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À moins de vivre dans une grotte elle-même dans une grotte, vous avez assurément entendu parler de la saison 2 de la série Euphoria, dont la diffusion s’est amorcée le 9 janvier sur HBO. Vous avez peut-être d’ailleurs bingewatché la saison 1 dans les derniers mois et étiez impatient.e de renouer avec les personnages de Rue et de Jules.
Mais comment expliquer la popularité singulière de ce qui constitue pourtant une énième « série pour ados »? Peut-être parce que, pour une fois, les ados ne sont pas dépeint.e.s de façon caricaturale. Et peut-être aussi parce qu’une telle offre n’existe pas au Québec. On a demandé à des fans leur avis.
Des stéréotypes mis aux oubliettes
Euphoria aborde des thèmes souvent prisés des séries télévisées qui mettent en scène des adolescents : la drogue, la découverte de son identité, la vie de party. Mais on y aborde aussi des thèmes peu exploités à la télévision, comme la transidentité. Et il semble que l’artiste qui a adapté la série israélienne aux États-Unis, Sam Levinson, se soit fait un devoir de délaisser les stéréotypes trop souvent vus concernant les adolescent.e.s.
«Ça reflète bien où on devrait être rendu en termes d’ouverture d’esprit à la télévision en 2022.»
« C’est rare, une série où on voit les mauvais côtés de l’adolescence montrés crûment, sans tabous », se réjouit Yasmine Zaki, étudiante en télévision et grande fan de la série. « Ça reflète bien où on devrait être rendu en termes d’ouverture d’esprit à la télévision en 2022. ».
L’étudiant en communication Nicolas Poulin abonde dans le même sens : « Il y a quelque chose dans cette série qui vient directement nous parler à nous, les jeunes. Les personnages sont des jeunes qui ont des réflexes de jeunes, c’est crédible. »
Contrairement à ce que la télévision traditionnelle peut laisser croire, la vie des ados ne se résume pas à sortir un joint déjà roulé de sa poche à tout bout de champ, à avoir de premières expériences sexuelles décevantes, à parler avec une syntaxe toute croche ou à devenir fugueuse. En délaissant ces caricatures, Euphoria devient rafraîchissante.
Place à la diversité
Un aspect important de la série est son exploration de la diversité sexuelle et de genre, qui a réjoui plusieurs fans. L’un des personnages principaux, Jules Vaughn, est une femme trans interprétée par l’actrice trans Hunter Schafer. Rappelons que des interprètes cisgenres ont souvent été appelé.e.s à jouer des personnages trans à l’écran. Pensons à Eddie Redmayne dans The Danish Girl ou à Jared Leto dans Dallas Buyers Club. À en croire qu’il n’existait aucun.e acteur ou actrice trans disponible pour ces rôles…
«Cette série semble vouloir carrément délaisser le point de vue hétéronormatif qu’on voit dans les séries pour ados.»
L’étudiant en communication Alexandre Bigras estime que le traitement de la transidentité et du queerness en général est particulièrement innovateur dans Euphoria. « Je n’avais jamais écouté une série qui explore avec autant de détails la réflexion d’une personne trans, comment elle vit sa masculinité et sa féminité, souligne-t-il. La mère du personnage de Jules désapprouve sa transidentité. On voit à quel point les gens lui mettent de la pression, à quel point ça peut devenir anxiogène. »
Comme si Euphoria voulait s’extirper des codes traditionnels de la binarité. C’est du moins l’avis de la professeure de l’UQAM spécialiste de la télévision Stéfany Boisvert : « Cette série semble vouloir carrément délaisser le point de vue hétéronormatif qu’on voit dans les séries pour ados. »
Selon la professeure, ce qui distingue Euphoria, c’est aussi son approche envers les jeunes. « Les séries pour ados priorisent souvent une approche moralisatrice, explique-t-elle. Par exemple, un ado consomme de la drogue, les choses tournent mal, l’ado est repentant, ses parents lui font la leçon. Mais Euphoria priorise une approche empathique plutôt que moralisatrice. »
Et au Québec?
Tant mieux si en ce moment, la série emblématique des jeunes aux États-Unis est Euphoria. Parce qu’au Québec, quand on pense à la représentation des jeunes au petit écran, on pense spontanément à la scène virale de la série Le Bonheur, à TVA, dans laquelle l’enseignant interprété par Michel Charrette effectue un spectaculaire pétage de coche contre ses élèves.
La scène a été décrite par plusieurs comme hilarante et dressant un portrait acerbe de la jeune génération. Acerbe, certes. Mais aussi caricatural et méprisant. « Il y a tellement de haine envers les jeunes dans cette scène. Ce n’est pas juste que le personnage est à boutte, c’est qu’il les haït », déplore Nicolas Poulin.
La professeure Stéfany Boisvert analyse pour sa part la scène comme une forme de réponse à un mouvement social qui prend de l’ampleur : « Cette scène témoigne d’un repli d’une part de la population qui vise à ridiculiser les jeunes, le mouvement queer, et à répudier toute nouvelle forme d’expression de l’identité de genre. »
Ce désir de plusieurs jeunes de déconstruire une « vision binaire du social » provoque donc chez de nombreuses personnes une réaction de « repli sur soi, plus réactionnaire et conservatrice », selon la professeure.
Dans ce contexte, une série aussi progressiste qu’Euphoria serait-elle possible au Québec? La comédienne et autrice-compositrice-interprète Ines Talbi le souhaite. « J’ai l’impression que ça bouge un peu parce que maintenant, des fonds sont accordés aux projets qui incluent de la diversité. Mais j’ai l’impression que certaines têtes décisionnelles sont encore frileuses à l’idée de choisir de la diversité ou des gens moins connus, de peur de perdre leur public », déplore-t-elle.
Son souhait pour la télévision québécoise? « Faire confiance à l’intelligence du public québécois et à nos créateurs et créatrices », déclare-t-elle.
Effectivement, le Québec ne dispose pas du budget et du bassin énorme de téléspectateurs et téléspectatrices qui ont rendu possible la popularité d’Euphoria aux États-Unis. Mais le Québec a certainement des artistes capables de créer des histoires et des personnages qui vont au-delà des stéréotypes et des caricatures déjà vus et revus depuis des années sur nos écrans concernant les ados.