Autopsie du « Sunwing gate »

Éteignez Netflix, CRAVE et autres plateformes de streaming : la téléréalité de l’heure se passe dans la vraie vie, en direct sur vos réseaux sociaux.

La société québécoise au grand complet est rivée sur ses écrans afin de suivre les déboires d’une centaine d’influenceurs, dont certain.e.s sont encore pogné.e.s dans le Sud au moment d’écrire ces lignes.

Québec, 30 décembre 2021, 17 h. Point de presse. François Legault annonce aux Québécois.es que leur jour de l’An tombe à l’eau. Sorry not sorry, les chums!

Pendant ce temps, une désormais (tristement) célèbre centaine d’influenceurs embarque sur un vol nolisé par la compagnie Sunwing direction Cancún. Let’s gooooo!

Quelques heures plus tard, la page Instagram OD Scoop, consacrée à la diffusion de contenu exclusif à propos d’Occupation Double et autres potins (telle que l’épique discorde entre Elisabeth Rioux et Alicia Moffet) partagent les premières images du vol, initialement diffusées sur les réseaux sociaux par les voyageuses et voyageurs eux-mêmes (!).

On les voit se déchaîner comme si on était en 2019 : consommation d’alcool personnel et vapotage de cigarettes électroniques, danse debout sans masque, prise de possession illégale de la cabine des employé.e.s et, attention lecteur.trice.s sensibles, actes sexuels en plein vol.

De stories en stories, de publications choc en publications choc, un nom revient : James William Awad de 111 Private Club. L’enquête se poursuit.

111 Private Club, apprendra-t-on plus tard, est une organisation pilotée (pun intended) par un certain James William Awad. Ce dernier a organisé un voyage dans le Sud du 30 décembre au 5 janvier, conviant un groupe d’influenceurs et de vedettes de téléréalités. Parmi eux, Karl Sabourin d’Occupation Double, ainsi que les candidates de L’île de l’amour Sandrine Séguin, Anna-Maëlle Laprise et Isabelle Labrecque (une pilote!). Ce séjour de rêve qui tournera au cauchemar comprend l’hôtel tout inclus, un avion privé avec DJ et repas, ainsi que différents événements et excursions.

« J’ai jamais give up! […] Bienvenue au 111 Private Club, c’est juste le début. C’est notre premier voyage en groupe et on va en faire plusieurs comme ça! », déclare fièrement James William Awad à l’intercom de l’avion, un collier de fleurs autour du cou. Tel un gourou, ce dernier est acclamé par ses festifs adeptes.

Au moment d’écrire ces lignes, nous découvrons l’existence d’une page Wikipédia « Scandale du 111 Private Club » où on peut en apprendre davantage sur ce voyage sympa qui passera assurément à l’histoire.

4 janvier 2022. Les premiers reportages dans les médias dits traditionnels commencent à paraître, annonçant que des influenceurs de chez nous sont dans un « sérieux pétrin pour un party dans un avion ».

« Quand @tvanouvelles et @jdemontreal partagent la nouvelle 4 jours après OD scoop… », écrivent fièrement les administrateurs de la page Instagram depuis surnommée le Gossip Girl québécois par Hugo Dumas de La Presse.

Dès lors, les Québécois.es confiné.e.s et sans doute un peu bored développent une véritable obsession pour cette saga qui n’en finit plus de finir. Du pain et des jeux, comme disaient nos amis de la Rome Antique.

Pendant ce temps, James William Awad semble très fier de l’attention accordée à son petit événement.

Mardi matin. Isabelle, Anna-Maëlle et Sandrine de L’île de l’amour publient une vidéo expliquant qu’elles dormaient durant le vol (une excuse digne d’un Khaled qui prétend qu’il n’a « pas bougé », à mon avis…) et n’ont donc pas pris part aux festivités aériennes, qui commencent d’ailleurs à faire jaser un peu partout dans monde. Disons qu’on aime mieux que le Québec fasse les manchettes pour parler du hoodie UQAM de Denis Villeneuve!

31 décembre. Ça s’agite du côté de nos vacanciers et vacancières, qui sont malgré eux en train de nous offrir la téléréalité la plus épique de l’année. Capitaine Rebondissements peut aller se rhabiller.

17 h 03. James William Awad lance un message important à ses membres : « J’ai reçu un appel de Sunwing. J’ai besoin que tout le monde achète son billet pour Montréal. Ça sera le plus sage pour tout le monde! Vous serez remboursés. Faites juste envoyer un email à [email protected] avec votre facture. Le remboursement sera fait dès que possible. Un billet c’est environ 350$. Svp, c’est la seule chose que je demande, comme ça personne ne sera checké au retour et on évite tous les journalistes à l’aéroport. »

18 h 07. Anna-Maëlle cherche de la Vaseline.

18 h 08. « Disizjaf » annonce qu’il a malheureusement fini sa Vaseline ce matin.

18 h 09. Anna-Maëlle qualifie sa quête de « Trafic de Vaseline » [sic].

Imaginez-vous donc que ceux-ci tenteraient de fausser les résultats de leurs tests PCR, une stratégie qui ne tient pas la route selon des spécialistes interrogés par le 24 heures.

Pendant ce temps, OD Scoop, toujours très à jour dans le dossier, publie des captures d’écran révélant les comportements problématiques des voyageurs et voyageuses : consommation de drogues en présence d’enfants, relations sexuelles à la piscine, attitudes irrespectueuses envers les employé.e.s de l’hôtel, harcèlement, etc. Je ne veux pas parler pour eux, mais leurs parents ne doivent pas être fiers en voyant ça…

4 janvier, 18 h. « Vol de retour annulé pour les influenceurs québécois sur le party. Sunwing abandonne 154 fêtards québécois à Cancún, au Mexique », annonce en grande pompe le Journal de Montréal. Oups!

Branle-bas de combat à Cancún. Évidemment, ça continue de brasser sur OD Scoop, qui gagne des milliers d’abonné.e.s au rythme de ses publications toutes plus virales les unes que les autres.

Différentes informations circulent : paniqués, les vacanciers et vacancières tentent de réserver des vols avec d’autres compagnies afin de revenir au Québec via les États-Unis, ce qui leur permettra également d’éviter de potentiels journalistes à l’aéroport.

De son côté, le journaliste de LCN Yves Poirier est déterminé à les intercepter « Des influenceurs sur le party veulent éviter les journalistes. Dommage, je serai à l’aéroport Mtl-Trudeau mercredi pour vous accueillir », a-t-il annoncé sur Twitter.

Pendant ce temps, Air Transat et Air Canada s’en mêlent et refusent également de ramener les influenceurs au pays. Re-oups!

4 janvier. 10 h 55. Rebecca St-Pierre, 19 ans, lance un cri du cœur sur Instagram, un véritable appel à l’aide. Positive à la COVID-19, la jeune étudiante de Trois-Rivières affirme avoir gagné un concours, ne sachant pas dans quoi elle s’embarquait. « J’ai 19 ans, je suis prise au Mexique, j’ai le COVID […] j’ai pas d’argent. C’est stressant. Y’a tu quelqu’un qui peut m’aider? » déclare une Rebecca larmoyante par voie de notes vocales. Choupette!

5 janvier, midi. Je suis brûlée mais j’en veux plus. Ça tombe bien, mes fils Facebook et Instagram ne parlent que de ça. Même Justin Trudeau, une crise sanitaire plein les bras, déclare : « Quand une gang de sans-desseins décident de partir en vacances comme des ostrogoths, c’est démoralisant. »

16 h. Le burger bar La Belle et La Boeuf lance leur fameux « Burger Influenceur Tulum » fait à partir de « Gros jambon, gros piment, gros sans dessein, gros ostrogoths ». Si ce n’est pas du pur génie, je ne sais pas quoi vous dire.

15 h. Ariel « la reine du lip sync » Charest s’empare d’une vieille entrevue de la cycliste Geneviève Jeanson accordée à Alain Gravel en 2007, afin de parodier le scandale de l’heure.

17 h 21: Le vrai Alain Gravel tweet la vidéo. #LifeGoal.

19 h 20. Une quinzaine de vacanciers et vacancières trouble-fête arrivent à Montréal, attendus de pied ferme par les autorités et quelques journalistes. Des « C’était malade le gros! », « Je t’emmerde big […] Décalisse bro. » ainsi que de joyeux « Hostie de fif », « tapette » fusent à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau. Édifiant.

21 h. L’humoriste québécois Arnaud Soly s’empare de l’affaire et livre un LIVE FROM TULUM sur Instagram. Au menu, casquette à l’envers, spray tan, Vaseline et vapoteuse.

6 janvier. 9 h. J’ouvre mes réseaux sociaux, prête à poursuivre mon enquête compulsive. Encore une fois, on ne parle QUE DE ÇA. On en oublie presque que la brillante Chantal Machabée est nommée vice-présidente du CH et que ce sont les un an de l’assaut du Capitole.

Aujourd’hui, les médias se questionnent de manière un peu plus sociologique. « L’affaire Sunwing, début de la fin pour les influenceurs? » soulève Le Devoir. « Quels impacts pour Sunwing? » se demande La Presse.

Pour leur part, d’autres médias ont évidemment enquêté sur le fameux James William Awad, dont ce n’est même pas le vrai nom (ah oui, OD Scoop le savait depuis la veille!). On apprend également que l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait déjà un œil sur le jeune homme aux centaines de milliers de (faux) abonné.e.s sur les réseaux sociaux.

De plus, « l’AMF a lancé en 2015 une “mise en garde” formelle contre l’organisateur du controversé voyage d’influenceurs près de Cancún, James William Awad, qui portait à l’époque [le nom de Kevin Awad] », lit-on dans La Presse.

12 h. Je croule sous les articles, les informations, les memes et les stories. Je suis complètement épuisée, fascinée, choquée de cette histoire. Soudainement, je découvre ENFIN la déclaration officielle de « Whatever his name is » Awad. Eh oui, comme tout bon leader, ce dernier a créé un Blogspot afin de procéder à sa prise de parole tant attendue.

Non, vous ne rêvez pas!

Sur les réseaux sociaux, dans les journaux et les conversations privées, le Sunwing gate continue de faire rage. Les influenceurs de malheur, dont je suis moi-même les péripéties à OD et autres émissions insulaires, recevront-ils la punition qu’ils méritent? Verront-ils leur popularité péricliter au rythme de leur bronzage fièrement acquis à Cancún? Admettront-ils leurs torts avec humilité?

D’ici là, je nous invite collectivement à réfléchir à qui sont les personnes que, à coup de likes, nous élisons et plaçons sous le soleil.

À bon entendeur, salut (big)!