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Entretien avec une « vieille woke »

Cinq ans après son retrait de la vie politique, Françoise David n’a pas dit son dernier mot.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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*Prenez note que cet article date de 2022.*

« Je ne peux pas fermer mes yeux et mes oreilles à ce qui se passe autour de moi », lance Françoise David pour justifier pourquoi elle poursuit toujours à l’aube de ses 74 ans (13 janvier) son engagement militant, presque cinq ans jour pour jour après avoir pris sa retraite de la vie politique active.

C’est dans ce contexte – un prétexte pour prendre de ses nouvelles – qu’on l’a rencontrée par le truchement de la plateforme Zoom. On devait au départ se voir en présentiel, prendre une marche dans notre quartier pourquoi pas, mais le froid sibérien en a décidé autrement.

L’ex-députée de Gouin, porte-parole/fondatrice de Québec solidaire et ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec apparaît à l’écran avec ce visage rassurant qui a fait partie du décor pendant tant d’années. Ce regard franc qui nous manque un peu, avouons-le.

Elle se tient bien droite devant un mur en briques, sur lequel est accrochée une toile intitulée Big Bang d’un certain Raymond Monette. Oh, ce n’est pas un gros nom, inutile d’aller googler l’artiste, mais sa toile est tombée dans l’œil de Mme David lorsqu’elle a visité l’organisme L’Artotèque à titre de députée. « On y prête des toiles et tu payes la location chaque semaine. Je l’ai finalement achetée, j’aimais son dynamisme », souligne-t-elle.

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Si elle se fait un peu plus discrète depuis cinq ans, Françoise David poursuit dans l’ombre son militantisme. Elle écrit et commente parfois l’actualité, lorsqu’on le lui demande, en plus de mener divers projets d’écriture et d’agir à titre de vice-présidente au sein du Mouvement Démocratie Nouvelle (où l’on prône notamment une réforme du mode de scrutin).

Éviter de répéter l’histoire

En pleine forme, elle revient sur son départ de Québec solidaire il y a cinq ans pour des raisons de santé.

« Je m’approchais du burnout, j’en avais déjà connu un. J’en reconnaissais les signes avant-coureurs et je ne voulais pas rejouer dans ce film-là », admet sans détour Françoise David, qui siégeait alors à l’Assemblée nationale, presque au terme d’un deuxième mandat. « Mon moral était atteint. Le mot “réunion” provoquait chez moi des réactions allergiques et la première question que je me posais en me levant le matin était : “À quelle heure je vais me coucher ce soir?” », confie Mme David, qui calcule avoir dormi les deux premiers mois suivant son départ.

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Si elle n’a pas encore fait la paix avec les réunions (surtout en Zoom), la militante n’est jamais bien loin. « C’est ma vie depuis l’adolescence de m’intéresser à ce qui se passe dans ma société et de vouloir y contribuer. C’est le sens de ma vie », résume-t-elle.

«La pandémie a aussi mis à mal nos réserves de gentillesse, de tolérance et, parfois, d’affection (oui, oui, moi aussi!).»

Juste avant les Fêtes par exemple, elle a signé dans La Presse un texte sur la bienveillance, une sorte d’appel à lancer l’année du bon pied, sous le signe de l’ouverture et de l’empathie.

« Mais la pandémie a aussi mis à mal nos réserves de gentillesse, de tolérance et, parfois, d’affection (oui, oui, moi aussi!). Le confinement, les deuils, les maladies graves de nos proches nous ont atteints encore plus que d’habitude. Nous devenons irritables assez rapidement. Le conflit vaccin-pas vaccin a mis notre patience à rude épreuve », écrivait entre autres Françoise David, en nous souhaitant de trouver des « voies de passage » permettant d’avancer collectivement malgré nos divergences. « Ce serait le plus beau des cadeaux que nous pourrions nous donner. »

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Le moins qu’on puisse dire, c’est que les choses ne se sont pas passées ainsi jusqu’ici. L’année qui s’amorce est déjà marquée par les divisions et les tensions. La vague actuelle secoue durement la province et sape plus que jamais notre moral, un sentiment exacerbé par bientôt deux ans de pandémie.

Et on n’évoque même pas les voyages à Cancun d’influenceurs, les chicanes idéologiques et autres trucs anxiogènes qui s’empilent sur les réseaux sociaux, que Françoise David évite au maximum. « C’est pas toujours facile de garder son calme, j’épuise moi aussi mes réserves de bienveillance parfois. Mais le consensus mou ne mène nulle part, il faut continuer à débattre. Je crois profondément à la démocratie et ça passe par le choc des idées. J’en appelle à le faire dans le respect », souhaite Françoise David, qui est justement tombée dans l’engagement social à la naissance.

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Sa famille descend en effet d’une lignée canadienne-française établie à Montréal depuis 1656, dont plusieurs membres se sont illustrés sur la scène politique et culturelle. Son père Paul a fondé l’Institut de cardiologie de Montréal, une de ses sœurs, Hélène, a été ministre de la Culture et des Communications puis ministre de l’Enseignement supérieur sous la bannière libérale (elle est toujours députée de ce parti dans Marguerite-Bourgeoys), tandis que son frère cadet Charles-Philippe a fondé la Chaire Raoul-Dandurand.

Loin de contempler son propre parcours dans le rétroviseur, Françoise David préfère regarder en avant.

Ce qu’elle voit l’inquiète d’ailleurs. « Depuis Noël, je nous sens profondément désemparés », constate-t-elle, citant d’emblée la gestion de la pandémie par le gouvernement au pouvoir.

«s’il y a quelqu’un qui doit répondre de ses actes, c’est François Legault. C’est lui qui dirige le Québec»

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Sans verser dans la partisanerie, elle se demande pourquoi la situation est aussi chaotique alors que le Québec affiche l’un des meilleurs taux de vaccination de la planète, sans compter le recours à certaines mesures draconiennes telles que le couvre-feu (qu’elle n’appuie d’ailleurs pas). « J’ai le sentiment qu’on cherche des boucs émissaires. On réclame la démission d’Arruda (ce dernier l’a remise quelques heures après notre entretien), mais s’il y a quelqu’un qui doit répondre de ses actes, c’est François Legault. C’est lui qui dirige le Québec », affirme Mme David, qui aimerait bien être présente aux fameuses conférences de presse pour lui poser deux-trois questions.

« Je lui demanderais à quoi sert le couvre-feu au mois de janvier. Quel rassemblement redoute-t-il alors que tout est fermé? »

Elle aimerait aussi relever certaines contradictions dans les milieux de travail, où davantage d’efforts devraient être faits pour réduire les risques. « Là, des employés de la SAQ non vaccinés vont demander le passeport vaccinal à la porte. C’est pas logique de présenter son passeport à la SAQ, où on passe quelques minutes, mais pas à l’épicerie, où on passe plus de temps. C’est le règne du flou présentement », tranche sévèrement Françoise David.

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Cette grand-mère aimerait aussi comprendre pourquoi il n’y a toujours pas de purificateurs d’air dans les écoles et pourquoi on ne rapatrie pas du personnel médical du secteur privé pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans les hôpitaux. « Je ne veux pas faire ma gérante d’estrade, mais j’aimerais bientôt entendre le premier ministre prendre des mesures draconiennes à la hauteur de la gravité de la situation », martèle François David.

Le chef de la CAQ venait à peine d’annoncer en point de presse l’imposition d’une « contribution santé » pour les personnes non-vaccinées que Françoise David me partageait ses impressions à chaud via Messenger. « Une mesure décevante et potentiellement inéquitable », à ses yeux, citant un reportage de La Presse dans lequel des médecins expliquent que parmi les personnes non vaccinées, plusieurs sont démunies, isolées, âgées et ne sont pas des antivax à proprement parler. « Des personnes peu fortunées, travaillant au salaire minimum, vont-elles débourser autant que celles et ceux qui ont un revenu élevé? », s’interrogeait-elle.

Morale : tu peux sortir la personne de QS, mais pas le contraire.

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Comme toute est dans toute, son ancien parti sortait dans les médias quelques heures après le point de presse en reprenant sensiblement les mêmes positions que Mme David. La principale intéressée assure n’avoir consulté personne avant. Morale : tu peux sortir la personne de QS, mais pas le contraire.

Françoise David déplore sinon le manque de concertation entre les élu.e.s des différents partis sur un enjeu aussi important que la gestion de la pandémie. « Qu’est-ce qui empêcherait le PM de renouer avec ses premières habitudes de parler chaque semaine aux chefs des autres partis politiques? », se demande Mme David, bien consciente que nous sommes dans une année électorale. « Ce n’est même pas obligé d’être public, mais savoir qu’il y a des modes de consultation et de concertation serait rassurant », ajoute-t-elle.

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Évoluer dans la tourmente

Au-delà de la pandémie, on a l’impression que la société s’est radicalement transformée en cinq ans.

Suffit de penser aux mouvements de dénonciations d’envergure comme Black Lives Matter ou ceux contre les abus sexuels. Les fameux « wokes » ont fait couler beaucoup d’encre aussi, au point d’être consacrés dans le jargon populaire.

Françoise David suit tout ça du coin de l’œil, se demandant parfois où l’on trace la limite de la liberté d’expression. « Est-ce qu’il y a de l’exagération dans certains milieux? Oui. Est-ce qu’il y a un peu trop d’autocensure? Bien sûr, et je ne suis pas d’accord avec ça. Mais il faut chercher le sens commun et poursuivre le dialogue », croit Françoise David, d’avis que certains chroniqueurs et chroniqueuses devraient s’attarder aux vrais problèmes comme la crise majeure dans le logement et la pauvreté ambiante (« imaginez-vous c’est quoi la vie avec un chèque de l’aide sociale? », demande-t-elle) au lieu d’accuser les « wokes » de tous les maux de la société. « C’est des niaiseries et j’espère qu’on va passer à autre chose en 2022. À part quelques radicaux, la plupart des militants croient au dialogue et défendent des personnes à faibles revenus ou marginalisées. Si c’est ça être “woke” et bien je suis une vieille woke! », s’exclame-t-elle.

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En dépit des apparences, Françoise David estime que la société évolue dans le bon sens malgré tout.

«C’est fou comment les choses vont vite parfois. C’est radical de parler de féminicide, mais personne ne rejette aujourd’hui l’usage de ce mot»

Elle évoque par exemple l’introduction du mot « féminicide » dans le langage courant, un terme lourd de sens (tuer quelqu’un parce que c’est une femme) qui aurait été impensable dans les médias il y a quelques années à peine. « On parlait plutôt d’un drame familial, on rapportait les histoires de bons voisins sans histoire. C’est fou comment les choses vont vite parfois. C’est radical de parler de féminicide, mais personne ne rejette aujourd’hui l’usage de ce mot », reconnaît-elle.

Quant au nombre élevé de féminicides qui font les manchettes depuis un an, Françoise David ne cache pas ressentir de l’amertume.

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Une prise de conscience douloureuse, amorcée en marge du mouvement #MeToo : « Des milliers de femmes disaient ensemble “moi aussi”, mentionne-t-elle. Des jeunes femmes dans des universités comme d’autres qui rapportaient de vieilles histoires. Ça m’a rendue très triste, je me suis dit qu’on n’avait pas avancé tant que ça… »

Un dur constat pour quelqu’un qui a consacré sa vie à défendre les droits des femmes, en organisant notamment la célèbre marche Du pain et des roses pour dénoncer la pauvreté des femmes.

Mais ça prendra plus que ça pour saper l’optimisme en béton armé de l’infatigable militante. « Je me disais qu’au moins, les femmes parlaient et avaient brisé le silence grâce à ce mouvement (#MeToo)… »

Françoise David relève à regret que notre société a tendance à attendre les drames avant de se prendre en main. Elle cite la mort tragique de Joyce Echaquan, selon elle l’un des événements les plus terribles des dernières années. « Mais ça a obligé toute la société québécoise à se regarder dans le blanc des yeux, fait-elle valoir. C’est important de ne pas oublier, mais au moins, le Québec progresse. »

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Comprendre la colère pour avancer

L’ex-députée note le chemin parcouru en ce qui a trait à l’ouverture à la diversité depuis la polémique entourant la pièce de théâtre Slàv. « Même si on n’est pas d’accord, c’est important de comprendre l’objet de la colère et d’aller au-delà pour avancer », estime-t-elle.

Si elle demeure très proche de son amie Manon (Massé), elle garde ses distances avec son ancienne formation, qu’elle a pourtant démarrée avec Amir Khadir à partir de la fusion de l’Union des forces progressistes et d’Option citoyenne.

«On n’est pas dans une gauche classique du 20e siècle, mais dans une gauche réinventée et indépendantiste, qui continue à combattre les inégalités»

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Françoise David s’est juré de laisser Québec solidaire mener sa barque comme il l’entend et promet de ne pas jouer les « belles-mères » (elle n’aime pas l’expression parce qu’on l’affuble généralement à des hommes). « Ça ne m’empêche pas de me tenir au courant. Je suis très très fière de ce que QS devient, un parti très audacieux. On n’est pas dans une gauche classique du 20e siècle, mais dans une gauche réinventée et indépendantiste, qui continue à combattre les inégalités », louange Françoise David, qui n’a aussi que des éloges envers le chef Gabriel Nadeau-Dubois, selon elle le seul véritable rival de François Legault à l’heure actuelle.

L’entrevue achève. Françoise David se montre généreuse de son temps, s’exprime avec verve, se défoule un peu.

Je mets fin à la réunion Zoom, sa bouille affable s’évapore de mon écran.

Je réalise en rédigeant ces lignes que même si Françoise David a vécu, voire écrit plusieurs chapitres de notre histoire contemporaine, elle a à peine effleuré le passé.

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C’est beau de voir que même à 74 ans, elle regarde encore vers l’avenir.

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