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Pourquoi tout le monde adore Squid Game

Le succès monstre, décortiqué.

Par
Benoît Lelièvre
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Vous remarquez qu’il n’y a pas de point d’interrogation à la fin du titre de cet article. Ce n’est pas une question : tout le monde trippe sur Squid Game.

Tout le monde.

En tout cas… vraiment beaucoup de monde. The Hustle rapportait cette semaine que la série coréenne, sur Netflix depuis le 17 septembre, est en voie de terminer ses 28 premiers jours de diffusion avec plus de 82 000 000 de visionnements, qu’il y a une demande d’écoute 102,9 fois plus élevée que la moyenne et que le mot-clic #squidgame sur TikTok compte déjà plus de 27 milliards de visionnements (pas millions, MILLIARDS). Bref, c’est tellement populaire que d’ici 48 à 72 h, la série devrait produire sa propre contre-culture de monde qui se trouve cool de ne pas aimer ça.

Pourquoi Squid Game est-elle devenue un succès monstre aussi rapidement? Par quelle sorcellerie garde-t-elle autant d’âmes en mode post-confinement devant leur écran? Je suis sauté sur le train comme Rudy Caya en 1990 afin de mieux comprendre le phénomène.

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Ça mange quoi en hiver, une Squid Game?

C’est un drôle de concept. Un mélange de déjà vu et de oh-mon-Dieu-j’peux-pas-croire-que-je-viens-de-regarder-ça.

C’est l’histoire d’exactement 456 personnes qui sont dans le trou financièrement et qui acceptent une invitation mystérieuse à jouer à une série de jeux pour enfants. Elles réussissent? Elles deviennent riches. Elles échouent? Elles sont violemment exécutées. Là-dedans se trouve Gi-hun, accro au jeu et père d’une petite fille de 10 ans perpétuellement en fuite de ses créanciers.

L’idée est vieille comme le monde. Un personnage incapable de gérer ses pulsions fait un pacte avec le diable non pas pour apprendre à se contrôler, mais pour céder aux dites pulsions pour le restant de sa vie sans que ça lui cause problème. Ce qui différencie Squid Game de la panoplie de romans, de films et de séries vaguement inspirés par Faust de Goethe, ce sont les conséquences de ce pacte et comment les personnages y réagissent.

L’idée est vieille comme le monde. Un personnage incapable de gérer ses pulsions fait un pacte avec le diable non pas pour apprendre à se contrôler, mais pour céder aux dites pulsions pour le restant de sa vie sans que ça lui cause problème.

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La décision facile pour Hwang Dong-huyk aurait été de choisir un personnage principal écrasé par une dette d’études ou quelconque jeune personne vertueuse qui décide de se porter garante des erreurs d’un.e ami.e ou d’un membre de sa famille (comme Katniss dans Hunger Games), mais ce n’est pas le cas. Gi-hun, comme plusieurs des participant.e.s à cette infernale compétition, est défini par son rapport à l’argent.

Oui, il est traîné contre son gré dans cette célébration de la brutalité, mais il veut gagner. Il voit cette entrée d’argent comme la solution à tous ses problèmes. Il n’est pas noble. Il n’est pas fort ou intelligent. Il est comme nous et ça, c’est intéressant.

Pourquoi alors tout le monde trippe là-dessus?

D’habitude, une série fait parler d’elle pour une de ces deux raisons : 1) elle est divertissante ou 2) elle raconte quelque chose de profond à propos du monde dans lequel on vit. Squid Game est une série spéciale parce qu’elle répond à ces deux critères.

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Tout d’abord, elle donne une nouvelle vie à plein de concepts ayant déjà été populaires par le passé. Par exemple, celui du film Battle Royale, où une classe d’élèves kidnappée par l’armée doit s’affronter dans un combat à mort jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un.e seul.e survivant.e. Le premier épisode, Red Light, Green Light, fait également écho au légendaire roman de Stephen King The Long Walk, où de jeunes marcheurs sont fusillés dès qu’ils s’arrêtent ou s’écroulent de fatigue.

Paraîtrait aussi qu’il y a tout une couche de référents à une série de mangas, qui doit encore plus enrichir l’expérience pour ceux et celles qui s’y connaissent.

Non seulement il y a quelque chose d’extrêmement déstabilisant dans toutes ces situations de vie ou de mort vécues dans des décors colorés évoquant l’innocence et la candeur des tout-petits, mais ces jeux renforcent l’idée que c’est en apparence facile de gagner et de repartir riche.

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Personnellement, ça m’énerve beaucoup moins de voir une série utiliser de vieux concepts à une nouvelle sauce que d’avoir à me farcir un énième remake d’une propriété intellectuelle dont je ne m’ennuyais pas du tout. Squid Game se sert aussi très habilement des jeux pour enfants (Red Light, Green Light, c’est un peu la version coréenne de Jean-dit) afin de complexifier le rapport aux personnages. Non seulement il y a quelque chose d’extrêmement déstabilisant dans toutes ces situations de vie ou de mort vécues dans des décors colorés évoquant l’innocence et la candeur des tout-petits, mais ces jeux renforcent l’idée que c’est en apparence facile de gagner et de repartir riche.

Ça, tous les personnages y croient et même nous, impuissant public, on y croit aussi un peu. L’idée que ce n’est pas si difficile que ça de gagner tous ces millions se fraie un chemin dans notre esprit. Les personnages de Squid Game ne sont peut-être pas mémorables ou même attachants, mais on est intimement lié à leur destin parce que c’est trop facile de juger leur situation.

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Le dieu dollar

Squid Game est plus qu’une série divertissante. Elle a quelque chose à dire sur notre époque : l’argent, ça fait disparaître les humains. Littéralement, lorsqu’ils sont endettés, et figurativement, lorsqu’on fait planer le spectre d’un gain monétaire important. Ils deviennent obsédés, leur personnalité et leurs priorités changent, ils deviennent prêts à risquer ce qu’ils ont pour quelque chose qu’ils n’auront peut-être pas.

On a tou.te.s été témoins d’une chicane de famille à cause d’un héritage. On a tou.te.s magiquement perdu un.e ami.e après lui avoir prêté de l’argent.

Bien sûr, on est pas mal tou.te.s au courant de ça individuellement. On a tou.te.s été témoins d’une chicane de famille à cause d’un héritage. On a tou.te.s magiquement perdu un.e ami.e après lui avoir prêté de l’argent. La force de Squid Game, c’est la férocité de sa métaphore. La série met ses protagonistes dans une situation sans aucune équivoque. Elle les enlève de leur milieu et les met face à l’appât du gain… et ils et elles réagissent pas mal tous de la même façon. Les personnages renoncent tous à leur vie imparfaite pour l’appât du gain.

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Peut-être que ça vous gosse que tout le monde parle de Squid Game présentement, mais je vous la conseille quand même. C’est un plaisir viscéral propice à créer des discussions autour d’une bière avec vos ami.e.s ou autour de la machine à café au bureau.