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Se chercher un appartement en pleine crise du logement à Montréal
«J’allais mettre mes meubles sur le trottoir dehors et aller dormir dans un McDonald’s», soupire Mohamed*, qui est en contact avec des organismes et la ligne d’urgence mise en place par la Ville, à quelques jours d’être évincé du logement qu’il habite depuis cinq ans dans Villeray.
«J’attends un appel de l’Office municipal d’habitation, alors c’est possible que je doive raccrocher pendant l’entrevue», me prévient-il au début de notre appel.
Je voulais le rencontrer en personne dans son logement, mais Mohamed (sa proposition de prénom fictif) tenait à son anonymat et me l’a rappelé plusieurs fois au cours de notre entretien.
C’est qu’il jongle avec l’idée d’entreprendre des démarches judiciaires à l’endroit de son propriétaire. Celui-ci dit qu’il reprend l’appartement pour que ses parents y habite, mais Mohamed pense que c’est un mensonge et qu’on tente de l’évincer sous un faux motif.
«Les prix sont exorbitants et les logements sont rares. Je ne suis pas capable d’en trouver un abordable, décent et sans coquerelles.»
D’ailleurs, les parents en question n’habiteraient même pas au pays et, aux dernières nouvelles, c’est un frère du proprio qui prendrait finalement possession de l’appartement en attendant leur arrivée, ce qui contrevient malgré tout aux règlements de la Régie du logement. La reprise est autorisée pour des parents ou des enfants seulement, ou encore un parent proche à la charge du proprio. «Si c’est vraiment pour ses parents, tant mieux, mais si c’est juste pour s’enrichir à mes dépens, je vais prendre des moyens de me défendre», avertit Mohamed, qui se sent impuissant dans cette histoire.
En ce moment, son loyer est de 600$ par mois pour un trois et demi, ce qui clashe avec ce qui est disponible sur le marché locatif en ville. «C’est un gros choc pour moi. Les prix sont exorbitants et les logements sont rares. Je ne suis pas capable d’en trouver un abordable, décent et sans coquerelles. On sent bien que les proprios ont le bon bout du bâton», peste-t-il.
600$, c’est un prix qui appartient hélas au passé. «Il n’y a rien en bas de 1000$ sur le marché, mais je ne peux pas me payer ça, je suis à faible revenu. Je peux mettre environ 700$ et je suis prêt à couper dans le linge et la nourriture», calcule au désespoir l’homme à la retraite, alors qu’il gagne plus ou moins 1300$ par mois pour vivre. «J’ai jusqu’au 30 juin pour libérer mon logement. Ça fait six mois que je suis dans le stress, j’ai même appelé un psy. Ça fait 30 ans que je suis locataire à Montréal et je n’ai jamais vécu ça», déplore Mohamed, qui habite seul.
Des pigeons, des coquerelles et des souris comme colocs
Il cite quelques exemples de visites récentes d’appartements qui se sont avérées épouvantables avec le budget dont il dispose. «Un logement était obscur et des pigeons se sont envolés en ouvrant la porte. Dans un autre appartement, des coquerelles se promenaient devant nous et le propriétaire en a écrasé une comme si de rien n’était. Un autre proprio m’a dit qu’il avait l’intention de boucher un trou derrière le radiateur pour empêcher les souris d’entrer», énumère Mohamed, celui qui a aussi essuyé quelques commentaires racistes. «Un proprio m’a demandé si j’étais musulman pratiquant parce qu’il ne voulait pas de bruit le soir pendant le ramadan. Une autre m’a dit avec un sourire complice: “Ici c’est propre, on n’a aucun noir”», raconte Mohamed. Il pense ne pas avoir eu ces logements, pourtant délabrés, puisqu’il a réagi à ces propos déplacés.
«Un autre proprio m’a dit qu’il avait l’intention de boucher un trou derrière le radiateur pour empêcher les souris d’entrer»
Dans son malheur, il poursuit ses recherches (il calcule avoir trente onglets de recherche ouverts en permanence sur son ordinateur) et profite d’un coup de main de divers organismes, dont le comité logement de Villeray. «Ils m’ont donné beaucoup de pistes et se sont montrés rassurants en me disant que personne ne va se ramasser à la rue», souligne Mohamed, avant de mettre brusquement fin à notre appel lorsque le numéro de l’Office municipal d’habitation apparaît sur son cellulaire.
Il m’a rappelé cinq minutes plus tard avec une bonne nouvelle. «On vient de confirmer que mes effets personnels seront entreposés dans un entrepôt et que je serai hébergé dans un hôtel du centre-ville en attendant», dit-il.
Une bonne nouvelle pour l’instant, mais le vrai problème demeure: comment Mohamed se trouvera un logement décent à 700$ à Montréal?
«Le plus triste, c’est que quand j’ai eu cet appartement, je me suis dit que c’est ici que j’allais passer ma vie», se remémore-t-il, amer.
un airbnb en attendant un logement
«Je vais aller m’installer devant l’hôtel de ville», lance mi-blagueur, mais surtout avec grand découragement Slimane, en voie d’être évincé avec sa famille du logement qu’il occupe depuis treize ans, également situé dans Villeray.
«Le problème avec une reprise de possession sous de faux motifs, c’est que le fardeau de la preuve repose sur mes épaules»
Comme Mohamed, ce père de quatre enfants ne croit pas non plus à l’histoire de reprise de logements pour loger un membre de la famille, évoquée par son nouveau propriétaire pour reprendre possession du cinq et demi avec sous-sol. «J’ai reçu l’avis à la mi-mai. C’est apparemment pour loger son fils, mais je n’y crois pas du tout. J’ai contesté et j’ai gagné quelques jours de sursis avant l’audience en juillet. Le problème avec une reprise de possession sous de faux motifs, c’est que le fardeau de la preuve repose sur mes épaules», soupire Slimane, qui vit du stress à l’instar de toute sa famille. «On travaille près d’ici, les écoles sont prêts d’ici. Je pense entreposer nos affaires un mois pour habiter dans un Airbnb le temps de trouver un nouveau logement, ici, dans une autre ville ou une autre province», souligne-t-il, conscient qu’il ne trouvera rien d’aussi gros au prix qu’il allonge actuellement: 815$. «Les prix ont au moins doublé et personne ne veut d’aussi grosses familles, les proprios ont l’embarras du choix, constate Slimane, qui est capable d’aller jusqu’à 1500$ pour héberger sa famille.
Au moins, le «fils» de sa proprio sera à ses aises dans son immense logement sur deux étages.
« Les spéculateurs détruisent le tissu social »
À l’heure actuelle, une centaine de ménages montréalais n’auront plus de logements le 1er juillet, pour environ 400 à la grandeur de la province, rapporte le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).
Des chiffres qui risquent de fluctuer en approchant de la date butoir et ces statistiques tiennent uniquement compte des ménages actuellement pris en charge par des services d’aide d’urgence, nuance la porte-parole de l’organisme, Véronique Laflamme.
«On voit un grand nombre de locataires désespérés qui ont pourtant des revenus pas si mal, mais n’arrivent pas. D’autres quittent Montréal, faute d’options.»
Elle ajoute que le problème n’est pas le nombre de logements disponibles; c’est leur prix qui est simplement trop élevé pour répondre aux besoins.
«On voit un grand nombre de locataires désespérés qui ont pourtant des revenus pas si mal, mais n’arrivent pas. D’autres quittent Montréal, faute d’options. Ça confirme la crise du logement, surtout à Montréal», se désole Véronique Laflamme. Quand des gens se résignent à habiter dans des abribus, c’est que la crise est réelle.
Quant à ceux qui ont réussi à se trouver un logement, ils sont nombreux à payer trop cher et vont devoir couper ailleurs, déplore-t-elle.
Montréal n’a hélas plus le monopole de la crise du logement. Le FRAPRU rapporte 60 ménages dans l’incertitude à Sherbrooke et 74 à Drummondville, du jamais vu. «Ça, c’est juste les ménages accompagnés des services d’aide, il peut donc y en avoir plus», souligne Véronique, qui suit l’évolution (ou détérioration) de la situation d’heure en heure.
À Montréal, les arrondissements les plus touchés par la crise sont le sud-ouest, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension et Rosemont-La-Petite-Patrie, où les spéculateurs font des ravages, selon le FRAPRU.
L’organisme estime que 40% des demandes d’aide proviennent de locataires victimes de reprises ou d’évictions pour agrandissements, subdivisions ou changements d’affectation ou pour travaux majeurs.
«[Les spéculateurs] sont en train de détruire le tissu social en achetant des immeubles pour louer les logements à fort prix ou avec des rénovictions.
«[Les spéculateurs] sont en train de détruire le tissu social en achetant des immeubles pour louer les logements à fort prix ou avec des rénovictions. C’est sans oublier le manque de conséquences et de suivis pour les propriétaires qui évincent leurs locataires sous de faux motifs», déplore Véronique, qui exhorte les autorités, le gouvernement provincial notamment, à prendre le dossier du logement en main avec le même sentiment d’urgence que les efforts décuplés récemment en matière de violence conjugale. «Ça nous ramène toujours à la question du logement social: que fait l’État pour que les gens qui ne peuvent pas allonger 400$ de plus pour un loyer de pareille taille aient une alternative», demande Véronique Laflamme, rappelant que 40 000 ménages (23 000 à Montréal) poireautent présentement sur une liste d’attente pour accéder à un logement social.
Sur une rare note d’espoir, le FRAPRU reconnaît que la métropole prend désormais le dossier très au sérieux. «Montréal, faut le dire, fait un excellent travail depuis deux ans pour le 1er juillet. Personne ne sera à la rue, les locataires seront localisés dans un hôtel pendant plusieurs semaines au besoin (jusqu’à deux mois), sans oublier l’entreposage de leurs biens et l’aide au déménagement», admet Véronique Laflamme, regrettant que toutes les municipalités n’offrent pas une telle aide à travers la province.
Tant mieux donc si personne ne se retrouve concrètement à la rue le 1er juillet.
En espérant que ce sursis offert aux victimes de la crise n’ait pas seulement pour effet de pelleter en avant cette patate chaude immobilière.
*Le prénom est fictif