Logo

YouTube et TikTok transforment-ils les jeunes garçons en adeptes de l’extrême droite?

On a testé le « pipeline alt-right ». Ça fait peur.

Par
Pier-Luc Ouellet
Publicité

Les élections américaines ont eu lieu au début du mois avec les résultats qu’on connaît : Donald Trump a été reporté à la présidence.

Dans la consternation générale, le milliardaire a été réélu, malgré des condamnations pour agression sexuelle et fraude, et des accusations d’avoir fomenté un coup d’État (entre autres, ce qui est quand même effarant en soi que ça soit une liste INCOMPLÈTE), le tout porté par une campagne bourrée de misogynie, de racisme et de déclarations carrément autoritaristes.

Après l’élection, tout le monde a essayé de comprendre ce qui s’était passé en cherchant des coupables (ce qui nous a donné droit à des discussions enrichissantes et pas du tout problématiques comme « Est-ce que les latinos sont racistes? »). Une des données surprenantes qui sont ressorties de cette analyse, c’est que les jeunes ont voté pour les Républicains dans la plus grande proportion vue depuis 2008.

Selon NBC, 37 % des femmes âgées de 18 à 29 ans auraient voté pour Trump, alors que chez les hommes du même âge, cette proportion monte à 49 % (contre 47% pour les démocrates).

Publicité

Contrairement à ce qu’on pourrait penser du haut de notre tour d’ivoire, ce n’est pas un phénomène purement américain; dans un récent sondage Léger, on apprenait que chez les 18-34 ans, le parti qui récolte le plus d’appui est le Parti conservateur de Pierre Poilievre, avec 39 % des intentions de vote.

Oui, le même parti conservateur qui s’inspire largement de Trump.

Elle est passée où, la génération de Greta Thunberg et de Chappell Roan? La cohorte qui devait nous mener vers un monde plus égalitaire et ouvert sur la différence?

Elle (mais surtout ils) s’est fait convertir par le pipeline alt-right.

C’est quoi, le pipeline alt-right?

Le terme « pipeline alt-right » est apparu à la fin des années 2010, quand des études ont démontré comment des influenceurs de droite travaillaient de concert pour manipuler l’algorithme (de YouTube, principalement, même si d’autres réseaux sociaux ont également été investis), et endoctriner le public à grand coup de propagande, surtout les jeunes hommes.

Publicité

En gros, ce réseau d’influenceurs (incluant des noms connus comme Jordan Peterson et Andrew Tate) utilisent les médias sociaux pour montrer des contenus idéologiques à leur jeune public, allant du libertarianisme au nazisme, dans le but de les radicaliser progressivement.

L’influence de cette sphère idéologique sur la politique réelle semble évidente, à un point tel que Dana White, le président de la UFC, a remercié certaines de ses figures de proue lors de la célébration de la victoire de Donald Trump, notamment The Nelk Boys, Adin Ross, Theo Von, Bussin’ With The Boys et Joe Rogan (qui a d’ailleurs endossé Donald Trump publiquement sur X où il cumule 14 millions d’abonnés).

D’ailleurs, l’équipe Trump semble avoir compris la puissance du pipeline.

Depuis son arrivée en politique, Trump a participé à 107 podcasts.

Publicité

Pour la campagne de 2024, on peut notamment penser à sa participation au podcast d’Adin Ross (2,7 millions de vues sur YouTube), à celui de Theo Von (15 millions de vues sur YouTube) et, évidemment, au podcast de Joe Rogan (50 millions de vues).

On a fait le test

Ce qui rendrait le pipeline alt-right particulièrement efficace, c’est qu’il serait très insidieux. L’extrême droite s’insèrerait dans toutes les discussions pour attirer les jeunes hommes dans son giron. Vous êtes fan de Star Wars et vous regardez des critiques de la dernière série en ligne? Gageons que bien vite, vous trouverez une critique qui dit que Star Wars, c’est plus bon depuis que c’est plein de FILLES, et bien vite, votre fil sera peuplé de vidéos anti-féministes. Vous aimez les jeux vidéo? Là, vous risquez d’être correct, parce qu’on n’a jamais entendu un gamer émettre une opinion misogyne ou raciste. (Oui, c’est une blague.)

Mais est-ce que c’est vrai, ou est-ce qu’on exagère un peu?

J’ai décidé de faire le test.

Publicité

TikTok

Tout d’abord, je me suis créé un compte TikTok et, quand on m’a demandé mon âge, j’ai répondu que j’étais né le 1er janvier 2008, ce qui ferait de moi un adolescent de 16 ans.

Je me suis inspiré d’un de mes jeunes frères âgé de 15 ans, et j’ai fait une recherche qu’il pourrait faire, en bon amateur de voitures. J’ai cherché « Lamborghini », j’ai liké quelques vidéos de char, puis je suis retourné sur ma For you page. J’ai liké sporadiquement quelques TikToks qu’un adolescent aurait pu aimer : une vidéo qui fait des blagues sur les profs trop sévères, un top des pires écoles de la province, des pranks… bref, des trucs d’ado moyen plutôt inoffensifs.

Publicité

Après une quinzaine de minutes, j’ai déjà commencé à sentir que l’étau se resserrait. On me proposait de plus en plus de contenu de « mâle alpha » (visiblement, c’est à la mode) et d’entrepreneur : si tu veux être heureux, pas de niaisage à avoir du fun et à manger du popcorn, faut se lever à 4 heures du matin et manger du brocoli vapeur.

Bon. J’étais pas encore tout à fait à un rallye du KKK, mais je sentais que j’étais en route, même si j’essayais d’être juste et de véritablement jouer mon rôle d’ado régulier sans simplement aimer des publications qui allaient évidemment me mener aux vidéos TikTok d’extrême droite.

Quinze autres minutes passent et j’étais déjà rendu dans le TikTok de droite, sans avoir eu besoin de chercher mon chemin.

On me proposait, en vrac : des extraits du podcast de Joe Rogan où celui-ci encense Pierre Poilievre, des vidéos du compte de Donald Trump et des memes anti-Trudeau et anti-LGBTQ+.

Publicité

Qu’on se comprenne : je ne dis pas que le Parti conservateur est en soi d’extrême droite (même s’il y a clairement une dérive vers la droite identitaire et sociale). On n’est pas encore dans les vidéos TikTok d’EXTRÊME droite.

Mais ça, c’est ce que TikTok m’a proposé après 30 minutes, en pensant que j’étais un ado de 16 ans et sans que je ne cherche activement ce genre de contenu. Imaginez le contenu qu’on m’aurait proposé après des semaines ou des mois d’utilisation.

Youtube

Si vous n’êtes pas convaincu par l’expérience TikTok, attendez de voir YouTube.

YouTube n’a eu besoin que de 10 minutes pour me montrer du contenu radical de droite.

10 minutes.

J’ai fait le même manège : je me suis créé un compte (j’ai même ouvert un onglet incognito pour éviter que mes cookies n’influencent l’algorithme) et indiqué que j’avais 16 ans.

Publicité

Ensuite, je me suis inspiré de mon autre frère, lui plutôt fan de basket. YouTube m’invitait à faire une première recherche pour que l’algorithme puisse me proposer du contenu à mon image, et j’ai donc cherché « LeBron James best plays ». Difficile de faire moins politique.

J’ai cliqué sur la première vidéo, une compilation de 10 minutes de paniers de la légende du basket, puis je l’ai laissée jouer jusqu’à la fin.

Je suis ensuite retourné sur la page d’accueil.

On me proposait une entrevue de près de 2 heures avec Chris Langan, « l’homme le plus intelligent du monde ». Dans cet entretien-fleuve, on promettait d’aborder des sujets comme « Soros (un milliardaire américain faisant l’objet de plusieurs théories du complot), Bill Gates; the psychology of the elite », « COVID / vaccines / Great Reset » et « Aliens / Demons / UFOs / CIA / The Devil ».

Publicité

Si vous ne connaissez pas Chris Langan, c’est un américain qui aurait apparemment un QI très élevé, mais qui soutient des théories du complot autour du 11-septembre, s’est affiché contre les mariages interraciaux et qui est devenu une figure de proue du alt-right et de l’extrême droite. Il serait aussi considéré antisémite et a appuyé publiquement Donald Trump.

Ouf. Je crierais « Jackpot! » si la situation n’était pas aussi terrifiante. Il aura suffi de 10 minutes de basketball pour que YouTube décide de proposer à un adolescent 2 heures d’élucubrations conspirationnistes d’extrême droite.

Oh! En bonus, si vous n’étiez pas convaincu, voici ce que la plateforme me proposait comme vidéos à écouter ensuite après deux heures complètement folles sur la plateforme :

Entre trois vidéos de sport, on me proposait notamment une vidéo sur les traitements alternatifs au cancer, un extrait du podcast d’Andrew Huberman, un wellness bro controversé, une discussion entre trois historiens organisée par un think tank de droite (dans laquelle les historiens déplorent notamment le « haine de soi de l’Occident » et où ils vantent les mérites de l’Occident comme rempart contre la dictature) et, évidemment, une vidéo sur Trump.

Publicité

Rendu là, le pipeline commence à prendre des allures de train grande vitesse vers la droite.

Des esprits influençables

Évidemment, ce test n’avait rien de scientifique. Peut-être le fait que je me suis vu proposer du contenu tendant vers la droite et l’extrême droite en quelques minutes avec deux comptes neufs sur deux plateformes différentes, en m’identifiant comme adolescent, n’est qu’une coïncidence.

Mais si on se fie aux tendances de fond dans la société, avec des jeunes hommes de plus en plus à droite et politiquement conservateurs (c’est beaucoup moins le cas pour les femmes du même âge, qui restent beaucoup plus progressistes), une partie de moi ne peut s’empêcher de croire que cette expérience est tout sauf unique.

Qu’est-ce qu’on montre aux jeunes? Comment cela les influence-t-ils? Pourquoi les géants des réseaux sociaux laissent la situation aller?

Publicité

Pourquoi cet aspect pourtant essentiel de la situation politique actuelle est-il si peu discuté dans les médias actuels? C’est beaucoup de questions auxquelles on ne risque pas d’avoir les réponses de sitôt.

Mais en attendant, si vous côtoyez un jeune homme, vous devriez lui poser la question : « Qu’est-ce que tu regardes? »