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Ce texte est tiré du numéro #27 spécial âge d’or, maintenant dans les kiosques.
À première vue, ils sont comme les autres : de beaux petits vieux qui portent, au coin des yeux, les traces des années accumulées.
Ils lisent, elles tricotent, ils fument la pipe, elles cuisinent des rôtis de bœuf. Seulement, quand ils ouvrent la bouche, des mots comme «camp de concentration», «déportation», «Holocauste» et «gazage» s’échappent. Ils ont vécu des scènes dignes des films de Polanski et de Spielberg, mais leurs histoires, elles, sont bien réelles. Pour que le monde n’oublie pas, sept survivants de l’Holocauste, qui habitent aujourd’hui à Montréal, ont accepté de témoigner.
Thomas Strasser a 83 ans.
L’après-midi, il aime marcher sur Saint-Laurent et s’arrêter prendre quelques bouquins à sa librairie favorite. Pendant de nombreuses années, sa femme et lui ont partagé la passion de la valse, du tango et de la rumba. Cependant, il y a trois ans, cette dernière est décédée. Depuis, il danse moins et ses enfants et petits-enfants sont désormais sa seule raison de vivre.
Quels souvenirs gardez-vous de l’Holocauste?
En 1945, j’avais 18 ans et j’habitais en Hongrie. J’ai été séquestré avec ma famille dans un ghetto de Budapest où les conditions de vie n’étaient pas humaines. Survivre était une préoccupation de tous les instants. Comme les Allemands et les gardes nazis hongrois nous donnaient le minimum de nourriture, j’ai vu des hommes se battre pour un crouton de pain.
Pendant cette période, est-ce que vous vous imaginiez vivre jusqu’à 83 ans?
À l’époque, j’étais un garçon fort. Je savais que je pouvais survivre, mais ça n’a pas été facile. Le plus difficile, c’était d’être séparé des miens. Aujourd’hui, j’ai 83 ans. Je fais du bénévolat au Cumming Jewish Center de Montréal, cinq jours par semaine. J’ai une bonne santé, je conduis encore ma voiture et je marche beaucoup. Enfin, je suis heureux de vivre encore.
Comment avez-vous réussi à surmonter cette épreuve?
Dans la vie, parfois, il faut savoir délaisser le passé pour continuer sa route. Il est impossible de se lever chaque matin avec le poids des souvenirs. C’est trop difficile. Cependant, il ne faut pas oublier complètement.
Qu’aimeriez-vous laisser au monde après votre mort?
Au fil des années, les survivants de l’Holocauste disparaissent les uns après les autres. Quand nous serons tous disparus, qui se souviendra encore de cette triste guerre et de ces pénibles événements? Il est important de passer le flambeau. C’est pourquoi, chaque semaine, je rencontre des groupes d’étudiants de 10 à 16 ans et je leur raconte ma vie, notre histoire. Après ma mort, j’espère qu’ils continueront à passer le message, afin que le monde n’oublie pas et que ça ne se reproduise jamais…
Leslie Vertes a 86 ans.
Sa langue maternelle est le hongrois, mais pendant ses temps libres, il aime écrire des poèmes en anglais dans ses carnets. Il en a plus d’une cinquantaine sur divers sujets, dont sa période de séquestration. Leslie Vertes est un juif hongrois qui a échappé à la mort à plus de quatre reprises pendant la guerre.
Quels souvenirs gardez-vous de l’Holocauste?
En mai 1944, j’ai reçu l’ordre de me présenter dans un camp de travail forcé. Des rumeurs horribles courraient et j’ai préféré me sauver. Un ami qui n’était pas juif m’a prêté ses papiers d’identification pour que je puisse me trouver un petit appartement où me cacher. Un jour, je suis sorti pour échanger quelques vêtements contre de la nourriture. Un soldat a reconnu chez moi des traits de juif et m’a amené à quelques rues de là, près d’un mur où se tenait une trentaine d’autres juifs et quelques gardes. Après nous avoir placés face au mur, ils ont commencé à tirer sur nous. Nous n’avions commis aucun crime. Nous étions juifs, c’est tout. Atteinte d’une balle, une femme est tombée sur moi. À ce moment, les sirènes pour prévenir la population des raids aériens imminents ont retenti et les gardes se sont sauvés en courant. Quand j’ai relevé la tête, il n’y avait que des corps morts autour de moi. J’ai marché quelques blocs et je suis entré dans la première maison que j’ai vue, qui avait été détruite par les bombes. J’y ai trouvé des vêtements pour hommes propres, je me suis changé et je suis rentré chez moi, extrêmement ébranlé.
Pendant cette période, est-ce que vous vous imaginiez vivre jusqu’à 86 ans?
Quand j’étais dans le camp de travaux forcés à Budapest et dans le Goulag en Ukraine, je n’avais pas vraiment espoir. La guerre m’a volé mes plus belles années de jeunesse. Après cette période, j’ai refait ma vie. Ma femme et moi avons travaillé très fort pour nous sortir de la pauvreté, nous n’avons jamais demandé la charité ni contracté de prêt. Nous sommes arrivés au Canada et nous y avons élevé notre seul fils. Aujourd’hui, nous sommes très fiers de sa réussite et de nos trois petits-enfants.
Comment avez-vous réussi à surmonter cette épreuve?
C’est impossible, mais raconter mon histoire m’aide beaucoup. Au-delà de la souffrance de mes souvenirs, au-delà des membres de ma famille que j’ai perdus, ce qui importe est surtout que le monde réalise que l’antisémitisme est une menace latente.
Qu’aimeriez-vous laisser au monde après votre mort?
Je voudrais que le monde se souvienne de moi comme d’un homme travaillant et un bon père de famille. J’espère que les gens vont se rappeler que j’ai travaillé fort pour leur enseigner ce qu’est la discrimination et pour leur faire réaliser que l’Holocauste n’est pas terminé…
Rose Ickovits Weiss Svarc a 90 ans.
Son passe-temps favori est la lecture. Ses meilleurs moments, elle les partage avec ses amies autour d’un thé ou avec sa petite famille, dont elle est très fière. En 1939, Rose, son mari et leur jeune bébé de 6 mois habitaient en Tchécoslovaquie. Leur vie s’annonçait belle. Ils n’étaient pas riches, mais croyaient que la situation changerait. Et elle a changé… pour le pire. Elle est le seul membre de sa famille à avoir survécu à l’Holocauste.
Quels souvenirs gardez-vous de l’Holocauste?
Trop de souvenirs. Je ne pourrai jamais tout raconter! En 1943, avec des milliers d’autres juifs, nous sommes montés à plus de 100 dans chaque wagon de train. Je portais mon bébé dans mes bras. Il était si calme. En arrivant à Auschwitz, il était écrit sur une clôture en métal : «Arbeit macht frei» ou «Le travail rend libre». Quand nous sommes entrés, nous y croyions, mais nous avons vite compris que c’était l’inverse qui se produisait. Plus nous travaillions fort et plus vite les Allemands nous emmenaient aux fours crématoires! Ma sœur et mon bébé n’ont pas passé la nuit. Dès notre arrivée, ils ont été destinés au gazage par le Dr. Mangele, le médecin qui s’occupait de la sélection des déportés. Ç’a été la plus longue nuit de ma vie… Le reste, c’est de l’Histoire.
Pendant cette période, est-ce que vous vous imaginiez vivre jusqu’à 90 ans?
Dans les camps, nous pensions chaque jour à la mort. Il y avait des histoires horribles qui arrivaient! Je n’imaginais pas survivre à cette guerre. Aujourd’hui, je suis heureuse. Nous avons travaillé fort mon deuxième mari et moi pour arriver au Canada.
Comment avez-vous réussi à surmonter cette épreuve?
Je n’y suis pas parvenue. J’y pense toujours. Il est impossible de passer à autre chose après avoir vécu un tel événement. Aujourd’hui, quand j’entends que des hommes ont posé des bombes dans des pays en guerre, je ne comprends toujours pas. Malheureusement, le monde change peu.
Qu’aimeriez-vous laisser au monde après votre mort?
Que l’Holocauste n’a été que barbarie. J’aimerais que le monde apprennent de notre histoire et que, dorénavent, les êtres soient plus généreux et plus ouverts aux autres. Nous avons souvent dit «Never again», mais quand je vois ce qui se passe dans le monde, je n’ai pas confiance en l’avenir…
[…] La suite à lire dans le #27 : Spécial âge d’or.