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Ca texte est extrait du #27 : Spécial âge d’or.
Il n’y a plus grand monde à la messe au Québec. Le taux de participation religieuse chute dangereusement, entraînant au passage ceux qu’on croyait plus catholiques que le Pape : les personnes âgées. Confessions d’aînés qui ont defriendé Dieu-avec-un-grand-D.
Pour Andréa Richard, 76 ans, la religion catholique n’est qu’un chapelet de mensonges, et c’est pourquoi elle a tout simplement cessé d’y croire. Avec ses verres fumés surdimensionnés, ses bijoux aux couleurs acidulées et sa camisole jaune juste-assez-décolletée, nul ne croirait que cette coquette dame a joué les punaises de sacristie pendant près d’un tiers de sa vie. Endoctrinée par une religieuse, elle a trouvé son chemin de Damas et joint les rangs de la congrégation des Petites sœurs des pauvres âgée d’à peine 16 ans.
« Nous étions au service des moins nantis et je ne regrette pas le bien que j’y ai fait. Mais nous étions tellement occupées que nous n’avions pas le temps de réfléchir », confesse Madame Richard. C’est lorsqu’elle s’est fait Carmélite, c’est-à-dire religieuse dont la vie est intégralement orientée vers la prière, qu’elle a pris le temps de penser et de se questionner sur les règlements qu’elle trouvait absurdes et sévères, comme le jeûne ou le silence, par exemple. Assaillie par la tuberculose, elle a du être soignée à l’extérieur du monastère et en a profité pour se procurer des livres interdits aux Carmélites. « J’en ai conclu que la religion allait contre la nature humaine », rapporte-elle. Face à cette prise de conscience, Andréa Richard a refusé de boire le calice jusqu’à la lie. Elle a rendu son voile à l’âge de 40 ans.
?Aujourd’hui agnostique assumée, elle est comme Saint-Thomas : elle ne croit que ce qu’elle voit. « Je pense que c’est la logique d’être agnostique, dit-elle. Selon les découvertes historiques, scientifiques et archéologiques, rien ne prouve qu’il y ait un dieu. » D’ailleurs, Andréa proclame qu’elle ne s’est « jamais sentie aussi libre et libérée » que depuis qu’elle a défroqué. Alléluia! Elle milite maintenant pour une charte de la laïcité et a publié plusieurs best-sellers notamment Au-delà de la religion, L’essence de la vie, ainsi que Femme après le cloître, qui se retrouvera bientôt au grand écran. Elle fait un travail de bénédictin pour dénoncer les abus de pouvoir des autorités religieuses, des comportements qu’elle considère aussi laids que les sept péchés capitaux. « Je dénonce pour informer », déclare-t-elle.
Bénissez-moi mon Père, car j’ai pêché
Le seigneur compte aussi Thérèse Bélanger (nom fictif) au nombre de ses ex. Dans sa chic résidence pour personne âgées de Blainville, la dame de 85 ans ne détonne pas du tout. C’est une femme bien de son temps qui évoque sa jeunesse en toute lucidité. « Quand j’étais jeune, il fallait tous être pareils, penser de la même façon et aimer la fricassée », se remémore-t-elle. Pour Thérèse, cette image démontre qu’à l’époque, il était quasi-impossible de ne pas boire les paroles de Dieu comme du vin de messe.
Thérèse a d’ailleurs cessé de croire après qu’un prêtre l’ait tout bonnement renvoyée de la communauté catholique parce qu’elle ne souhaitait plus enfanter. À 35 ans, elle avait fait deux fausses couches et donné naissance à 5 enfants, dont 2 étaient décédés. « Je trouvais que ma famille était complète et comme j’étais trop pissou pour me faire avorter avec des aiguilles à tricoter, je me suis rendue à la confesse et je me suis accusée de ne plus vouloir d’enfants», confie-t-elle.
Le curé, un « p’tit prêtre de 22 ans à peine sorti de l’école » l’a alors excommuniée, ce qui constitue la plus grave des peines canoniques. Thérèse s’est dit « bon ben c’est parfait », a quitté le confessionnal, et s’est bien juré de ne plus y retourner avant Pâques ou la Trinité.
Si depuis, Thérèse n’a ni dieu ni maître, elle ne se sent pas dans un no man’s land religieux pour autant. « Je fais ma religion comme je l’entends », explique la femme. Aujourd’hui, elle croit aux anges. « Je suis tombée par hasard sur des livres à propos des anges et ils sont ben à mon goût. Il y a beaucoup de méditation, du sens et un peu de spiritualité », énumère-t-elle.
La religion catholique; membership à la baisse?
La croyance populaire veut que les fidèles de la religion catholique soient, plus souvent qu’autrement, vieux comme Mathusalem. Pourtant, même la sœur supérieure (NDLR: la big boss) de la maison provinciale des Filles de Jésus au Québec, Pâquerette Dessureault, ne prêche plus pour sa paroisse : « De moins en moins d’aînés sont croyants », lance-t-elle. Effectivement, selon l’Enquête sociale générale menée par Statistique Canada depuis le milieu des années ‘80, le pourcentage des Canadiens de 60 ans et plus n’ayant aucune appartenance religieuse ou ne participant à aucun service religieux est passé de 22% à 32% entre 1985 et 2004.
Même son de cloche du côté du Mouvement laïque québécois, qui demande neutralité des institutions québécoises. «Lorsqu’on organise des événements, c’est rempli de têtes grises et blanches », constate la présidente, Marie-Michelle Poisson, qui note aussi une augmentation des appels téléphoniques logés (par erreur) à l’organisation concernant les demandes d’apostasie. «L’apostasie, définit Marie-Michelle Poisson, c’est la débaptisation», donc une façon officielle de quitter l’Église catholique.
À qui jeter la première pierre??
Dieu seul sait pourquoi certains aïeuls décident d’envoyer les bondieuseries au diable vauvert. Thérèse Bélanger suppose que certains cessent de pratiquer par manque de confiance envers les hommes de l’Église, qui font les bons apôtres. «Dans le fond y’en n’a pas de péchés. C’est eux qui les fabriquent », s’indigne-t-elle. Thérèse soupçonne les doyens de notre société d’être désillusionnés par la religion catholique. « Notre génération s’est battue pour les droits des femmes, se rappelle la femme. Quand je me suis mariée, les choses qui m’appartenaient sont devenues les propriétés de mon mari. J’avais les mêmes droits qu’un enfant de 6 ans! », s’exclame-t-elle.
La présidente du Mouvement laïque québécois abonde aussi en ce sens. Elle souligne que les « vieux d’aujourd’hui » sont les baby-boomers et les hippies des années 60 et 70, qui étaient loin d’être des enfants de chœur. « Ils ont tout essayé et ont été les artisans de la Révolution tranquille», souligne Marie-Michelle Poisson.
Cumulant 52 années de loyaux services auprès de Dieu, Pâquerette Dessureault croit plutôt que c’est l’entourage des déserteurs religieux qu’il faut montrer du doigt. « Moi j’ai toujours vécu dans des conditions où ma foi a été nourrie et alimentée par des prières et des rencontres avec le Seigneur. Mais aujourd’hui, la publicité invite les aînés au plaisir et à la consommation en leur disant que ça les rendra heureux », dénonce la sœur.
[…] La suite à lire dans le #27 : Spécial âge d’or.