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Sugar daddy

J’avais deux semaines pour me trouver un sugar daddy.

Par
Judith Lussier
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J’ai rĂ©ussi. Il m’a invitĂ©e au resto, m’a fait miroiter une nouvelle vie en Californie, m’a demandĂ© si j’étais prĂȘte Ă  dĂ©mĂ©nager avec lui. Voici l’histoire de la fois oĂč j’ai passĂ© Ă  un cheveu de devenir millionnaire.

Ce texte est extrait du #27 spĂ©cial Ăąge d’or.

Hugh Hefner a 84 ans. Et il pogne. Ne se contentant pas d’une seule bimbo, il en a rĂ©guliĂšrement trois d’accrochĂ©es aux bras. Bien sĂ»r, le fondateur de Playboy a d’autres atouts que sa sagesse. L’argent, la cĂ©lĂ©britĂ©, le charisme peut-ĂȘtre, une robe de chambre en satin, mais pour le sex appeal, on repassera.

Je me suis toujours demandĂ©e ce qui pouvait pousser de jolies jeunes femmes Ă  sortir, et mĂȘme Ă  coucher avec des vieux, fortunĂ©s ou non. C’est sĂ»r qu’avoir un mari riche a ses avantages. Si j’étais la femme de Guy LalibertĂ©, je pourrais passer le reste de ma vie Ă  collaborer uniquement avec Urbania. Mais pourquoi faut-il qu’il soit vieux? L’hĂ©ritage vite acquis apparaĂźt comme une raison logique. Mais ça ne peut pas ĂȘtre que ça.

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Selon le sexologue Yvon Dallaire, le phĂ©nomĂšne des sugar daddies est en fait l’exacerbation d’une rĂ©alitĂ© naturelle. « Les hommes sont toujours attirĂ©s par des femmes plus jeunes, explique l’auteur de La sexualitĂ© de l’homme aprĂšs 50 ans, car ils cherchent instinctivement la fertilitĂ©. Les sugar daddies, eux, refusent de vieillir. Et les femmes qui frĂ©quentent ces messieurs, elles, veulent la sĂ©curitĂ©. L’hypothĂšse qui prĂ©domine, c’est qu’elles cherchent leur pĂšre. »

J’avais envie d’approfondir la question quand j’ai suggĂ©rĂ© Ă  Urbania d’interviewer des sugar babes et des sugar daddies. Mais ils ont acceptĂ© la proposition en modifiant quelques technicalitĂ©s : j’avais 15 jours pour me transformer en sugar babe et rencontrer mon homme.

***

En journaliste de mon temps, j’ai d’abord fait appel aux rĂ©seaux sociaux. Le statut « OĂč trouver un vieux mari riche? » a rĂ©coltĂ© des commentaires savoureux. La proposition qui m’a paru la plus crĂ©dible : le « gym huppĂ©, trĂšs tĂŽt le matin ».

La premiĂšre chose que fait une fille fraĂźchement larguĂ©e est de se lancer sur l’elliptique dans le but de rencontrer sa nouvelle Ăąme sƓur, avec dix livres en moins que la prĂ©cĂ©dente. J’imagine que c’est la mĂȘme chose chez les AndrĂ© Chagnon de ce monde. Je me rends donc Ă  l’endroit oĂč il paraĂźt que PKP s’entraĂźne, formulaire d’essai en poche et croisant mes doigts pour ne pas me faire refuser l’entrĂ©e pour cause de t’as-pas-l’air-riche-pour-vrai.

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Je me poupoune comme jamais je ne me suis poupounĂ©e avant d’aller m’entraĂźner. Verres de contact, p’tit mascara waterproof, camisole sexy. À mon arrivĂ©e vers 6 h, c’est plein de belles tĂȘtes grises. L’un de mes prospects porte des lunettes Oakley pour avoir l’air jeune, un autre lit le National Post sur le tapis roulant comme dans les films, un autre encore jase avec l’entraĂźneur, probablement de sa derniĂšre partie de golf.

C’est sĂ»r que j’ai des chances. La compĂ©tition est faible : ici les femmes sont liftĂ©es Ă  l’os, sentent le Roger & Gallet et semblent dĂ©jĂ  riches et blasĂ©es. Ma jeunesse et mon innocence les clanchent 100 milles Ă  l’heure.

Je m’installe stratĂ©giquement sur un vĂ©lo situĂ© devant un miroir dans lequel je peux tout voir. Mais les gyms de riches ont quelque chose d’antisocial qui ne pousse pas aux rencontres. Leurs machines sont tellement high-tech : chacune a sa propre tĂ©lĂ©, tu peux synchroniser ton iPhone avec l’elliptique, suivre un parcours virtuel. J’ai vraiment l’impression de perdre mon temps, aucun mari riche potentiel ne me regarde. Alors je fais ce qu’une fille doit faire : brĂ»ler des calories.

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Je dĂ©cide de rĂ©itĂ©rer l’expĂ©rience le jour suivant, mais Ă  la piscine cette fois. Faire des longueurs est peut-ĂȘtre plus propice aux rencontres. « AprĂšs vous », « Vous venez souvent ici? » ou « Pouvez-vous me montrer le crawl » sont des pick-up line pas pires dans le bassin peu profond.

À peine entrĂ©e Ă  l’eau, un sauveteur m’arrĂȘte, brandissant un casque de bain orange fluo. «C’est obligatoire», dit-il. J’accepte de commettre le fashion faux-pas, mais en me retournant pour enfiler le bonnet, je tombe nez Ă  pince-nez avec PKP, cas’ de bain rĂ©glementaire, lunettes Speedo pis toute. Je fige, je marmonne un «aprĂšs vous», et je feins une longueur.

Je me dirige vers le corridor «lent/slow». Le vieux est lĂ . Il est parfait. La peau bien molle, le poil flottant Ă  la surface, les sourcils blancs. Je me lance en back crawl, comme lui, en me disant qu’on se foncera inĂ©vitablement dedans et qu’on n’aura pas le choix de s’excuser. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu’il m’invitera Ă  prendre un cafĂ© pour se faire pardonner. AprĂšs, on ira promener son chien et il me proposera d’habiter dans sa grosse maison sur la montagne, et d’autres plans sur la comĂšte comme ça.

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À la place, je reçois une grosse taloche dans la face, je passe Ă  deux cheveux de me noyer, et mon vieux s’en va sans s’excuser. J’avais l’étrange impression de l’avoir dĂ©rangĂ©. C’est aprĂšs que j’ai compris une rĂšgle implicite de la piscine de riches: au prix qu’on paye, on veut avoir le corridor pour soi.

***

Finalement, je rĂ©alise que le gym, c’est beaucoup d’énergie pour pas grand-chose. Pis en plus, je ne suis vraiment pas une lĂšve-tĂŽt. Mais entre-temps, je me suis inscrite sur sugardaddie.com et seekingarrangement.com, deux sites de rencontres explicitement dĂ©diĂ©s aux vieux qui cherchent Ă  corrompre des jeunes filles et vice-versa.

Sur le premier, on trouve quelques QuĂ©bĂ©cois dans les catĂ©gories «?65 ans et plus dĂ©passant les 1 000 000 $/an». Sur le deuxiĂšme, les jeunes femmes peuvent carrĂ©ment demander combien elles veulent. Ça va de «1000 $ par mois» Ă  «plus de 20 000 $ par mois». ChoquĂ©e, j’ai demandĂ© au relationniste de la compagnie basĂ©e Ă  Las Vegas quelle Ă©tait la diffĂ©rence entre ça et de la prostitution. «La prostitution, c’est une transaction d’argent et de faveurs sexuelles. Dans une relation sugar daddy/sugar babe, c’est pas garanti qu’il va y avoir du sexe», me rĂ©pond Stephan Smith. «Par ailleurs, comme dans n’importe quelle relation consentante, de l’argent et des cadeaux peuvent ĂȘtre offerts Ă  tout moment et non comme une rĂ©tribution en Ă©change de service sexuel», ajoute-t-il.

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Trop romantique pour me rĂ©soudre Ă  chiffrer la valeur de mon cul, je coche «montant nĂ©gociable». Sur sugardaddie.com, pour avoir le privilĂšge d’écrire aux membres, il faut s’abonner. Moi, dĂ©penser 22$ par mois pour rencontrer l’ñme riche, j’appelle ça un bon investissement. Je me lance. Avec mon faux courriel, ma fausse identitĂ©, je me sens toute puissante.

Je me mets Ă  mater les photos d’hommes mĂ»rs «avec quelques livres en trop» mais au chandail griffĂ© qui rachĂšte tout. MatureNomad veut m’emmener faire du ba­teau et jouer au golf, pourvu que j’aie de bonnes maniĂšres, l’étincelle dans les yeux et que je sois gentille avec les personnes plus ĂągĂ©es. Barguil paierait pour mon Ă©ducation et «me montrerait Ă  naviguer dans l’univers corporatif», en autant qu’on parle uniquement de choses positives lorsqu’on est ensemble. TinDad me demande «jusqu’à quel point je suis ouverte sexuellement».

Ce qui est triste, sur sugardaddie.com, c’est que les hommes qui me rĂ©pondent sont relativement jeunes. DĂ©but quarantaine, Fitman1967, fait du bodybuilding et ressemble Ă  Arnold Schwarzenegger dans ses annĂ©es Terminator. TheCharmingGone fait pitiĂ©. En plus d’ĂȘtre chauve, il s’est mis dans la catĂ©gorie 500 000$ – 1000000$, la plus basse.

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Mes requĂȘtes Ă  ChristmasBaby (68 ans), Ă  Springtimebaby (69 ans), et Ă  CrackedHalo (1 million $ et plus) sont demeurĂ©es sans rĂ©ponse. J’en suis venue Ă  me demander si l’Internet Ă©tait la meilleure place pour rencontrer un millionnaire approchant sa date de pĂ©remption. C’est comme envoyer un courriel Ă  son grand-pĂšre et espĂ©rer une rĂ©ponse dans la semaine qui suit


Faut dire que j’ai peut-ĂȘtre commis une erreur de casting: je me suis choisie un pseudonyme poche, Carmen Santiago, et mon personnage Ă©tait une spĂ©cialiste du marketing 2.0. Quand j’ai racontĂ© ça Ă  un ami, il a ri de moi. «T’aurais vraiment eu plus de chances avec un nom comme Juicylove69_16 et une photo de toi habillĂ©e propre/cochonne sur le divan de tes parents. Faut que tu aies l’air d’une fille qui manque de ressources. Une fille qu’on veut sortir du trou.» Et il n’avait pas tort. «Les hommes ont un cĂŽtĂ© “sauveur” qui les pousse Ă  aller vers des femmes dans le besoin, confirme Yvon Dallaire. C’est un archĂ©type bien ancrĂ©, qui vient des contes pour enfants. Ils veulent ĂȘtre le prince charmant qui va sauver la princesse.»

***

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Pour augmenter mes chances de rencontrer mon prince charmant passĂ© date, je dĂ©cide d’interroger des pros. Des gens qui ont vraiment vĂ©cu la relation sucrĂ©e.

Sur Facebook, j’échange quelques informations avec l’ami d’un ami qui est probablement tombĂ© sur mon statut «Cherche sugar daddies ou sugar babes» en Ă©piant les interactions des autres, comme il nous arrive tous de faire. Ce dernier affirme avoir eu plusieurs relations avec des sugar babes sans avoir Ă  payer pour la marchandise.

— Ces femmes sont des prostituĂ©es de luxe qui font dans le contrat Ă  long terme, m’explique-t-il. Évidemment, elles ont mille justifications pour rendre leur position lĂ©gitime

— Alors, tu dois en connaĂźtre que tu pourrais me prĂ©senter, m’essayais-je.
— Ça va ĂȘtre difficile pour toi de trouver un sugar daddy ou une sugar babe. Ces gens-lĂ  ne s’identifient pas comme tel. Ils se content des histoires pour se reconnaĂźtre autrement. C’est une relation basĂ©e sur le mensonge, et c’est Ă  eux-mĂȘmes qu’ils mentent en tout premier lieu.»

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Le bouche-Ă -oreille fera finalement mieux la job que Facebook pour m’aider Ă  trouver une fille qui a vĂ©cu trois ans avec un vieux millionnaire. Comme je lui ai promis l’anonymat, appelons-la Lola, et pour lui, disons simplement designer + vieux + millionnaire + connu, pour ajouter du piquant Ă  l’histoire.

L’amie qui nous a mises en contact me prĂ©vient: «Elle ne te dira jamais qu’elle couchait avec lui pour de l’argent. Pour elle, c’était de l’amour.» Je pars tout de mĂȘme Ă  sa rencontre, convaincue que je saurai lui faire avouer que, sans les extras, les feux de l’amour n’auraient pas fait beaucoup de fumĂ©e.

Je l’ai donc rencontrĂ©e dans un Starbuck’s de l’ouest de la ville. La fille est super belle. Blonde, mince, brillante. En me comparant, j’ai soudainement des doutes sur mon potentiel de rĂ©ussite?: c’est que ces vieux riches ont du goĂ»t et les moyens de leurs ambitions!

Lola a rencontrĂ© son Jack Nicholson au travail, c’était son patron. Bon tuyau, mais j’irai quand mĂȘme pas porter mon CV Ă  la pharmacie pour voir si j’ai des chances avec Jean Coutu.

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Son histoire m’intĂ©resse. Pour lui, ça a Ă©tĂ© le coup de foudre. Il en a fait son modĂšle d’essayage. «Pour moi, ça a Ă©tĂ© plus long, avoue Lola. Peut-ĂȘtre parce qu’il Ă©tait plus vieux. Ce n’est pas un bel homme, mais il est jeune de cƓur», s’empresse-t-elle d’ajouter. Elle a fini par craquer. «Au dĂ©but, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. C’était chimique. J’étais attirĂ©e par lui. Quand il ajustait les jeans sur moi, qu’il touchait mes cuisses, ça m’excitait», raconte-t-elle, encore Ă©moustillĂ©e.

Elle m’en parle les yeux pĂ©tillants, et je la crois lorsqu’elle me dit qu’elle l’aimait vraiment, qu’il la faisait rire et qu’elle Ă©tait complĂštement accro. «C’est pas tout d’ĂȘtre riche, il faut ĂȘtre sympathique, charismatique, m’explique Lola. C’est sĂ»r que l’argent apporte de l’agrĂ©ment, ce serait mentir de dire l’inverse, mais je connais des filles qui en auraient profitĂ© ben plus que moi. Des fois, il m’emmenait chez Prada, mais moi je ne voulais rien.»

Toutefois, aux yeux des autres, Lola passe pour la sugar babe typique. Elle se souvient d’une soirĂ©e au chic restaurant Globe oĂč tous les regards se sont tournĂ©s vers elle lorsque la chanson Golddigger s’est mise Ă  jouer. «Moi, j’ai couru aprĂšs personne. C’est lui qui est venu vers moi, se justifie-t-elle. Et personnellement, je trouve qu’il faut ĂȘtre misĂ©rable pour dormir et passer sa vie avec quelqu’un pour son argent.»

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Ils se sont laissĂ©s aprĂšs trois ans, en partie parce que Lola n’arri­vait pas Ă  envisager une relation Ă  long terme avec un homme qui ne voulait pas d’enfants car il avait dĂ©jĂ  donnĂ©, et un peu parce que c’était devenu plate, comme dans n’importe quelle relation. Toujours est-il qu’ils sont restĂ©s amis. «On se parle encore tous les jours, dit-elle. Penses-tu que c’est pour ça qu’il m’achĂšte des sacoches?!»

***

En parlant de Lola Ă  un collĂšgue, je me suis sentie vraiment naĂŻve. « Ben voyons donc, voir si elle aurait Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©e par lui s’il avait Ă©tĂ© pauvre », s’exclame-t-il. J’ai eu un doute. Puis, j’ai pensĂ© Ă  la touchante histoire de ChloĂ© Sainte-Marie et de son « beau Gilles », que personne ne trouvait vraiment beau, mais que tout le monde admirait. L’admiration. C’est pas ça, la chose que ça prend pour qu’un couple fonctionne? En tout cas, ce n’est certainement pas l’argent qui a gardĂ© l’aidante naturelle au chevet du cinĂ©aste parkinsonien


***

Ma relation avec Jeffrey a dĂ©butĂ© comme n’importe quelle relation vouĂ©e Ă  l’échec, c’est-Ă -dire dans un bar.

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Je savais que je devrais aller dans un endroit oĂč on sert des martinis Ă  15$ pour taquiner le poisson, mais je n’étais ni game d’affronter seule un doorman suspicieux, ni au courant du nightlife 65+. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle habite Ă  Westmount, parce qu’elle vient d’un milieu aisĂ© ou parce qu’elle a une solide expĂ©rience de la drague que j’ai pensĂ© que mon amie Mimi pourrait m’aider. En tout cas, c’était une bonne intuition.

Mimi m’a emmenĂ©e au Santos, un bar du Vieux-MontrĂ©al dont je n’avais jamais entendu parler. À l’intĂ©rieur, ça sent le fric. C’est plein de jeunes professionnels, d’apprentis-tycoons, de sugar daddies Ă  l’entraĂźnement. Mais les vieux se font rares. Je regarde Mimi, un peu déçue. «Sois patiente, me dit-elle. Les vieux cochons, ça sort tard.» Au moment oĂč elle dit ça, Electric Avenue se met Ă  jouer. Je suis rassurĂ©e. Nous sommes sĂ»rement Ă  la bonne place. Et voilĂ , un candidat se pointe. On l’appellera le chauve avec des lunettes.
— Il te regarde, vas-y! me lance Mimi.
— Attends, je veux prendre mon temps, me laisser dĂ©sirer, dis-je, manquant terriblement d’expĂ©rience.
Au bar, les jeunes loups nous tournent autour et les femmes semblent ĂȘtre lĂ  pour brasser de grosses affaires. J’observe la scĂšne avec Ă©tonnement. Qui sont ces filles qui viennent ici, visiblement pour se trouver un mari riche? dis-je en voyant deux toutounes ultra quĂ©taines siroter leur Dirty Martini et Ă©pier la salle de la mĂȘme façon que moi. Et elles croient vraiment qu’elles vont ramasser?
— Ces filles-lĂ  ont investi toutes leurs Ă©conomies dans leur outfit de la soirĂ©e, me dit Mimi, renseignĂ©e. C’est sĂ»r qu’elles ne partiront pas les mains vides.
Mon drink à peine terminé, les deux toutounes sont déjà sur mon chauve avec des lunettes. Mimi avait raison, faut faire vite.

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Deux autres messieurs entrent. Ils ont sĂ»rement 70 ans. Un mannequin se plante devant eux. Je n’ai aucune chance.

Pendant ce temps, les apprentis continuent à s’essayer sur nous.
— Pourquoi les vieux pognent tant que ça alors que les jeunes, qui semblent disponibles et intĂ©ressĂ©s, en arrachent?
— Les vieux sont plus calmes, m’explique Mimi. Ils ne vont pas vers les filles, ils attendent que les filles viennent vers eux. Et puis il y a beaucoup de femmes qui cherchent la maturitĂ©.

Vers minuit, tous les vĂ©tĂ©rans de la place sont dĂ©jĂ  pris, et moi, je n’ai pas encore Ă©tĂ© game de faire un move. On dĂ©cide d’aller au Wunderbar, le bar de l’hĂŽtel W. Mimi dit que son pĂšre se tient lĂ  des fois.

Avant d’entrer, on fait un rapide repĂ©rage. Le doyen de la soirĂ©e se trouve au bar. Un jeu d’enfant?: je n’ai qu’à lui demander gentiment de se tasser pour commander et on aura dĂ©jĂ  un premier contact.

C’est exactement comme ça que ça se passe, mais en plus faci­le encore. Le poisson mord Ă  pleines dents et me tire mĂȘme une chaise. Je m’assois avec Jeffrey et on commence Ă  jaser. «Bla bla bla retraitĂ© quand j’ai vendu une grosse compagnie», «bla bla bla maison au bord de la mer», «?bla bla bla qu’est-ce que tu fais demain soir?»

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En moins d’une demi-heure, j’avais une date le lendemain, et, Mimi bñillant, une bonne excuse pour m’en aller tout de suite.

***

Le matin, j’avoue que j’ai eu un peu la chienne quand j’ai reçu un SMS de Jeffrey. «J’ai une rĂ©servation pour deux ce soir. Tu me rejoins au Wunderbar Ă  7h?»

J’ai pensĂ© Ă  la phrase que notre Ă©diteur m’avait dite la veille: «?As far as a story can go », et j’ai textĂ© «oui».

***

Je n’ai pas beaucoup de robes de golddigger et je ne tiens pas non plus Ă  me faire violer le soir venu, mais je mets quand mĂȘme le paquet. Quand j’arrive au Wunderbar, Jeffrey est lĂ  avec cinq de ses amis dans la soixantaine avancĂ©e. Ces AmĂ©ricains sĂ©journent au W pour l’enterrement de vie de garçon de Tom, le fils de l’un deux. Ils ont choisi MontrĂ©al, va savoir pourquoi


EncerclĂ©e par ces vieux au regard lubrique, je ne me suis jamais autant sentie comme une paparmane. Ils sont tous lĂ , autour de moi, Ă  me regarder en salivant. «Tu voudrais pas me prĂ©senter une de tes amies, mĂȘme si elle est un peu moins belle que toi», me demande l’un d’eux en brassant les glaçons dans son verre. «Jeffrey est un homme chanceux», me dit un autre en me donnant des becs mouillĂ©s sur les joues. Le jeune Tom, le bachelor, me regarde, l’air Ă©tonnĂ©. Je suis SU-PER Ă  l’aise.

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Jeffrey commande du champagne. «C’est comme ça que tu penses me corrompre? (en anglais ça sonnait plus wild)» dis-je Ă  la blague, en lĂąchant un rire coquin et en me touchant les cheveux. Jeffrey essaie un rapprochement, me touche les bras, tente un regard pĂ©nĂ©trant. J’arrĂȘte l’affaire des cheveux tout de suite.

Je peux reconnaßtre que certains vieux ont quelque chose de charmant. Mais Jeffrey est semi-gros, suant, il porte un t-shirt blanc avec un blazer pied-de-poule figé dans les années 90. Moi je souris de mon mieux.

En nous rendant au restaurant, dans la voiture, je me demande Ă  quel point Jeffrey croit vraiment que j’ai plus envie de passer la soirĂ©e avec lui qu’avec son jeune chauffeur
 Cinq services, en mauvaise compagnie, c’est long longtemps. Mais la bouffe est bonne, et ce n’est pas tous les jours qu’on peut dĂ©guster un CorbiĂšres 2002. Durant le repas, Jeffrey me raconte sa vie, son mariage foireux, ses enfants Ă  la carriĂšre Ă©patante, sa passion pour le hiking (yeah right, l’athlĂšte), l’entreprise qu’il a vendue pour 2,5 milliards. Une vie de riche comme on se l’imagine.
— Ton amie doit te trouver bizarre de sortir avec un homme comme moi??
— Mais non, pourquoi ça? dis-je, innocente.
— Parce que je dois bien avoir trois fois ton ñge?! Quel ñge as-tu?
— Quel ñge tu me donnes?
— Je sais pas, 21?

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Je suis dégoûtée. Il me pense encore plus jeune que je le suis, ça frÎle la pédophilie.

Lorsqu’il me demande si je serais prĂȘte Ă  dĂ©mĂ©nager en Californie, je dis que je suis ouverte Ă  tout. Je m’invente une histoire avec pas d’attaches Ă  MontrĂ©al et le dĂ©sir de sortir de ma petite vie de misĂšre. Son regard s’allume. Il m’invite Ă  son hĂŽtel, sur quoi je trouve une excuse pour rentrer chez moi. Lorsque je lui promets qu’on se reprendra le lendemain, il essaie de me frencher, mais j’esquive.

***

— Pis, c’était comment? me demande une amie le lendemain.
— Ah, je sais pas, je me sens dĂ©goĂ»tĂ©e.
— Ben lĂ , il s’est rien passĂ© quand mĂȘme?!
— Non!
— Quoi, tu te sens violĂ©e
 idĂ©ologiquement??
— Genre.

En fait, je ne sais pas si c’est moi que j’ai trouvĂ© dĂ©gueulasse d’avoir conviĂ© ce pauvre homme Ă  un dĂźner de con en tĂȘte Ă  tĂȘte, ou si je suis dĂ©goĂ»tĂ©e d’avoir rincĂ© l’Ɠil d’un vieux cochon toute la soirĂ©e. J’ai Ă©tĂ© exactement ce qu’une sugar babe est: un trophĂ©e. Pendant un moment, j’ai permis Ă  ce vieillard moche de croire qu’il avait encore du charme, et que je pouvais avoir envie de lui.

Une amie qui apprĂ©hende la vie avec plus de poĂ©sie que moi m’a fait part de cette rĂ©flexion lorsque je lui ai parlĂ© de mon expĂ©rience: «Je trouve qu’il y a quelque chose de beau Ă  vouloir s’offrir encore un peu de plaisir, Ă  une dĂ©cennie de la mort.»

Peut-ĂȘtre. Et, quand on y pense, ce n’est pas si pire de faire la belle pour se faire payer la traite. AprĂšs tout, quand on est pigiste, on prend les contrats qu’on peut