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« Velma » est un fiasco de sexualisation adolescente et de méchanceté gratuite
Oubliez tout ce que vous pensiez connaître du dessin animé Scooby-Doo, y compris l’emblématique chien parlant. Depuis la sortie de la série Velma sur HBO Max, jeudi dernier, tous les projecteurs ne sont plus braqués que sur la détective brune collectionneuse de cols roulés oranges : Velma Dinkley.
Et tant qu’à y être, oubliez également ce que vous connaissez sur ce personnage — à part peut-être son béguin officiel pour Daphné — car la Velma réimaginée par l’actrice et productrice Mindy Kaling (The Office, The Mindy Project) fait complètement table rase du passé.
Dans cette version 3.0, elle est une adolescente américano-indienne bilingue en sarcasme qui traite sa belle-mère de basic bitch et éclate de rire lorsque Shaggy (ou « Norville » dans la série) lui déclare sa flamme. C’est aussi une âme rongée par la disparition mystérieuse de sa mère qui, lorsqu’une série de meurtres dans son école la désigne comme coupable idéale, se retrouve forcée d’enquêter pour prouver son innocence.
depuis son lancement, Velma ne récolte que critiques cinglantes et notations abyssales — 1,6/10 SUR IMDB, pour ne citer qu’un exemple.
Sur le papier, la formule paraît donc gagnante : de la modernité, de l’humour, de l’émotion et du mystère. Que demande le peuple? Pourtant, depuis son lancement, Velma ne récolte que critiques cinglantes et notations abyssales — 1,6/10 sur IMDB, pour ne citer qu’un exemple. Et rien que le premier épisode nous permet d’en comprendre les raisons.
Scooby-Doo version Mean Girls
De la version originale, les personnages de Scooby-Doo ne gardent en similarité que leurs prénoms et couleurs de cheveux. Du reste, Daphné Blake est une Blair Waldorf dealeuse de drogues à ses heures perdues. Fred Jones est un richissime himbo (bimbo, mais version homme) atteint d’une maladie l’empêchant de se souvenir des personnes laides. Norville Rogers est un critique culinaire sur Twitch qui, une réplique sur deux, rappelle que la drogue, c’est mauvais.
Si certains de ces changements peuvent déstabiliser, d’autres apportent une rafraîchissante diversité jusqu’alors absente de la franchise. Ainsi, Daphné est non seulement asiatique, mais aussi la fille adoptive d’un couple de détectives lesbiennes. Norville est pour sa part afro-américain.
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« Le Scooby-Doo original, dont nous sommes tellement fans, est aussi vraiment enraciné dans une autre époque et reflète le paysage culturel des années 60 et 70 et ce que les gens mettaient traditionnellement à la télévision, explique le créateur de la série, Charlie Grandy, dans le magazine Variety. […] Si nous pouvions faire en sorte que les personnages soient n’importe quoi, pourquoi ne pas faire quelque chose de nouveau? »
Hélas, suite à ce grand changement, chaque personnage semble être devenu purement détestable, à commencer par Velma. De façon évidente, les scénaristes ont tenté de faire d’elle une Daria sans toutefois trouver l’ingrédient qui rendait cette héroïne de la fin des années 90 juste assez cynique pour être aimée. Dénuée de cet équilibre, Velma n’est donc plus qu’une adolescente insupportable qui se moque ouvertement de tout, y compris de la taille de pénis de Fred, et se sent supérieure aux personnes dont elle partage l’oxygène.
Daphné n’est pas mieux. Belle et hautaine, elle est le stéréotype de la fille populaire du secondaire qui refuse d’être vue avec plus bas que son statut. Norville, sous sa carapace de bon gars, tente de manipuler émotionnellement Velma pour avoir une date avec elle. Et tout ceci trahit l’essence même du dessin animé de base qui, tel que le relève la blogueuse Tumblr spacephrasing, est avant tout « une question d’amitié et de travail d’équipe ». Ne reste finalement plus que Fred dont le rôle de clown accidentel parvient ironiquement à gagner toute notre affection.
Sex sells
Deux cafards copulant vigoureusement en gros plan. Des fesses féminines dénudées sous un jet d’eau chaude. Quelques bulles de savon placées stratégiquement au niveau de la poitrine et de l’entrejambe. Daphné et son amie Krista se battant nues au sol après un débat houleux sur le fait d’être ou non perverses. Tout ceci se passe dans les deux premières minutes de Velma.
Ce n’est pas la première fois qu’un dessin animé pour adultes contient de la nudité ou parle ouvertement de sexualité. Bojack Horseman, ce chef-d’œuvre dessin animé suivant un acteur quinquagénaire privé de rédemption, en est la preuve. Mais avec Velma, nous ne jouons pas dans la même cour, car ici, les personnages n’ont pas plus de quinze ans.
Être au fait de leurs âges met glacialement en perspective certaines choses. Parmi elles, le fait que nous soyons essentiellement en train de regarder des jeunes filles mineures sous la douche et que les blagues récurrentes autour de la virilité de Fred sexualisent le corps d’un enfant. Et que dire de la réplique du père de Velma qui, rictus aux lèvres, dit vouloir « chevaucher » Fred?
Les limites du méta
Oui, la série cible les adultes, comme l’indique sa restriction d’âge, et oui, lors de la longue scène dévêtue de l’épisode pilote, les protagonistes discutent aussi en parallèle de la nudité omniprésente dans les séries modernes, comme si Velma en faisait ici une parodie. « Le sexe fait vendre », pour citer les sages paroles de Krista.
Velma s’appuie d’ailleurs beaucoup sur ces moments un peu méta durant lesquels le quatrième mur est brisé et les rouages scénaristiques, dévoilés au grand jour. « Si c’était une série, ce serait super hot que vous vous embrassiez », prononce ainsi Krista au milieu d’une virulente dispute entre Daphné et Velma, préfigurant leur future romance. « Dans les films pour ados, quand une fille veut de l’argent, un gars vend un objet puis fait du chantage [à la fille] pour qu’elle sorte avec lui », pense également à voix haute Norville et, surprise! Ce sera sa trame pour le restant de l’épisode.
Si l’objectif de la série est d’adresser un clin d’œil de connivence au public, le résultat, lui, tombe affreusement plat. Car se moquer à voix haute de la nudité comme stratagème de rétention récurrent dans les séries ne change rien au fait que Velma s’y conforme malgré tout, qui plus est en utilisant des corps d’adolescent.e.s. Quel était donc le rôle de cette remarque moqueuse? Une simple présentation de la scène ou bien une excuse face à ce qu’elle représente?
Les dialogues en mots clés ressemblent à ce que régurgiterait l’intelligence artificielle ChatGPT si on lui donnait « pop culture » et « débats Twitter » comme directives.
De manière générale, la connivence n’est vraiment pas le fort de Velma. Les dialogues en mots clés ressemblent à ce que régurgiterait l’intelligence artificielle ChatGPT si on lui donnait « culture pop » et « débats Twitter » comme directives. Le résultat est un incessant appel du pied à la génération Z qui fatigue l’esprit et donne une lourdeur d’adulte aux échanges. J’aurais presque appelé cette série « woke » si je n’avais pas ce mot en horreur.
Bien parler de l’adolescence
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une série pour adultes s’attaque à des problématiques adolescentes. Euphoria en est l’exemple absolu, sans parler du succès espagnol Elite ou encore de la référence en teen trash : la série britannique Skins. Tous abordent une réalité qui, qu’on le veuille ou non, est réelle : les adolescent.e.s ne sont pas des enfants de choeur et ont le plus souvent un appétit sexuel vorace.
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Pourquoi est-ce donc si choquant que ce thème soit abordé dans Velma? Les réponses peuvent varier. La plus prédominante serait le médium de la série qui est celui du dessin animé, soit un style habituellement réservé pour les enfants. Ça ne fonctionne donc que rarement d’y mélanger de la sexualité – demandez aux créateurs du dessin animé Big Mouth ou au dessinateur français Bastien Vivès, tous deux accusés de produire de l’art pédopornographique.
Puis il y a un précédent : Scooby-Doo est un dessin animé pour adolescent.e.s et tant qu’un avant et un après ne seront pas établis, cette vision juvénile restera fraîche dans nos esprits. Même Winx, en livrant une version plus adulte de son univers féérique avec la série Netflix Fate : The Winx Saga, a dû opter pour une adaptation humaine avec des acteurs.rices adultes. Lorsque les enfants grandissent (car ils finissent toujours par grandir), il est donc nécessaire de l’annoncer avec une coupure symbolique.
comment faire du contenu mettant en scène la vraie vie des adolescent.e.s?
Mais tout ceci pose une problématique intéressante qui remonterait même aux débats que la première saison d’Euphoria a occasionné : comment faire du contenu mettant en scène la vraie vie des adolescent.e.s sans pour autant tomber dans la sexualisation ou le cliché? À défaut de ne pas avoir encore trouvé de réponse fixe, procédons donc par élimination : en ne les représentant pas comme dans Velma.