calcul éclairé, en fonction de l’inflation moyenne des cinq dernières années (c’est-à-dire 1.13% en 2015, 1.43% en 2016, 1.6% en 2017, 2.27% en 2018 et 1.9% en 2019).
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Bref, on arrive – tenez-vous bien – à des prix relativement acceptables de 6,78$ avant 21 heures, 7,07$ en soirée et 8,43$ les soirs de karaoké.
SERVICE
Loin d’être méchant, arrogant et VIOLENT, comme le laissait croire un certain Mr. Vérité, le service nous apparaît bien avenant, correct rapide et de type courtois pressé. On aurait aimé avoir un peu plus de conversation avec la principale intéressée, mais de toute façon, on aurait probablement pas été en mesure de prendre de notes adéquates.
DÉCORATION/MOBILIER
Encore une fois, pas de discrimination : toutes les bières possibles à imaginer dans une taverne digne de ce nom ont leur propre enseigne lumineuse. Et, à notre grand désarroi, même celle-là…
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Poétiquement, y’a tu de quoi de plus beau qu’un néon de Black Label en-dessous d’une diffusion de combat de boxe?
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Peut-être un néon de Laurentide à côté d’un gros tuyau de sécheuse centrale?
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Ou une bouteille de O’Keefe grand format placée à l’horizontal dans le pit du bar?
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Ou, peut-être, une reproduction miniature du tableau indicateur du Centre Molson?
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Néanmoins, les produits Labatt ont un peu moins de shine fluorescent. Dommage, car cette excellente publicité laminée aurait mérité le plus gros spotlight de la place.
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Plusieurs agencements décoratifs étonnent au Saint-Fred. Admirez la poésie de ces douces rencontres :
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Eux, sont sur le bord de frencher.
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Signe supplémentaire qu’il ne fallait pas se laisser berner par l’accueil spectaculairement raciste que nous avons reçu, le bar Ô Saint-Fred déjoue nos attentes et nous témoigne d’un penchant pour les icônes internationales évoquant la diversité, la paix et, dans une perspective peut-être moins notoire, la sexualité déviante avec de jeunes femmes.
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Autre murale digne de mention : celle de Fred Caillou, qui nous fait finalement remarquer que le Fred canonisé qui a donné son nom au bar, c’est lui.
Décidément, ce bar se magasine un très fort pointage.
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Il y a même un banc d’église tout désigné pour prier le Saint-Fred.
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Pis quand vous êtes tannés de voir la face des gars qui jouent au pool, vous pouvez baisser le store.
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PROPRETÉ
Malgré les apparences, le Saint-Fred témoigne d’une certaine propreté. Ça sent le houblon et le windex mélangés ensemble, et c’est ben correct de même.
RAPPORT À LA TECHNOLOGIE
Le Saint-Fred est à la croisée des chemins en matière de technologie. Les vieilles télés cathodiques de 1991 y côtoient les écrans plasma dernier cri.
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Et les vieux ventilateurs de plafond poussiéreux sur le bord de crisser le camp y côtoient les appareils climatisés dernier cri.
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Bref, si on fait la moyenne, le bar vit à peu près dans l’année marquée sur ce téléphone public.
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TOILETTES
En allant vers le chemin du soulagement, nous arrivons dans ce qui semble être un corridor de débarras. En jetant un oeil vers le plafond, nous découvrons que l’équipe du bar est prête à tout moment à décorer la place pour célébrer la Saint-Fred.
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L’art houblonné poursuit sa belle diffusion dans cet espace interlope.
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C’est encore plus beau vu que c’est bosselé.
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Même avec beaucoup d’efforts, il serait difficile de dessiner de quoi de plus laid.
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Comparativement au dessin ignoble qu’on vient de voir, ceci est une oeuvre d’art.
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Quelques exemples de photo qui auraient plus de chances de gagner un 1er prix au World Press Photo que de chances que le dessin ignoble qu’on vient de voir soit beau.
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C’est encore plus beau vu que c’est bosselé.
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Pour la confidentialité, rien de mieux qu’un appel sur la bol.
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BOUFFE
Encore abasourdis par la laideur manifeste du dessin ignoble, nous sortons des toilettes avec l’envie de retourner boire au plus sacrant. Et c’est pour cette très bonne raison que nous oublions carrément de demander les options alimentaires à la serveuse. Même si on se doute bien que celles-ci devaient se résumer à chips, gommes et peanuts, alias les trois groupes alimentaires standards de la taverne, nous devons jouer franc-jeu et ne pas évaluer ce critère.
BILAN DE L’ÉVALUATION
Absolument ivres, nous prenons soin d’écrire sur une enveloppe le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués. Exceptionnellement, le critère «bouffe» est retiré du total final sur 100, car (on le rappelle) nous avons complètement oublié de manger.
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Bilan de l’évaluation : 68.5/90 (=76.1%)
BONUS : un directeur général qui s’appelle de même (+1)
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Une très bonne rime (+1)
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Ça commence à pu avoir de sens c’te soirée-là (+1)
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Oufff (+1)
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GREG (+1)
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Ça, c’est non (-1)
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L’ancien king du karaoké a été arrêté en janvier 2018 pour trafic de cocaïne (+1)
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Quatre mois avant, y’a aussi ce gars-l à qui a pogné sept et mois et demi. (+7.5)
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Mais pour la consommation à l’intérieur, y’a pas de problèmes (+1)
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Finalement non… mais vous êtes correct pour en acheter (-1)
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Bref, considérant que personne ne boit de café au café bar Ô Saint-Fred, on propose que l’établissement change de nom pour le cocaïne bar Ô Saint-Fred.
Note finale : 88,6%
Classement
Bar des chums : 92 %
Ô Saint-Fred : 88,6%
Bar de nos aïeux : 86,49%
Sel et Poivre et Bar Des Ormeaux : 83%
Bar Rocky : 81,45%
Brasserie Laurier : 80%
La Caserne 40 : 79%
Gaspé Broue et Funki Munki : 78 %
Bar Dickson et Bienvenu Bar Salon : 77 %
La Chic Régal : 76,5 %
Taverne La-Paz : 76 %
La Remise : 71%
Bar Le Gagnant : 70 %
Brasserie Québécoise 2006 : 66 %
Primetime : 65 %
Bar 99 : 61 %
Bruno Sport Bar : 60%
VV Taverna : 49 %
Idéation et/ou photos : Olivier Boisvert-Magnen, Youness Elhariri, Laura Bélanger et le gars d’extrême-droite devant le bar