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J’ai porté un t-shirt anti François Legault pendant une semaine

Une expérience polarisante à saveur de gaminet de farfadet.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Oh non, pas toi aussi!?! », s’exclame ma pauvre mère, catastrophée, lorsque je monte (elle vit au-dessus de chez moi) prendre un café avec mon t-shirt « Fuck Legault ».

Pour une vingtaine de dollars sur le site australien RedBubble, je me suis commandé ce gaminet fétiche des complotistes plus radicaux pour mener une petite expérience sociologique : le porter une semaine pour voir les réactions qu’il suscite.

À l’heure où le premier ministre François Legault jouit d’une popularité stratosphérique et où le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime talonne de près les solidaires et les péquistes, le timing était idéal pour tâter un peu la polarisation ambiante en déambulant avec un slogan aussi provocateur.

À voir la syncope de ma mère, je me suis dit que la semaine serait longue. « Tu vas pas mettre ça pour sortir, hein?! C’est pas fin, moi je l’aime, Legault! », lance ma mère, à la défense de son premier ministre.

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Je n’ai rien contre François Legault non plus, on est même devenus récemment buddies lui et moi. Je lui reproche quand même de ne pas encore avoir rouvert les karaokés et d’obliger mes enfants à porter un masque en classe, mais bon, j’imagine qu’il fait son possible dans sa gestion de la crise.

J’amorce donc ma semaine au magasin de plein air La Cordée, où je couraille des raquettes pour la fête de mon père. Mon t-shirt bien en évidence, je deal l’achat de semelles à crampons avec une commis. En sortant, j’entends des chuchotements derrière moi à la caisse.

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Je me dirige à Longueuil, où je rencontre l’humoriste Sylvain Larocque, en marge d’un reportage sur les vedettes qui se lancent en politique. Il fume une clope relax dans un parc à mon arrivée, en ventilant la mort soudaine et récente de son père. « Il n’est pas décédé de la COVID, hein? », que je lui demande, inquiet, en refermant subtilement mon coat de jeans pour camoufler mon t-shirt.

Je finis la journée au bureau, où mes collègues se formalisent peu de mon t-shirt. Ils et elles doivent se dire que ça tombe dans le sens, puisque j’ai toujours farouchement résisté à l’absurde consigne sanitaire de porter un masque pour abattre les 20 pieds entre mon bureau et la salle de bain. LIBARRRTÉ!

Mardi. Je prends la route de Saint-Cléophas-de-Brandon, dans Lanaudière, où je rencontre une dame qui organise une vente de bancs d’église pour un reportage. Mon t-shirt passe clairement dans le beurre. J’écris plus tard à l’organisatrice de cette vente inusitée pour savoir ce qu’elle a pensé en me voyant avec mon chandail. « Lolll j’ai jamais remarqué! », lance-t-elle.

Je lis pour la première fois la désapprobation, le mépris et même la pitié dans le regard des gens qui croisent mon chemin sur le trottoir.

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Bon, pas super révélateur de grand-chose à date, cette expérience. Une chance que la persévérance est mon middle name.

Il y a un peu d’action en me rendant plus tard chez le barbier sur la rue Masson près de chez moi. Je lis pour la première fois la désapprobation, le mépris et même la pitié dans le regard des gens qui croisent mon chemin sur le trottoir. Personne encore ne semble solidaire à ma cause.

Au salon, le coiffeur me jase de tout et de rien : l’émission Squid Game, les plans du long week-end et – inévitablement – la COVID. « Toi, t’es pas vacciné j’imagine, avec ton t-shirt », lance-t-il, sans jugement. Je lui explique alors la patente, ce qui ouvre la conversation sur sa propre confiance envers le gouvernement, qui s’est effritée après la première vague.

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« Ça allait au début, mais il est tellement allé loin avec ses mesures qu’il s’est retrouvé dans une position où il ne pouvait plus reculer », plaide le barbier au sujet notamment de l’imposition du couvre-feu, encore échaudé par la longue fermeture des salons de coiffure, exagérée à ses yeux.

Mercredi. Ma fille de neuf ans écarquille les yeux en voyant mon t-shirt pendant qu’elle mange ses Pop-Tarts.

« Pourquoi tu mets ça, papa?!?

– Parce que papa est un peu GONZOOOOOOO! »

Je lui épargne la honte d’aller la reconduire à l’école.

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J’ai rendez-vous pour une prise de sang en matinée dans un CHSLD du quartier Saint-Michel. L’infirmière ne bronche pas d’un iota à la vue de mon t-shirt. J’espérais tomber sur l’un.e des 20 000 travailleurs et travailleuses antivax du réseau de la santé et des services sociaux.

En après-midi, je me rends sur le plateau de l’émission On va se le dire. Un des segments de l’émission est consacré aux complotistes, avec le journaliste spécialisé de La Presse Tristan Péloquin.

L’animateur Sébastien Diaz me passe le puck pour évoquer mon expérience, m’invitant à flasher mon t-shirt à l’écran quelques secondes. Sur la page Facebook de l’émission, des gens approuvent mon choix vestimentaire.

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Déambulation polarisante

Jeudi. La température est printanière, bon prétexte pour traverser la ville à pied et rendre à cette expérience jusqu’ici un peu bof ses lettres de noblesse.

Ça marche. Sur le trottoir, je vois les gens me dévisager derrière mes verres fumés. Au parc Pélican, un homme en train de prendre un bain de soleil sur un banc avec son chien me suit du regard un long moment. Je le salue. « Fuck Legault! Ben d’accord, c’est un nazi pire qu’Hitler! », me lance-t-il d’un trait, en s’approchant de moi avec son imposant chien.

Il parle ensuite de Bill Gates, dont l’arrestation est imminente, comme celle de François Legault, qui s’octroie en vérité un salaire de 20 millions de dollars par année dans notre dos pour exécuter «le plan».

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D’un ton complice, il débite toutes sortes d’affaires au sujet de la COVID, le fait qu’elle n’existe pas, qu’elle est planifiée depuis 1952 dans le but d’éradiquer la classe moyenne de la planète. L’idée derrière ça : garder les pauvres au service des riches. « Moi, je l’ai eue, leur COVID, mais c’était un rhume. Bizarre que la grippe soit disparue pendant un an… », ironise-t-il.

Il parle ensuite de Bill Gates, dont l’arrestation est imminente, comme celle de François Legault, qui s’octroie en vérité un salaire de 20 millions de dollars par année dans notre dos pour exécuter « le plan ».

Le gars marche avec moi dans le parc, l’air content d’avoir trouvé quelqu’un à qui vendre ses salades. « Je suis low profile avec ça en général, mais j’ai vu ton t-shirt… », souligne le grand gaillard, qui dit avoir perdu toute confiance envers les médias, payés par le gouvernement pour booster le taux de popularité de François Legault.

Il s’étonne de ma surprise générale, l’air de me trouver mou dans mon militantisme pour quelqu’un qui trimballe un t-shirt « Fuck Legault ». « Coudonc, tu fais pas tes recherches sur Internet! », lance-t-il, agacé. Ça ne s’invente pas.

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Je l’abandonne devant le IGA, où je simule des courses à faire au moment où il m’explique avoir laissé sa blonde parce qu’elle prenait l’information de TVA pour du cash. « C’est les pires menteurs, faque on n’était pas compatibles », tranche-t-il sans appel.

Dans l’entrée du supermarché où j’écris ma rencontre avec le gars pour ne pas oublier, tout le monde me dévisage en se mettant du désinfectant.

un gars de la construction me regarde avec des couteaux dans les yeux pendant qu’un troupeau d’élèves masqués du secondaire a l’air de me trouver immature pour mon âge.

Sur l’avenue Mont-Royal, un gars de la construction me regarde avec des couteaux dans les yeux pendant qu’un troupeau d’élèves masqués du secondaire a l’air de me trouver immature pour mon âge. Gênant.

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En face du A&W, un itinérant en train de quêter me fait un gros thumb up réconfortant. « Yeah man, fuck Legault! », rugit-il.

Un peu plus loin, une dame en fauteuil roulant électrique me croise en hochant la tête, l’air dépité. Je me sens comme de la marde. Les trottoirs sont achalandés côté soleil et les faces de dégoût se succèdent à mon passage. Un jeune homme masqué et baraqué me frôle de très près. Si je ne me tassais pas, il m’aurait volontairement plaqué, je pense. Un autre rit en secouant la tête, découragé.

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À la succursale SQDC, j’essaye d’entrer sans masque en invoquant une condition médicale. L’agent Garda devant la porte semble d’abord décontenancé, puis voit mon t-shirt en me toisant de la tête aux pieds.

« Avez-vous un papier du médecin? », demande-t-il poliment, en bloquant l’entrée de tout son corps. « Non, mais c’est contraire à la Charte des droits de me demander ça », que je plaide, en servant des arguments que je lis chez les complotistes depuis près de deux ans. Le gardien demeure très poli, mais ne bronche pas. « Désolé monsieur, ça prend un masque. »

Pendant que je griffonne des notes sur cette anecdote un peu plus loin sur le trottoir, une dame me fait un thumb up complice, accompagné d’un clin d’œil. Ça change des visages dégoûtés que je croise sans arrêt depuis le début de cette longue balade jusqu’au bureau d’URBANIA dans Griffintown.

Au restaurant Le Pontiac du bon Danny St-Pierre, je demande à la serveuse si je peux profiter de la terrasse sans le masque et le passeport vaccinal. « Non, ça prend les deux », tranche-t-elle, l’air dans le jus.

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Rue Saint-Denis, une femme vêtue en léopard remonte sur son visage son masque (tout aussi léopard) en me voyant approcher en sa direction. J’entre dans un café, sans mon masque. Sans farce, le sentiment est presque jouissif. L’établissement est désert, sauf pour la serveuse masquée.

« Faut mettre un masque, monsieur?

– Mais je suis seul.

– Pas grave, c’est la règle. »

Je coopère, en me sentant mal d’embêter des gens qui travaillent fort au salaire minimum.

Je constate que les gens sont légion à me dévisager, mais se gardent une gêne de m’insulter, probablement parce que j’ai le physique de Russell Crowe dans Gladiator.

Mais bon, parfois, recevoir une solide face de mépris comme si j’étais un étron fait plus mal qu’une insulte.

Pas de doute, Steeve L’Artiss Charland et sa gang de Farfadaas sont faits forts pour le porter non anthropologiquement. Le prix à payer pour se battre pour la liberté, I guess.

Parfois, recevoir une solide face de mépris comme si j’étais un étron fait plus mal qu’une insulte.

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Au carré Saint-Louis, même le syndicat des profs en pleine manifestation me dévisage. C’mon guys! On est du même bord!

Rue Sainte-Catherine, j’entre démasqué au guichet. On y prend goût. Mon t-shirt est en train de déteindre sur moi, je pense. Il n’y a personne faut dire, mais je me sens mal quand une dame âgée entre et me regarde un peu horrifiée, comme si j’étais un pédophile dans une cour d’école.

« Ah, pas un chandail “Fuck Legault”! », s’exclame assez fort pour que je l’entende un homme sur la place des Festivals.

Vendredi. Il fait aussi beau que la veille et je suis lendemain de veille. Je me contente d’un tour de vélo en portant une dernière fois mon t-shirt (lavé chaque jour, je dois dire). Sur le retour, je croise mon ami Pat, qui s’exclame d’un ton désapprobateur : « Ouf, vraiment pas sûr, ton “Fuck Legault”! »

La morale de cette histoire : s’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, nul doute que je me suis senti jugé en crisse cette semaine avec mon t-shirt.

Je le vends 10 $, si jamais.

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