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Nos boucs émissaires
Les influenceurs sur le party dans un avion n’ont pas le monopole du manque de jugement. Le gouvernement s’illustre à son tour en exigeant un passeport vaccinal pour entrer à la SAQ et à la SQDC.
« On doit malheureusement protéger (les personnes non vaccinées) contre elles-mêmes et protéger notre réseau de la santé », a justifié le ministre de la Santé Christian Dubé en officialisant la nouvelle qu’on voyait venir comme une rupture chez un couple d’OD.
Visiblement désorganisé et dépassé par le virulent Omicron, Québec opte pour une nouvelle stratégie : chercher des boucs émissaires à nos malheurs pandémiques.
Les influenceurs ont servi de défouloir quelques jours, on s’est tous et toutes bien divertis, mais cette mesure coup de poing ramène l’attention sur les vrais méchants désignés de tout ce shit show : les non-vax.
Ah, ils sont faciles à haïr en plus, les snoros! Ils sont bruyants, se filment en multipliant les « fuck you Legault! » habillés comme des figurants de la série Sons of Anarchy et réussissent à un petit nombre (10 % de la population) à paralyser la moitié des lits d’hôpitaux, dont le réseau est en train de craquer de partout.
Des voix s’élèvent de plus en plus nombreuses sur les réseaux sociaux pour sévir contre eux. Même chose en France, où Macron a récemment promis « d’emmerder les non-vaccinés ».
Je ne suis pas plus fin qu’un autre : moi aussi, j’ai récemment évoqué ici ma frustration à l’idée de voir une poignée de récalcitrant.e.s saper les efforts de la masse.
Mais en y réfléchissant un peu, je me dis qu’en agissant ainsi, on nous instrumentalise en nous braquant les un.e.s envers les autres.
On dénonce les gens qui s’adonnent au dogpilling en se mettant en gang pour intimider quelqu’un sur Internet, alors que c’est un peu ce que la CAQ est en train de faire à l’échelle provinciale.
Et pour un PM qui suggérait récemment une trêve d’attaques sur les réseaux sociaux, c’est pas en donnant un bidon d’essence et des allumettes aux internautes qu’on va éteindre les feux.
C’est sans compter cette approche paternaliste préconisée depuis le début, où on punit/récompense les gens au gré des vagues à coup de « contrat moral » ou autre stratégie de communication à saveur de maternelle quatre ans. Une version caquiste de « si tu manges pas ton assiette, t’auras pas de dessert ».
Et je n’évoque même pas le profilage sous-jacent derrière l’idée d’empêcher les non-vacciné.e.s de boire de l’alcool pis de fumer du weed.
J’imagine le brainstorm.
« Baon. On les fait chier comment, ces gens non vaccinés là?
– Humm, ils ont l’air d’une gang de gigons (ou Ostrogoths?) poteux en svp…
– PASSEPORT VACCINAL OBLIGATOIRE À LA SAQ-SQDC! »
Spoiler alert : il est possible de trouver tout ça en dehors des monopoles d’état (pssst : ils peuvent aussi commander en ligne et attendre ça chez eux relaxe en pyjama). Entendez-vous comme moi les vendeurs des cabanes à pot éparpillées sur les communautés autochtones se taper sur les cuisses? Et le Bù est pas si pire au Métro.
Les gens qui résistent au vaccin depuis deux ans n’auront pas soudainement une épiphanie à cause de ça ni aucune autre mesure draconienne. Personne parmi eux ne va se dire : « J’avais pas l’intention de me faire vacciner, mais astheure que tu m’empêches de boire un Brouilly, here I am Clic santé! »
Au contraire, on leur donne une occasion en or de se pomper encore plus contre le gouverneMAMAN et creuser plus profondément le fossé abyssal entre lui et eux. Entre eux et nous.
On ne peut pas les vacciner de force non plus. Ceux et celles qui réclament la vaccination obligatoire devraient m’expliquer comment s’y prendre. On les kidnappe avec un sac de jute sur la tête pour leur shooter une dose de Pfizer, avant de les relâcher et les re-kidnapper deux fois?
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Le couvre-feu de trop
Pendant qu’on s’attarde à démoniser les antivax, on oublie que c’est nous, la majorité, qui nous tapons encore l’ensemble des mesures draconiennes (et les files qui seront encore plus longues à la SAQ à cause du passeport obligatoire). À commencer par cet absurde couvre-feu. T’as beau avoir trois doses dans le bras et n’avoir vu pratiquement personne depuis deux ans, t’as pas le droit d’aller prendre une marche entre 22 h et 5 h. Au moins on a « gagné » le droit de le faire avec pitou. Yé.
Contrairement à l’an dernier, où on justifiait cette mesure extrême comme une façon de contenir le monde en attendant le vaccin, son application n’a plus sa raison d’être et suscite la grogne, même chez les plus modéré.e.s. La goutte de trop pour ceux et celles qui plaident avoir suivi les règles depuis bientôt deux ans et qui ont vu s’écrouler leurs plans de retrouvailles du temps des Fêtes.
L’instauration d’un couvre-feu n’a aucun effet sur le nombre de cas, vient de faire valoir l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui dit s’être penchée statistiquement et scientifiquement sur cette mesure controversée.
Même son de cloche du côté d’un groupe d’expert.e.s provenant du monde universitaire, qui ont récemment taillé en pièces dans une lettre ouverte le bien-fondé de ce couvre-feu « nuisible » et « inefficace ».
Je suis allé me promener hier soir pendant le couvre-feu pour me faire une tête à ce sujet. Qui sait, d’immenses rassemblements se déroulent peut-être dans les parcs ou dans le parking des supermarchés pendant que vous écoutez Don’t Look Up sur Netflix.
Résultat de ma balade de deux heures sous une petite neige trop magique pour être vécue tout seul : j’ai croisé des promeneurs de chiens et des gens qui rentrent du boulot. J’ai notamment jasé avec Kader, un employé du Couche-Tard qui terminait son shift. « Boulot, maison, boulot, maison : côté mental, c’est pas bon », lance le jeune homme en me résumant sa vie depuis deux ans, incluant la quasi-totalité de son DEC en ligne.
J’ai marché jusqu’à chez Jean-Sébastien Fallu, un des experts mentionné ci-haut, qui a signé contre le couvre-feu. Ce professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal m’a parlé de l’effet pervers d’écoeurer le monde qui suit les règles.
« Le couvre-feu est une mesure spectacle qui n’a pas fait ses preuves. On est inquiets pour les personnes vulnérables et nous sommes convaincus qu’on est en train de nuire à notre société à long terme », mentionne Jean-Sébastien, qui s’appuie sur des données de l’INSPQ. Il s’inquiète notamment de l’impact du couvre-feu sur la santé mentale et de la hausse des surdoses chez les personnes marginalisées, déjà observée durant le premier couvre-feu.
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J’ai même croisé Gaëlle, 20 ans, qui revenait seule du travail en pressant le pas. « On a peu abordé l’aspect sécuritaire pour les femmes. Je rentre seule et si je crie à l’aide, qui viendra m’aider? », plaide celle qui parle avec un proche au téléphone tout le long de son trajet de retour.
Tout ça pour dire qu’à l’heure de la troisième dose (qui deviendra obligatoire pour le passeport vaccinal by the way), demandons-nous ce que le respect de toutes ces mesures donne jusqu’ici au juste. Nous sommes en couvre-feu, confiné.e.s, en télétravail, de retour au point de départ.
Plus de transparence
Avant de montrer des gens du doigt, le gouvernement devrait d’abord se regarder dans le miroir. A-t-il pris les mesures nécessaires pour régler les problèmes sous-jacents à la propagation du virus comme la ventilation dans les écoles au lieu de mettre des règles arbitraires? Est-ce vraiment la faute des antivax (voire de la pandémie) si le système de santé ne tient qu’à un fil?
Oui, on peut légitimement être en sacrament contre les non-vax qui se prennent pour Mel Gibson dans Braveheart (je le suis). Oui, il faut faire preuve d’une extrême empathie avec le personnel de la santé à bout de nerfs. Oui, il faut s’inquiéter du délestage, des morts qui grimpent, etc. Oui, il faut continuer à faire des efforts, écouter la science, reconnaître qu’on jongle avec un virus imprévisible en mutation.
À condition que le gouvernement fasse sa job et nous explique avec transparence pourquoi il pose des gestes. Il nous doit bien ça. Qu’en est-il exactement de la situation dans les hôpitaux? Les chiffres font certes peur, mais moins si l’on s’y attarde.
Je vous recommande à ce sujet cette lecture éclairante publiée dans Le Devoir, où l’on apprend qu’entre 30 et 50 % des personnes présentement hospitalisées au Québec qui sont atteintes de la COVID ont été admises spécifiquement à cause du virus. Allez lire ça, sérieux.
Ça ne veut pas dire que le milieu hospitalier n’est pas en train de lâcher et qu’il faut jeter la serviette.
Mais est-ce trop demander d’avoir l’heure juste tant qu’à subir les mesures parmi les plus draconiennes de la planète. Qui est hospitalisé au juste? Quel âge ont les gens qui en souffrent le plus? Y aurait-il une façon, cette fois, de circonscrire le risque de manière moins transversale et plus chirurgicale pour protéger les personnes particulièrement vulnérables au virus?
L’année s’amorce. Sur mon fil Facebook, le monde se souhaite de la bienveillance et de l’empathie, du respect aussi.
Le gouvernement devrait être au-dessus de la mêlée, savoir que diviser pour régner ne fonctionne pas.
Sur ce, je vais aller à l’espace Cellier, pendant que j’ai encore le droit d’y entrer avec mes deux doses.
Et concentrons-nous de grâce sur les réels problèmes du système de santé plutôt que sur le contrôle aux portes de la SAQ.