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Démons du midi

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Ce texte est extrait du #27 Spécial Age d’or, maintenant dans les kiosques.

Il aura 73 ans, elle, 76. De 1987 à 1993, Gilles Latulippe et Suzanne Lapointe ont animé Les Démons du midi et fait rire les têtes blanches du Québec avec des blagues de mononcle et des sketchs burlesques.

L’émission, maintes fois parodiée, dépassait parfois le million de téléspectateurs – un exploit pour la case horaire du midi. Devenus presque indissociables l’un de l’autre, les deux animateurs se retrouvent pour parler d’âge d’or et de bon vieux temps.

Gilles Latulippe m’attend devant le cabaret La Tulipe. Avant de devenir le temple du Pop 80, son Théâtre des variétés a accueilli pendant 33 ans les numéros de burlesque de la Poune et du Capitaine Bonhomme.
– C’est vous que j’attends? Suivez-moi, sinon vous trouverez jamais la porte.
En effet. On se dirige vers la ruelle de côté où les clients du La Tulipe planquent leurs bouteilles d’alcool le vendredi soir pour aller siroter moins cher quand la chanson est plate. Une entrée cachée mène aux bureaux de monsieur Latulippe. Un grand décor de théâtre d’été rose et blanc traîne au milieu de l’endroit. Un homme vient dire à Gilles qu’il n’aura aucun problème à transporter la structure à Drummondville.
– Vous jouez à Drummondville cet été, M. Latulippe?
– Oui, tout l’été. J’arrête pas. Dites-moi, y’était pas supposé y avoir une fille avec vous?
– Euh… Oui. Suzanne Lapointe.
– Ah, Suzanne va être là? Ben c’est l’fun ça. Elle doit être en retard. Ça fait rien, dit Symphorien. Elle sait par où passer.

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Pendant qu’on attend la grande rieuse, je lui raconte que lorsque j’étais petit, je ne ratais jamais un épisode de Poivre et sel (1983-1987), une comédie de situation enregistrée devant public. Gilles Latulippe et Janine Sutto y jouaient un couple de vieux qui venaient de tomber amoureux. Du vrai théâtre d’été au petit écran, avec des Yves Jacques et René-Richard Cyr débutants. «Les Démons du midi, c’est arrivé par hasard, commence-t-il. Après Poivre et Sel, on devait faire une autre comédie de Gilles Richer qui s’appelait L’Auberge Inn. Mais il était trop malade pour l’écrire. Radio-Canada était prise avec mon contrat, donc ils m’ont envoyé aux variétés.» Ça ne devait durer qu’un an. Finalement, Gilles et Suzanne ont fait 1050 émissions. Michel Barrette et France Castel ont des croûtes à manger.

— Est-ce qu’y a quelqu’uuun???

Pas de doute, c’est la voix de Suzanne Lapointe derrière le mur.

— J’étais en train de parler contre toi, viens t’en! lui lance Gilles.

Les deux se serrent longuement dans leurs bras, le regard brillant; ils ne se sont pas vus depuis presque deux ans.

Il a les cheveux plus gris, elle a moins de paillettes et plus de rides, mais les bouilles sont les mêmes. Ils ont maintenant l’âge du public des Démons. Elle s’assoit… et le rire commence. Ce même rire incontrôlable, le rire aux larmes qui sévissait de 12h30 à 13h30. «Je m’en venais dans l’auto, puis j’essayais de me rappeler les souvenirs, et… hi hi hi… ha ha ha…», essaie-t-elle d’expliquer.

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Ça y est, je tombe sous le charme de Suzanne. C’est contagieux, le rire.

«C’est moi qui ai trouvé le nom des Démons du midi, précise Gilles. Parce que l’émission a commencé le jour de mes 50 ans, le 31 août 1987». Le concept des Démons était simple : un « variétés » en direct du Studio 42 de Radio-Canada, un monologue au début, des artistes invités, et surtout, un long sketch d’une dizaine de minutes pendant lequel Gilles alignait les punchs et Suzanne riait à gorge déployée. Dans l’audience, des groupes de l’âge d’or provenant de partout au Québec. Des blagues de mononcle, oui, mais de catégorie AAA.
«Au début, on n’était pas supposé jouer un sketch tous les jours, mais les gens se sont mis à le réclamer, dit Gilles. Sauf qu’il fallait l’écrire, ce maudit sketch-là! En plus du monologue du début! C’était un travail colossal. Mettons qu’on recevait Roch Voisine, ben je devais écrire mon sketch en fonction de lui, parce qu’il jouait dedans. C’était le contraire du bon sens!»
C’était le principe de Saturday Night Live, sans les dizaines d’auteurs. Beaucoup d’artistes ont joué dans les saynètes des Démons, y compris Petula Clark et Charles Aznavour. Même Maurice Richard, qui n’était pas l’homme le plus volubile du monde. Ils ont aussi reçu Céline Dion et toute sa famille. « Je me souviens… j’avais la taille plus forte que maintenant et j’avais dit à Céline :“Prête-moi ta robe, de toute façon, on est de la même taille! ” évoque Suzanne.

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Une trâlée d’humoristes ont commencé leur carrière aux Démons, dont Stéphane Rousseau, Lise Dion, Jean-Michel Anctil et Mario Bélanger. «Si vous saviez le nombre de jeunes humoristes qui nous disaient qu’en venant ici une fois par mois, ça payait leur loyer», explique Gilles. Mais le plus grand plaisir de l’émission, c’était de jouer des tours pendables à Suzanne pour qu’elle se fende la pêche. Gilles se rappelle :
— Une fois, elle devait chanter. Pendant qu’elle était dans sa loge, j’ai dit au public : dès qu’elle commence à chanter, tout le monde se lève et sort.
— La pire sensation!, s’esclaffe Suzanne.

Une autre fois, tandis qu’elle entonnait le triste Lac de Côme de Fernand Gignac, dans un décor emboucané par les machines à fumée, des gens sont sortis de la brume en poussant des cris primaux, habillés en monstres ou en chevreuils. «J’ai été incapable de continuer !» pouffe-t-elle.

À un autre moment, pour l’anniversaire de Suzanne, l’équipe avait téléphoné à toutes les Suzanne Lapointe de la province. Une vingtaine d’entre elles sont sorties du décor quand l’animatrice a été présentée au début de l’émission.

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Pendant les sketchs, les « cue cards » de Suzanne étaient aussi régulièrement placées à l’envers, ce qui la forçait à se contorsionner pour lire son texte.
— Et c’est sans compter le nombre de fois où un machiniste s’était caché dans le réfrigérateur pour lui faire le saut quand elle ouvrait la porte, dit Gilles.
— Je poussais un de ces cris chaque fois!, rigole Suzanne.

[…] La suite à lire dans le #27 : Spécial âge d’or.

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