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J’ai le goût de lancer un nouveau petit concept de chroniques. Je ne vous apprends rien en vous disant qu’on est prisonnier d’une société du spectacle où tout le monde compétitionne pour son 15 minutes de gloire dans un univers où l’influence est plus que jamais une monnaie sociale – un passeport vers une vie de confort au milieu d’une dèche généralisée.
Chaque jour, nous sommes bombardés de nouvelles relatives à la culture populaire qui m’exaspèrent, me laissent perplexe ou m’enragent. Dans cette économie de l’attention, la culture pop carbure au rage baiting et devient le terrain de jeu de toutes les tentations, indignations et procès. Parce que je ne suis pas meilleure qu’une autre, j’ai besoin d’un espace où je peux process, c’est-à-dire un endroit où je peux commenter, analyser et rire un peu du chaos pour tromper tous ces jours où je suis en proie au désespoir (tsé, à cause du fascisme pis toute *gesticule*).
Bienvenue à Bitchologie, parce qu’il faut bien bitcher un peu, beaucoup, avant la fin du monde.
Allô,
Je suis cette personne qui n’aime pas Taylor Swift, malgré plusieurs tentatives d’être dans le coup. Mais je ne suis pas une full blown hateuse. Après tout, j’aime quelques singles : Mine, Safe and Sound, Blank Space, Style, Hands Tied, Willow et, plus récemment, The Fate of Ophelia (qui ressemble à une toune de Clara Luciani, ô Max Martin, you devil), mais je demeure à ce jour incapable de reconnaître les premières notes de All Too Well, l’hymne officiel des Swifties récemment placé dans le top 5 des meilleures chansons du 21e siècle jusqu’à présent par le magazine Rolling Stone.
La chanson m’emmerde au point où je me suis endormie durant la version de 10 minutes qui joue durant le Eras Tour (que j’avais été voir au cinéma en ma qualité de fille à pédés).
Quand j’ai repris mes esprits, Taylor était déjà rendue au bloc consacré à l’album 1989. Les Swifties auront donc compris que j’ai dormi durant tout le segment dédié à l’album Folklore, un de leurs favoris. Oups, look what she made me do.
Bref, chaque fois que j’explique que je n’aime pas particulièrement Taylor Swift, je me fais ramasser par des femmes blanches en colère qui m’accusent d’être de mauvaise foi, voire d’être carrément misogyne, selon des critères qui semblent dictés par Miss Swift elle-même. Car la starlette a pris cette fâcheuse habitude d’assimiler certaines critiques légitimes envers sa personne et son travail au mot en m. Et ce qui est sous-entendu par ses fans, mais jamais nommé explicitement, c’est que je serais misogyne ET raciste, parce que je méprise une femme blanche.
Dans un revirement spectaculaire dont elles seules ont le secret, les Swifties appliquent une grille de lecture intersectionnelle à leur idole, supposément victime d’oppressions croisées : le sexisme et la misogynie, oui, mais aussi le racisme, apparemment, parce que Taylor Swift est le porte-étendard par excellence de la construction sociale de ce qu’est la féminité blanche, du girlhood au womanhood.
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Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus blanche
Taylor Alison Swift, qui a grandi dans le sud des États-Unis, incarne la pureté virginale attendue de ce qu’on appelle les « Southern Belles », c’est-à-dire des femmes blanches de bonne famille, héritières d’un certain art de vivre qui évoque la foi chrétienne, l’opulence, le raffinement et l’hospitalité supposément légendaire du Sud (possible uniquement quand on fait abstraction de l’esclavage, I guess).
Cet héritage est évidemment accentué par sa génétique (sur laquelle elle a peu de contrôle, j’en conviens) : blancheur, minceur, hauteur, blondeur, incarnant, bien malgré elle, le plus grand fantasme des suprémacistes blancs.
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Ils la voient comme une des leurs; la bonne épouse qui assure le renouvellement de la nation, la demoiselle en détresse qui attend ses prétendants en soupirant, la princesse Disney par excellence avec une touche de modernité (le rouge à lèvres carmin que sa mère ne voulait pas qu’elle porte au début de sa carrière).
Un rôle qu’elle accepte sans broncher pour mon plus grand agacement. Taylor Swift ne fait en général pas grand chose pour se distancier de ces ploucs-là. Une fois de temps en temps elle se trouve un token black friend avec qui se pavaner en ville (mes hommages à Todrick Hall, Ice Spice et Jerrod Carmichael) avant de le jeter aux poubelles, comme elle a fait avec son gal squad de l’époque de Bad Blood.
Bref, pour en revenir à mon « opignon » sur Taylor Swift et les accusations qui pèsent sur moi, sachez que je ne suis pas raciste : j’ai des amies blanches sur mon Spotify! Sans blague, j’écoute majoritairement de la pop défendue par des femmes blanches, des divas aux lolitas en passant par les « motherfucking princesses » : Britney, Xtina, Céline, Kylie, Madonna, Shania, Avril, Lily, Hayley, Grimes, Lana, Lorde, Gaga, Dua, Billie, Charli, Carly, Chappell, Sabrina, Ariane, Lou-Adriane, etc.
J’aime juste pas Taylor.
Elle m’épuise.
Je pense que ce qui me dérange le plus chez Taylor Swift, c’est qu’elle est la personnification du white victimhood, cette posture de femme blanche délicate, perpétuellement incomprise, qui transforme chaque contrariété en épopée tragique. Taylor Swift, c’est l’incarnation contemporaine des white woman’s tears, ces larmes qui ont maintes fois été utilisées dans l’Histoire comme outil politique pour infantiliser les femmes blanches à leur avantage afin de les déresponsabiliser (surtout quand elles malmènent d’autres personnes marginalisées) et les dépeindre comme des créatures innocentes à protéger coûte que coûte.
La chanteuse, réputée pour son génie marketing, est suffisamment intelligente pour savoir ce qu’elle incarne et a surfé pendant toute sa carrière sur son statut de femme-enfant qui passe son temps à se lamenter dans son lit ou à la fenêtre en attendant son prince.
Or, plus le temps passe, plus son manque de maturité transparaît dans ses textes. La chanson Wood, tirée de son plus récent opus, dans laquelle elle parle du pénis de son fiancé Travis Kelce, est un formidable exemple de fausse pureté virginale poussée jusqu’au ridicule. Sur un air emprunté aux Jackson Five, elle chante les louanges de la « baguette magique » de Kelce en insistant, once again, sur l’amour et le conte de fées qui servent de justification à la sexualité, comme si cette dernière ne pouvait exister de manière autonome.
Forgive me, it sounds cocky
He [dick]matized me and opened my eyes
Redwood tree, it ain’t hard to see
His love was the key that opened my thighs
Taylor Swift a 35 ans, mais elle écrit comme si elle en avait 22. Son dernier album sonne comme le journal intime d’une jeune vingtenaire, où tout est ramené à l’amour, la trahison et la pureté perdue sans le moindre commentaire social sur le monde qui l’entoure. On dirait qu’elle stagne (si on compare à 1989) ou pire, qu’elle régresse, s’accrochant désespérément à cette image d’éternelle ingénue parce que le pouvoir des femmes blanches comme elle réside dans la fragilité et l’innocence. Passé ce cap, elles deviennent invisibles, remplacées par la nouvelle saveur du mois.
J’ai l’impression que la société les conditionne tellement à vivre dans le regard des autres, qu’elles mettent tous leurs œufs dans le même panier, celui du cuteness et de la désirabilité.
Or, quand ton capital repose sur ta capacité à incarner la jeunesse et la pureté, la moindre ride, le moindre changement ou la moindre prise de position te rend soudain « trop ». Trop vieille, trop woke, trop usée. Alors, pour continuer d’exister, il faut rejouer sans cesse la même partition de victime douce et inoffensive : pleurer au bon moment, se placer en opposition aux autres femmes à coup de rivalité unidirectionnelle, surjouer la candeur, et espérer que le monde t’aime encore un peu.
Ugh.
Malgré toutes mes réserves, je suis capable de reconnaître l’importance d’une Taylor Swift dans l’industrie du divertissement. La blonde chanteuse a influencé toute une nouvelle génération de jeunes femmes en quête de modèles plus authentiques. Taylor Swift a prouvé qu’une fille pouvait être en contrôle de son image, de son histoire et de sa musique. À ses débuts, elle écrivait des chansons sincères sur l’amour et la peur d’être inadéquate. Elle a fait ses classes, appris à jouer de la guitare et à composer, lui permettant ainsi de défendre l’idée que les adolescentes peuvent être des autrices redoutables et des sujets à part entière, valides sans avoir à passer par la case de l’hypersexualisation. Et ça, dans une société où on se permet de mépriser et dénigrer ouvertement ce que les filles et les jeunes femmes aiment, c’est un tour de force.
Taylor Swift est bel et bien une figure féministe, mais son féminisme reste de surface. Et il est là le danger. On lui attribue beaucoup de qualités qu’elle n’incarne pas vraiment. Difficile de croire à l’émancipation d’une femme dont l’œuvre entière tourne autour du male gaze.
Malheureusement pour moi though, Taylor Swift vit rent free dans ma tête, et tout ce que je sais sur elle, je l’ai appris bien malgré moi.
Teyana Taylor : cachez ce bounda que je ne saurais voir
À l’autre bout du spectre de l’expérience féminine, on a celle de la chanteuse et actrice afro-américaine Teyana Taylor, vedette du plus récent film de Paul Thomas Anderson (PTA pour les intimes), One Battle After Another, aux côtés de Leonardo DiCaprio.
Dans ce film que tout le monde semble avoir aimé sauf moi (j’ai trouvé ça plate, truffé de longueurs et d’incohérences), Teyana Taylor et Leo DiCaprio incarnent essentiellement ce que Donald Trump appellerait des antifas.
L’intrigue se déroule en sol américain, à une époque jamais précisée. En fait, il s’agit d’un futur si proche qu’il ressemble à s’y méprendre à notre présent. Les États-Unis sont devenus fascistes en bonne et due forme, dirigés par des suprémacistes blancs en cravate. La police et l’armée patrouillent les rues, les dissidents sont traqués, les immigrants, principalement latinos, sont enfermés dans des cages. Ça vous rappelle quelque chose?
Le fascisme, c’est ici et maintenant, nous dit essentiellement le film, dont la plus grande force est de montrer comment il s’installe de manière si insidieuse que la plupart des gens ne le remarquent pas. PTA illustre bien comment l’écrasante majorité de la population, celle qui bénéficie d’un certain confort, poursuit sa vie comme si de rien n’était pendant que l’étau se resserre autour des personnes marginalisées.
Et quand la majorité silencieuse sort enfin de sa torpeur, il est déjà trop tard.
On cligne des yeux et soudainement, on est dans un État totalitaire où les droits et libertés de l’ensemble citoyens n’ont plus de valeur et où plus aucune institution ne les protège.
Dans ce film prémonitoire, Teyana Taylor et Leonardo DiCaprio incarnent un couple de rebelles révolutionnaires, membres de la résistance déterminée à renverser le régime.
J’étais contente de voir une femme noire incarner un tel rôle à l’écran et j’espérais voir en Teyana une héroïne à la hauteur d’une Angela Davis ou d’une Assata Shakur (deux femmes extraordinaires à mettre dans votre panthéon féministe, cliquez sur les hyperliens, enweillez).
Lololol, comme j’ai été naïve.
Devant la lentille de PTA, Teyana Taylor est juste un cul.
Son corps, taillé pour le male gaze à la manière des Kardashian, est un objet de fascination durant le premier tiers du film. À la défense de PTA, Teyana Taylor est un cas particulier qui teste ma tolérance en matière de chirurgie esthétique : elle est tellement refaite qu’elle n’a plus du tout l’air humaine. Je sais, je sais, son corps, son choix, mais c’est vraiment difficile, ici, de faire fi de ce que Nelly Arcan aurait qualifié de burka de chair : un corps-laboratoire, charcuté dans un élan de dysmorphie corporelle et construit sur mesure pour incarner un fantasme ambulant fait de boules dures pis de cul remonté.
Voyez par vous-même dans ce clip qui date de 2016 (c’est pire dans le film de PTA) :
Cette image semble avoir plu à PTA, qui en a profité pour ressusciter le stéréotype raciste de la « Jezebel », aka la femme noire tentatrice à la sexualité insatiable et quasi bestiale qui n’existe que pour corrompre le bon et vaillant homme blanc.
L’archétype de la Jezebel a été créé pour justifier le viol des femmes noires durant l’époque de l’esclavage. Les maîtres de plantation n’étaient pas des violeurs, comprenez-vous : ces hommes de foi avaient simplement été corrompus par de viles tentatrices. Et c’est bien cette vile tentatrice que PTA choisit de mettre en scène dans son film.
Vous pensez que j’exagère? Le personnage de Teyana Taylor s’appelle… Perfidia. Oui, oui, comme dans « perfide » qui veut dire dangereux, nuisible, traître. Et elle corrompt le personnage de Leo, un bon bougre, mais aussi celui de Sean Penn, un homme censé être raide comme la justice. On a aussi droit à un autre personnage féminin noir qui utilise le pseudo Junglepussy (son nom d’artiste dans la vraie vie, mais mis en scène de manière complètement débile dans le film).
Faites ce que vous voulez de ces informations.
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Bref, Perfidia n’aime pas le sexe. Elle ADORE le sexe. Elle veut tout le temps du sexe. Bonus si c’est avec un homme blanc. 100 points pour Gryffondor si c’est entre deux actions militantes.
« Babe, let’s fuck when the bomb goes off », susurre-t-elle, haletante, la main su’l paquet de Leo après avoir posé un engin explosif.
Perfidia est prête à sacrifier sa famille, sa mission, sa nation pour avoir de la sexualidad. Et c’est tellement une femme de mauvaise vie qu’après avoir enfanté, la Jezebel ne supporte pas la vue de son propre bébé, une fille, parce qu’elle se sent en compétition avec pour l’attention du père.
Soupir
Dans ce film, les femmes noires qui ont la peau plus foncée sont bruyantes, vulgaires, chaotiques et hypersexualisées, alors que les femmes noires à la peau plus claire sont vertueuses, spirituelles, disciplinées et dignes. C’est tellement gros que ça en devient gênant. Je ne vous parle même pas du personnage non binaire fourbe, un autre archétype de merde qu’on retrouve dans le film de PTA. Et pourtant, la critique n’a rien relevé, en pâmoison devant le prétendu génie du réalisateur.
Le plus ironique? Paul Thomas Anderson est marié avec la célèbre comédienne et humoriste Maya Rudolph, une femme afrodescendante elle-même issue d’une union interraciale. Ensemble, ils ont 4 enfants. À plusieurs moments dans One Battle After Another, j’ai senti que Paul Thomas Anderson cherchait en quelque sorte… à se racheter. Comme s’il cherchait à s’excuser d’avoir négligé de mettre en scène la diversité qui colore sa propre vie dans ses films qui sont habituellement plus blancs que blancs. L’union interraciale sert vraiment de trame de fond au film, car, on finit par le comprendre, le métissage est présenté comme l’ultime arme de résistance face au suprémacisme.
Écoutez, l’intention est noble, c’est juste qu’à un moment donné, les efforts de PTA deviennent une enfilade de moments cringe.
Ça va du personnage de Leonardo DiCaprio qui crie : « J’aime les femmes noires » dans un moment de félicité qui sonne faux, à celui de Sean Penn qui lui demande quelques scènes plus loin : « Aimes-tu les filles noires? Moi, je les adore, je les adore ». Puis, une heure plus tard, retour sur le personnage de Leo qui sanglote en racontant qu’il n’a jamais appris à coiffer les cheveux frisés de sa fille métisse.
Je veux bien croire que PTA cherchait à rendre hommage à la diversité et aux femmes noires, mais au final, nos corps servent surtout de toile de fond à sa thérapie personnelle qu’il s’est payée sur grand écran. Honnêtement, on s’en serait bien passé.
Sur ce, j’ai fini de bitcher pour cette semaine. À la prochaine chicane!
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