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Jâai rĂ©ussi. Il mâa invitĂ©e au resto, mâa fait miroiter une nouvelle vie en Californie, mâa demandĂ© si jâĂ©tais prĂȘte Ă dĂ©mĂ©nager avec lui. Voici lâhistoire de la fois oĂč jâai passĂ© Ă un cheveu de devenir millionnaire.
Ce texte est extrait du #27 spĂ©cial Ăąge dâor.
Hugh Hefner a 84 ans. Et il pogne. Ne se contentant pas dâune seule bimbo, il en a rĂ©guliĂšrement trois dâaccrochĂ©es aux bras. Bien sĂ»r, le fondateur de Playboy a dâautres atouts que sa sagesse. Lâargent, la cĂ©lĂ©britĂ©, le charisme peut-ĂȘtre, une robe de chambre en satin, mais pour le sex appeal, on repassera.
Je me suis toujours demandĂ©e ce qui pouvait pousser de jolies jeunes femmes Ă sortir, et mĂȘme Ă coucher avec des vieux, fortunĂ©s ou non. Câest sĂ»r quâavoir un mari riche a ses avantages. Si jâĂ©tais la femme de Guy LalibertĂ©, je pourrais passer le reste de ma vie Ă collaborer uniquement avec Urbania. Mais pourquoi faut-il quâil soit vieux? LâhĂ©ritage vite acquis apparaĂźt comme une raison logique. Mais ça ne peut pas ĂȘtre que ça.
Selon le sexologue Yvon Dallaire, le phĂ©nomĂšne des sugar daddies est en fait lâexacerbation dâune rĂ©alitĂ© naturelle. « Les hommes sont toujours attirĂ©s par des femmes plus jeunes, explique lâauteur de La sexualitĂ© de lâhomme aprĂšs 50 ans, car ils cherchent instinctivement la fertilitĂ©. Les sugar daddies, eux, refusent de vieillir. Et les femmes qui frĂ©quentent ces messieurs, elles, veulent la sĂ©curitĂ©. LâhypothĂšse qui prĂ©domine, câest quâelles cherchent leur pĂšre. »
Jâavais envie dâapprofondir la question quand jâai suggĂ©rĂ© Ă Urbania dâinterviewer des sugar babes et des sugar daddies. Mais ils ont acceptĂ© la proposition en modifiant quelques technicalitĂ©s : jâavais 15 jours pour me transformer en sugar babe et rencontrer mon homme.
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En journaliste de mon temps, jâai dâabord fait appel aux rĂ©seaux sociaux. Le statut « OĂč trouver un vieux mari riche? » a rĂ©coltĂ© des commentaires savoureux. La proposition qui mâa paru la plus crĂ©dible : le « gym huppĂ©, trĂšs tĂŽt le matin ».
La premiĂšre chose que fait une fille fraĂźchement larguĂ©e est de se lancer sur lâelliptique dans le but de rencontrer sa nouvelle Ăąme sĆur, avec dix livres en moins que la prĂ©cĂ©dente. Jâimagine que câest la mĂȘme chose chez les AndrĂ© Chagnon de ce monde. Je me rends donc Ă lâendroit oĂč il paraĂźt que PKP sâentraĂźne, formulaire dâessai en poche et croisant mes doigts pour ne pas me faire refuser lâentrĂ©e pour cause de tâas-pas-lâair-riche-pour-vrai.
Je me poupoune comme jamais je ne me suis poupounĂ©e avant dâaller mâentraĂźner. Verres de contact, pâtit mascara waterproof, camisole sexy. Ă mon arrivĂ©e vers 6 h, câest plein de belles tĂȘtes grises. Lâun de mes prospects porte des lunettes Oakley pour avoir lâair jeune, un autre lit le National Post sur le tapis roulant comme dans les films, un autre encore jase avec lâentraĂźneur, probablement de sa derniĂšre partie de golf.
Câest sĂ»r que jâai des chances. La compĂ©tition est faible : ici les femmes sont liftĂ©es Ă lâos, sentent le Roger & Gallet et semblent dĂ©jĂ riches et blasĂ©es. Ma jeunesse et mon innocence les clanchent 100 milles Ă lâheure.
Je mâinstalle stratĂ©giquement sur un vĂ©lo situĂ© devant un miroir dans lequel je peux tout voir. Mais les gyms de riches ont quelque chose dâantisocial qui ne pousse pas aux rencontres. Leurs machines sont tellement high-tech : chacune a sa propre tĂ©lĂ©, tu peux synchroniser ton iPhone avec lâelliptique, suivre un parcours virtuel. Jâai vraiment lâimpression de perdre mon temps, aucun mari riche potentiel ne me regarde. Alors je fais ce quâune fille doit faire : brĂ»ler des calories.
Je dĂ©cide de rĂ©itĂ©rer lâexpĂ©rience le jour suivant, mais Ă la piscine cette fois. Faire des longueurs est peut-ĂȘtre plus propice aux rencontres. « AprĂšs vous », « Vous venez souvent ici? » ou « Pouvez-vous me montrer le crawl » sont des pick-up line pas pires dans le bassin peu profond.
Ă peine entrĂ©e Ă lâeau, un sauveteur mâarrĂȘte, brandissant un casque de bain orange fluo. «Câest obligatoire», dit-il. Jâaccepte de commettre le fashion faux-pas, mais en me retournant pour enfiler le bonnet, je tombe nez Ă pince-nez avec PKP, casâ de bain rĂ©glementaire, lunettes Speedo pis toute. Je fige, je marmonne un «aprĂšs vous», et je feins une longueur.
Je me dirige vers le corridor «lent/slow». Le vieux est lĂ . Il est parfait. La peau bien molle, le poil flottant Ă la surface, les sourcils blancs. Je me lance en back crawl, comme lui, en me disant quâon se foncera inĂ©vitablement dedans et quâon nâaura pas le choix de sâexcuser. Peut-ĂȘtre mĂȘme quâil mâinvitera Ă prendre un cafĂ© pour se faire pardonner. AprĂšs, on ira promener son chien et il me proposera dâhabiter dans sa grosse maison sur la montagne, et dâautres plans sur la comĂšte comme ça.
Ă la place, je reçois une grosse taloche dans la face, je passe Ă deux cheveux de me noyer, et mon vieux sâen va sans sâexcuser. Jâavais lâĂ©trange impression de lâavoir dĂ©rangĂ©. Câest aprĂšs que jâai compris une rĂšgle implicite de la piscine de riches: au prix quâon paye, on veut avoir le corridor pour soi.
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Finalement, je rĂ©alise que le gym, câest beaucoup dâĂ©nergie pour pas grand-chose. Pis en plus, je ne suis vraiment pas une lĂšve-tĂŽt. Mais entre-temps, je me suis inscrite sur sugardaddie.com et seekingarrangement.com, deux sites de rencontres explicitement dĂ©diĂ©s aux vieux qui cherchent Ă corrompre des jeunes filles et vice-versa.
Sur le premier, on trouve quelques QuĂ©bĂ©cois dans les catĂ©gories «?65 ans et plus dĂ©passant les 1 000 000 $/an». Sur le deuxiĂšme, les jeunes femmes peuvent carrĂ©ment demander combien elles veulent. Ăa va de «1000 $ par mois» à «plus de 20 000 $ par mois». ChoquĂ©e, jâai demandĂ© au relationniste de la compagnie basĂ©e Ă Las Vegas quelle Ă©tait la diffĂ©rence entre ça et de la prostitution. «La prostitution, câest une transaction dâargent et de faveurs sexuelles. Dans une relation sugar daddy/sugar babe, câest pas garanti quâil va y avoir du sexe», me rĂ©pond Stephan Smith. «Par ailleurs, comme dans nâimporte quelle relation consentante, de lâargent et des cadeaux peuvent ĂȘtre offerts Ă tout moment et non comme une rĂ©tribution en Ă©change de service sexuel», ajoute-t-il.
Trop romantique pour me rĂ©soudre Ă chiffrer la valeur de mon cul, je coche «montant nĂ©gociable». Sur sugardaddie.com, pour avoir le privilĂšge dâĂ©crire aux membres, il faut sâabonner. Moi, dĂ©penser 22$ par mois pour rencontrer lâĂąme riche, jâappelle ça un bon investissement. Je me lance. Avec mon faux courriel, ma fausse identitĂ©, je me sens toute puissante.
Je me mets Ă mater les photos dâhommes mĂ»rs «avec quelques livres en trop» mais au chandail griffĂ© qui rachĂšte tout. MatureNomad veut mâemmener faire du baÂteau et jouer au golf, pourvu que jâaie de bonnes maniĂšres, lâĂ©tincelle dans les yeux et que je sois gentille avec les personnes plus ĂągĂ©es. Barguil paierait pour mon Ă©ducation et «me montrerait Ă naviguer dans lâunivers corporatif», en autant quâon parle uniquement de choses positives lorsquâon est ensemble. TinDad me demande «jusquâĂ quel point je suis ouverte sexuellement».
Ce qui est triste, sur sugardaddie.com, câest que les hommes qui me rĂ©pondent sont relativement jeunes. DĂ©but quarantaine, Fitman1967, fait du bodybuilding et ressemble Ă Arnold Schwarzenegger dans ses annĂ©es Terminator. TheCharmingGone fait pitiĂ©. En plus dâĂȘtre chauve, il sâest mis dans la catĂ©gorie 500 000$ â 1000000$, la plus basse.
Mes requĂȘtes Ă ChristmasBaby (68 ans), Ă Springtimebaby (69 ans), et Ă CrackedHalo (1 million $ et plus) sont demeurĂ©es sans rĂ©ponse. Jâen suis venue Ă me demander si lâInternet Ă©tait la meilleure place pour rencontrer un millionnaire approchant sa date de pĂ©remption. Câest comme envoyer un courriel Ă son grand-pĂšre et espĂ©rer une rĂ©ponse dans la semaine qui suitâŠ
Faut dire que jâai peut-ĂȘtre commis une erreur de casting: je me suis choisie un pseudonyme poche, Carmen Santiago, et mon personnage Ă©tait une spĂ©cialiste du marketing 2.0. Quand jâai racontĂ© ça Ă un ami, il a ri de moi. «Tâaurais vraiment eu plus de chances avec un nom comme Juicylove69_16 et une photo de toi habillĂ©e propre/cochonne sur le divan de tes parents. Faut que tu aies lâair dâune fille qui manque de ressources. Une fille quâon veut sortir du trou.» Et il nâavait pas tort. «Les hommes ont un cĂŽtĂ© âsauveurâ qui les pousse Ă aller vers des femmes dans le besoin, confirme Yvon Dallaire. Câest un archĂ©type bien ancrĂ©, qui vient des contes pour enfants. Ils veulent ĂȘtre le prince charmant qui va sauver la princesse.»
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Pour augmenter mes chances de rencontrer mon prince charmant passĂ© date, je dĂ©cide dâinterroger des pros. Des gens qui ont vraiment vĂ©cu la relation sucrĂ©e.
Sur Facebook, jâĂ©change quelques informations avec lâami dâun ami qui est probablement tombĂ© sur mon statut «Cherche sugar daddies ou sugar babes» en Ă©piant les interactions des autres, comme il nous arrive tous de faire. Ce dernier affirme avoir eu plusieurs relations avec des sugar babes sans avoir Ă payer pour la marchandise.
â Ces femmes sont des prostituĂ©es de luxe qui font dans le contrat Ă long terme, mâexplique-t-il. Ăvidemment, elles ont mille justifications pour rendre leur position lĂ©gitimeâŠ
â Alors, tu dois en connaĂźtre que tu pourrais me prĂ©senter, mâessayais-je.
â Ăa va ĂȘtre difficile pour toi de trouver un sugar daddy ou une sugar babe. Ces gens-lĂ ne sâidentifient pas comme tel. Ils se content des histoires pour se reconnaĂźtre autrement. Câest une relation basĂ©e sur le mensonge, et câest Ă eux-mĂȘmes quâils mentent en tout premier lieu.»
Le bouche-Ă -oreille fera finalement mieux la job que Facebook pour mâaider Ă trouver une fille qui a vĂ©cu trois ans avec un vieux millionnaire. Comme je lui ai promis lâanonymat, appelons-la Lola, et pour lui, disons simplement designer + vieux + millionnaire + connu, pour ajouter du piquant Ă lâhistoire.
Lâamie qui nous a mises en contact me prĂ©vient: «Elle ne te dira jamais quâelle couchait avec lui pour de lâargent. Pour elle, câĂ©tait de lâamour.» Je pars tout de mĂȘme Ă sa rencontre, convaincue que je saurai lui faire avouer que, sans les extras, les feux de lâamour nâauraient pas fait beaucoup de fumĂ©e.
Je lâai donc rencontrĂ©e dans un Starbuckâs de lâouest de la ville. La fille est super belle. Blonde, mince, brillante. En me comparant, jâai soudainement des doutes sur mon potentiel de rĂ©ussite?: câest que ces vieux riches ont du goĂ»t et les moyens de leurs ambitions!
Lola a rencontrĂ© son Jack Nicholson au travail, câĂ©tait son patron. Bon tuyau, mais jâirai quand mĂȘme pas porter mon CV Ă la pharmacie pour voir si jâai des chances avec Jean Coutu.
Son histoire mâintĂ©resse. Pour lui, ça a Ă©tĂ© le coup de foudre. Il en a fait son modĂšle dâessayage. «Pour moi, ça a Ă©tĂ© plus long, avoue Lola. Peut-ĂȘtre parce quâil Ă©tait plus vieux. Ce nâest pas un bel homme, mais il est jeune de cĆur», sâempresse-t-elle dâajouter. Elle a fini par craquer. «Au dĂ©but, je ne comprenais pas ce qui mâarrivait. CâĂ©tait chimique. JâĂ©tais attirĂ©e par lui. Quand il ajustait les jeans sur moi, quâil touchait mes cuisses, ça mâexcitait», raconte-t-elle, encore Ă©moustillĂ©e.
Elle mâen parle les yeux pĂ©tillants, et je la crois lorsquâelle me dit quâelle lâaimait vraiment, quâil la faisait rire et quâelle Ă©tait complĂštement accro. «Câest pas tout dâĂȘtre riche, il faut ĂȘtre sympathique, charismatique, mâexplique Lola. Câest sĂ»r que lâargent apporte de lâagrĂ©ment, ce serait mentir de dire lâinverse, mais je connais des filles qui en auraient profitĂ© ben plus que moi. Des fois, il mâemmenait chez Prada, mais moi je ne voulais rien.»
Toutefois, aux yeux des autres, Lola passe pour la sugar babe typique. Elle se souvient dâune soirĂ©e au chic restaurant Globe oĂč tous les regards se sont tournĂ©s vers elle lorsque la chanson Golddigger sâest mise Ă jouer. «Moi, jâai couru aprĂšs personne. Câest lui qui est venu vers moi, se justifie-t-elle. Et personnellement, je trouve quâil faut ĂȘtre misĂ©rable pour dormir et passer sa vie avec quelquâun pour son argent.»
Ils se sont laissĂ©s aprĂšs trois ans, en partie parce que Lola nâarriÂvait pas Ă envisager une relation Ă long terme avec un homme qui ne voulait pas dâenfants car il avait dĂ©jĂ donnĂ©, et un peu parce que câĂ©tait devenu plate, comme dans nâimporte quelle relation. Toujours est-il quâils sont restĂ©s amis. «On se parle encore tous les jours, dit-elle. Penses-tu que câest pour ça quâil mâachĂšte des sacoches?!»
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En parlant de Lola Ă un collĂšgue, je me suis sentie vraiment naĂŻve. « Ben voyons donc, voir si elle aurait Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©e par lui sâil avait Ă©tĂ© pauvre », sâexclame-t-il. Jâai eu un doute. Puis, jâai pensĂ© Ă la touchante histoire de ChloĂ© Sainte-Marie et de son « beau Gilles », que personne ne trouvait vraiment beau, mais que tout le monde admirait. Lâadmiration. Câest pas ça, la chose que ça prend pour quâun couple fonctionne? En tout cas, ce nâest certainement pas lâargent qui a gardĂ© lâaidante naturelle au chevet du cinĂ©aste parkinsonienâŠ
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Ma relation avec Jeffrey a dĂ©butĂ© comme nâimporte quelle relation vouĂ©e Ă lâĂ©chec, câest-Ă -dire dans un bar.
Je savais que je devrais aller dans un endroit oĂč on sert des martinis Ă 15$ pour taquiner le poisson, mais je nâĂ©tais ni game dâaffronter seule un doorman suspicieux, ni au courant du nightlife 65+. Je ne sais pas si câest parce quâelle habite Ă Westmount, parce quâelle vient dâun milieu aisĂ© ou parce quâelle a une solide expĂ©rience de la drague que jâai pensĂ© que mon amie Mimi pourrait mâaider. En tout cas, câĂ©tait une bonne intuition.
Mimi mâa emmenĂ©e au Santos, un bar du Vieux-MontrĂ©al dont je nâavais jamais entendu parler. Ă lâintĂ©rieur, ça sent le fric. Câest plein de jeunes professionnels, dâapprentis-tycoons, de sugar daddies Ă lâentraĂźnement. Mais les vieux se font rares. Je regarde Mimi, un peu déçue. «Sois patiente, me dit-elle. Les vieux cochons, ça sort tard.» Au moment oĂč elle dit ça, Electric Avenue se met Ă jouer. Je suis rassurĂ©e. Nous sommes sĂ»rement Ă la bonne place. Et voilĂ , un candidat se pointe. On lâappellera le chauve avec des lunettes.
â Il te regarde, vas-y! me lance Mimi.
â Attends, je veux prendre mon temps, me laisser dĂ©sirer, dis-je, manquant terriblement dâexpĂ©rience.
Au bar, les jeunes loups nous tournent autour et les femmes semblent ĂȘtre lĂ pour brasser de grosses affaires. Jâobserve la scĂšne avec Ă©tonnement. Qui sont ces filles qui viennent ici, visiblement pour se trouver un mari riche? dis-je en voyant deux toutounes ultra quĂ©taines siroter leur Dirty Martini et Ă©pier la salle de la mĂȘme façon que moi. Et elles croient vraiment quâelles vont ramasser?
â Ces filles-lĂ ont investi toutes leurs Ă©conomies dans leur outfit de la soirĂ©e, me dit Mimi, renseignĂ©e. Câest sĂ»r quâelles ne partiront pas les mains vides.
Mon drink à peine terminé, les deux toutounes sont déjà sur mon chauve avec des lunettes. Mimi avait raison, faut faire vite.
Deux autres messieurs entrent. Ils ont sĂ»rement 70 ans. Un mannequin se plante devant eux. Je nâai aucune chance.
Pendant ce temps, les apprentis continuent Ă sâessayer sur nous.
â Pourquoi les vieux pognent tant que ça alors que les jeunes, qui semblent disponibles et intĂ©ressĂ©s, en arrachent?
â Les vieux sont plus calmes, mâexplique Mimi. Ils ne vont pas vers les filles, ils attendent que les filles viennent vers eux. Et puis il y a beaucoup de femmes qui cherchent la maturitĂ©.
Vers minuit, tous les vĂ©tĂ©rans de la place sont dĂ©jĂ pris, et moi, je nâai pas encore Ă©tĂ© game de faire un move. On dĂ©cide dâaller au Wunderbar, le bar de lâhĂŽtel W. Mimi dit que son pĂšre se tient lĂ des fois.
Avant dâentrer, on fait un rapide repĂ©rage. Le doyen de la soirĂ©e se trouve au bar. Un jeu dâenfant?: je nâai quâĂ lui demander gentiment de se tasser pour commander et on aura dĂ©jĂ un premier contact.
Câest exactement comme ça que ça se passe, mais en plus faciÂle encore. Le poisson mord Ă pleines dents et me tire mĂȘme une chaise. Je mâassois avec Jeffrey et on commence Ă jaser. «Bla bla bla retraitĂ© quand jâai vendu une grosse compagnie», «bla bla bla maison au bord de la mer», «?bla bla bla quâest-ce que tu fais demain soir?»
En moins dâune demi-heure, jâavais une date le lendemain, et, Mimi bĂąillant, une bonne excuse pour mâen aller tout de suite.
***
Le matin, jâavoue que jâai eu un peu la chienne quand jâai reçu un SMS de Jeffrey. «Jâai une rĂ©servation pour deux ce soir. Tu me rejoins au Wunderbar Ă 7h?»
Jâai pensĂ© Ă la phrase que notre Ă©diteur mâavait dite la veille: «?As far as a story can goâŠÂ», et jâai textĂ© «oui».
***
Je nâai pas beaucoup de robes de golddigger et je ne tiens pas non plus Ă me faire violer le soir venu, mais je mets quand mĂȘme le paquet. Quand jâarrive au Wunderbar, Jeffrey est lĂ avec cinq de ses amis dans la soixantaine avancĂ©e. Ces AmĂ©ricains sĂ©journent au W pour lâenterrement de vie de garçon de Tom, le fils de lâun deux. Ils ont choisi MontrĂ©al, va savoir pourquoiâŠ
EncerclĂ©e par ces vieux au regard lubrique, je ne me suis jamais autant sentie comme une paparmane. Ils sont tous lĂ , autour de moi, Ă me regarder en salivant. «Tu voudrais pas me prĂ©senter une de tes amies, mĂȘme si elle est un peu moins belle que toi», me demande lâun dâeux en brassant les glaçons dans son verre. «Jeffrey est un homme chanceux», me dit un autre en me donnant des becs mouillĂ©s sur les joues. Le jeune Tom, le bachelor, me regarde, lâair Ă©tonnĂ©. Je suis SU-PER Ă lâaise.
Jeffrey commande du champagne. «Câest comme ça que tu penses me corrompre? (en anglais ça sonnait plus wild)» dis-je Ă la blague, en lĂąchant un rire coquin et en me touchant les cheveux. Jeffrey essaie un rapprochement, me touche les bras, tente un regard pĂ©nĂ©trant. JâarrĂȘte lâaffaire des cheveux tout de suite.
Je peux reconnaßtre que certains vieux ont quelque chose de charmant. Mais Jeffrey est semi-gros, suant, il porte un t-shirt blanc avec un blazer pied-de-poule figé dans les années 90. Moi je souris de mon mieux.
En nous rendant au restaurant, dans la voiture, je me demande Ă quel point Jeffrey croit vraiment que jâai plus envie de passer la soirĂ©e avec lui quâavec son jeune chauffeur⊠Cinq services, en mauvaise compagnie, câest long longtemps. Mais la bouffe est bonne, et ce nâest pas tous les jours quâon peut dĂ©guster un CorbiĂšres 2002. Durant le repas, Jeffrey me raconte sa vie, son mariage foireux, ses enfants Ă la carriĂšre Ă©patante, sa passion pour le hiking (yeah right, lâathlĂšte), lâentreprise quâil a vendue pour 2,5 milliards. Une vie de riche comme on se lâimagine.
â Ton amie doit te trouver bizarre de sortir avec un homme comme moi??
â Mais non, pourquoi ça? dis-je, innocente.
â Parce que je dois bien avoir trois fois ton Ăąge?! Quel Ăąge as-tu?
â Quel Ăąge tu me donnes?
â Je sais pas, 21?
Je suis dégoûtée. Il me pense encore plus jeune que je le suis, ça frÎle la pédophilie.
Lorsquâil me demande si je serais prĂȘte Ă dĂ©mĂ©nager en Californie, je dis que je suis ouverte Ă tout. Je mâinvente une histoire avec pas dâattaches Ă MontrĂ©al et le dĂ©sir de sortir de ma petite vie de misĂšre. Son regard sâallume. Il mâinvite Ă son hĂŽtel, sur quoi je trouve une excuse pour rentrer chez moi. Lorsque je lui promets quâon se reprendra le lendemain, il essaie de me frencher, mais jâesquive.
***
â Pis, câĂ©tait comment? me demande une amie le lendemain.
â Ah, je sais pas, je me sens dĂ©goĂ»tĂ©e.
â Ben lĂ , il sâest rien passĂ© quand mĂȘme?!
â Non!
â Quoi, tu te sens violĂ©e⊠idĂ©ologiquement??
â Genre.
En fait, je ne sais pas si câest moi que jâai trouvĂ© dĂ©gueulasse dâavoir conviĂ© ce pauvre homme Ă un dĂźner de con en tĂȘte Ă tĂȘte, ou si je suis dĂ©goĂ»tĂ©e dâavoir rincĂ© lâĆil dâun vieux cochon toute la soirĂ©e. Jâai Ă©tĂ© exactement ce quâune sugar babe est: un trophĂ©e. Pendant un moment, jâai permis Ă ce vieillard moche de croire quâil avait encore du charme, et que je pouvais avoir envie de lui.
Une amie qui apprĂ©hende la vie avec plus de poĂ©sie que moi mâa fait part de cette rĂ©flexion lorsque je lui ai parlĂ© de mon expĂ©rience: «Je trouve quâil y a quelque chose de beau Ă vouloir sâoffrir encore un peu de plaisir, Ă une dĂ©cennie de la mort.»
Peut-ĂȘtre. Et, quand on y pense, ce nâest pas si pire de faire la belle pour se faire payer la traite. AprĂšs tout, quand on est pigiste, on prend les contrats quâon peutâŠ