Je n’ai pas de talent particulier dans la vie.
À l’école, mes résultats scolaires étaient corrects, sans plus. Dans les sports, on me choisissait vers la fin quand on faisait les équipes au hockey ou au baseball, loin derrière Francis qui n’avait qu’un seul bras (mais il s’en servait pour cogner des circuits, l’estie).
Je me considère dans la moyenne de l’intelligence, un honnête 7,5 sur l’échelle de ChatGPT.
J’aimerais mépriser Mathieu Bock-Côté comme vous, mais je me sentirais comme quelqu’un qui fait semblant de rire même s’il ne pogne pas la joke.
Je passe mon temps à googler ses chroniques tellement il utilise un vocabulaire compliqué. À l’audio, c’est comme si j’entendais la voix du prof dans Charlie Brown entremêlée des mots « wokisme » et « pâtes carbonara inclusives ».
Ça m’impressionne beaucoup.
À mes funérailles, on dira probablement : « Pas le plus fute-fute de la bande, mais funny dans les partys ».
« Pas si doué au karaoké non plus, mais on se gardait une gêne tellement il avait l’air d’aimer ça », persifleront aussi les mauvaises langues.
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Ma blonde, si elle était encore en vie, ajouterait que je suis divertissant. C’est ce qu’elle trouvait de mieux pour me décrire, après 20 000 années de vie conjugale. J’aurais préféré « terriblement sexy » ou « énigmatique », mais elle m’aurait accusé de l’élogesplainer.
Bon, ok, ma blonde n’est pas morte, mais je voulais mettre un peu d’action dans cette chronique qui tarde à décoller. Pas de ma faute quand même si on ne passe pas proche de se faire bouffer par des caïmans toutes les semaines.
Tout ça pour dire que mon talent particulier à moi est d’être capable d’écrire dans les transports, ce que je fais en ce moment même avec mon laptop sur les genoux, en direct de la route de Pucon, au Chili.
J’ai toujours eu cette chance d’être capable de taper quelque chose de cohérent et sans le moindre haut au cœur dans un autobus brimbalant, un TGV, un avion en pleine turbulence, un navire ballotant ou une voiture.
Une aptitude acquise à l’époque où je couvrais à temps plein les écrapous avec Sanfaçon dans un truck converti en bureau mobile pour La Presse.
Je sais, ce n’est pas exactement le super pouvoir le plus impressionnant dans la Ligue des justiciers.
– Je peux voler!
– Moi, j’ai la force de cent humains!
– Et moi… je… j’écris dans un bus!
Faque nous roulons tranquillement vers la Patagonie.
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Les immenses bus voyageurs à deux étages pour abattre de longues distances incarnent le confort absolu.
On y diffuse même des vidéos de consignes de sécurité, comme dans l’avion. Dans celui de la compagnie Turbus, ce rôle est confié à… BUS WILLIS (très vrai).
Parfois, on peut même tirer un rideau pour ne pas subir son voisin. Comme le mien est mon ado de 15 ans, vous devinerez que ce rideau était tiré avant même de sortir du stationnement de la gare.
Pendant qu’il se trouve cool de son bord de siège, moi j’ai juste envie de le brasser en lui criant : « TU PASSAIS L’HALLOWEEN L’AN DERNIER, PIS T’ES JUSTE LÀ PARCE QUE TA MÈRE M’A PIÉGÉ AVEC LA MÉTHODE DU CALENDRIER! »
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Bon, inutile de ressasser la dernière chronique dans laquelle je faisais état d’un blues momentané et de notre coup de foudre en jachère avec le Chili.
On a juste eu besoin d’un peu de temps pour se sevrer de la Colombie, où l’on a eu plus de fun qu’un trio de quinquagénaires blainvilloises à Depeche Mode.
On trouvait d’emblée Santiago hors de prix et notre logement était moche.
DE BEAUX PROBLÈMES DE RICHES TOUT ÇA, pas besoin de me le rappeler (c’est le premier million qui est le plus tough à faire).
Coup de foudre à Valparaiso
Mais sachez, fidèle lectorat, que le charme a finalement opéré, comme une fille à qui tu pitches des balles de neige dans la cour d’école avant de sortir avec.
Nous apprivoisons doucement le pays, une escale à la fois.
D’abord, impossible de résister à Valparaiso, où, après la capitale, nous avons passé une semaine.
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Avec ses cerros à flanc de montagnes, ses maisons colorées, ses murs couverts de graffitis grandioses, son petit côté grano et le spectacle permanent d’une vue en hauteur sur le port, il s’agit définitivement d’un incontournable du pays.
Voyager au Chili sans passer par Valparaiso, ça serait un peu comme aller voir l’hommage à Pink Floyd au Planétarium sans fumer un pétard ou écrire un article sur la saison des érablières sans employer l’expression « se sucrer le bec ».
C’est d’ailleurs là qu’on a vu le plus de touristes jusqu’ici, des Français pour la plupart, arpentant la ville en compagnie d’un guide. On a notamment croisé un septuagénaire sympathique de la Colombie-Britannique dans les rues obliques de notre quartier.
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Il racontait à la blague que sa femme ne veut plus voyager et qu’il a presque fait une fugue pour partir seul afin de profiter des années qu’il lui reste.
« Ma fille était inquiète que je tombe en amour avec une autre, mais ma femme a dit : “Voyons, si quelqu’un s’intéresse à lui à son âge, j’espère qu’il va en profiter!” »
En tout cas, on se fait des jambes dans les rues en pente où on emprunte des funiculaires pour une bouchée de pain. Parlant de pain, il est succulent au Chili et consommé sous toutes les formes avec des charcuteries, de l’avocat, des empanadas, du thé ou/et du pisco sour.
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Ça a pris du temps avant de comprendre comment les repas fonctionnaient ici et on s’expliquait mal pourquoi on se saignait autant pour un repas ordinaire au restaurant, le soir.
Après quelques festins de pâtes/sauce en pot, on a compris qu’ici, c’est au dîner que ça se passe.
Pour environ 10 $ (faut trouver les endroits), le menu du jour comprend soupe, salade, repas traditionnel (pastel de choclo = menoum), breuvage et parfois même, un dessert. Une formule aussi économique que bourrative, si bien qu’on se contente le soir venu d’un repas léger à la maison.
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Je paie cependant le repas de la veille – un porotos granados –, ce délicieux ragoût fait à base de haricots que je pète subtilement dans mon bus depuis environ deux cents kilomètres.
Quin l’ado, on va voir ce que ton rideau de séparation va faire contre ça, mouhaha!
pays de contraste et vent de fraîcheur
Le coût de la vie chilien s’explique dans un pays riche de contraste .
Ce n’est pas moi qui le dit, mais Michel Désautels au micro de Masbourian, cette semaine. C’est une amie qui m’a envoyé le lien où le journaliste explique qu’on fait souvent ici « un pas en avant et un en arrière ».
En gros, le pays est en bonne santé économique comparé aux voisins de l’Amérique latine (en partie « grâce » au libéralisme agressif des « Chicago Boys » pendant la dictature de Pinochet), mais domine les palmarès de pays où les inégalités sont les plus vertigineuses.
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Après une crise sociale menée par un mouvement plus socialiste en 2019, le Chili s’est donné un premier président de gauche depuis Salvador Allende, en 1973.
Par contre, le référendum sur une révision de la Constitution en phase avec des idées progressistes du jeune président Gabriel Boric (gratuité scolaire, laïcité, représentativité des autochtones, etc.) vient d’être rejeté massivement par le peuple, démontrant qu’un vieux fond conservateur est toujours bien en selle.
Rien apparemment pour empêcher le féminisme de se frayer un chemin et militer contre le patriarcat jusque sur les murs des bâtiments.
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On ressent d’ailleurs cet esprit rebelle partout au pays à coup d’hommages au héros de l’indépendance, Simon Bolivar, mais particulièrement à Valparaiso, ville où semble souffler un vent plus fort de jeunesse et de modernité.
Parfois même, au carrefour de deux rues inclinées, des musiciens se relaient à tour de rôle et la bière coule à flots.
Mais les inégalités y demeurent palpables lorsque des étals écoulent du papier cul et des cigarettes à l’unité devant les supermarchés ou que les baraques en tôles voisinent les forteresses.
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Au moins, l’alcool coûte des peanuts.
D’où la tentation de s’enfiler quelques verres de pisco sur notre terrasse devant le soleil tombant, au son des chiens qui aboient 24/7 dans cette ville.
D’ailleurs, le sport national ici, c’est d’éviter avec des réflexes dignes de La Matrice la marde de chien abandonnée sur les trottoirs en pente. Le voyage d’une vie, qu’ils disaient.
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Pâques au Chili
Avant de quitter Valparaiso, on a célébré Pâques. Oui oui, ces gens mangent du chocolat.
Sont fort là-dessus, d’ailleurs, puisqu’on en vend littéralement partout et en barres, surtout.
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Fidèle aux traditions, j’ai caché des chocolats pendant que les mioches dormaient.
Peu importe le fuseau horaire, les classiques ne se démodent pas:
1- Le micro-ondes.
2- L’arrière d’un sofa.
3- LE spot auquel personne pense, mais que t’oublies immanquablement, ce qui fait que le chocolat est retrouvé en juin.
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Après cette chasse aux cocos réussie (hihihi), Victor et moi sommes allés voir si Pâques était aussi fort que Woodstock en Beauce, dans un pays où une frange importante croit encore que le petit Jésus a juste lavé les pieds de Marie Madeleine.
Les églises étaient moins bondées qu’on ne le pensait. On s’est quand même faufilés sur les banquettes de l’une d’entre elles pour écouter le sermon du curé.
Il parlait de résurrection, une épître de Ponce Pilate, je crois.
« Et Ponce Pilate demanda à la foule :
– Est-ce que je libère Jésus ou Barbada?
– Barbada! Barbada!, scandait la foule.
Cédant à la pression, Ponce Pilate crucifia Jésus et Barbada retourna dans les garderies prêcher la bonne nouvelle… »
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Simone et Martine avaient décidé de rester à la maison. La petite, parce qu’elle voulait manger l’intégralité de son chocolat à un bras de distance du wifi et la deuxième, parce qu’elle est une fieffée païenne de la pire engeance.
D’ailleurs, personne ne sera surpris d’apprendre que cette fille a grandi à Sainte-Catherine, LA PLACE où des gens se sont mobilisés contre l’heure du conte d’une drag queen.
« Oui mais, hic hic… il… il… faut protéger nos z’enfants, hic hic! », plaidait Martine entre deux gorgées de pisco sour bues à même le goulot, pendant qu’en retrait dans le sofa, Simone écoutait des vidéos de tradwife sur TikTok.
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Tant pis pour les filles qui ont raté un sacré beau tour de bateau. Ok, on ne voyait rien à cause de la brume et notre capitaine a passé le trajet à se limer les ongles en parlant au cellulaire, mais on a croisé des morses sur des pneus de tracteurs géants.
En route vers la Patagonie
On ne s’attendait à rien de Concepción, sinon une escale dans notre périple vers la Patagonie. D’abord, les paysages qui défilent pour s’y rendre sont à couper le souffle. Des montagnes à perte de vue, de la verdure et même des épinettes.
La végétation commence drôlement à ressembler à la nôtre. La température aussi.
Après avoir ri de votre météo de schnoutte pendant près de deux mois, it’s payback time.
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Une chance qu’on gèle par contre, au Québec, sinon ça limiterait drastiquement nos interactions sociales.
– ¡Ah, Canada! ¡Esta muy frío!
– ¡¡Sí sí, mucho mucho frío haha!! ¡Brrr,brrr!
J’exagère. Je l’avais dit l’autre fois et je le répète : les gens du Chili sont nos préférés à date. Ils viennent spontanément nous jaser.
Dès qu’on se gratte un peu la tête au coin d’une rue, ils se garochent pour offrir leur aide, s’assurer qu’on prend le bon bus, qu’on porte nos sacs devant à cause des pickpockets.
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Ils posent beaucoup de questions sur le Québec, s’intéressent à notre actualité, se montrent solidaires à nos malheurs.
– ¿Ok, pero las Galeries d’Anjou allí, todavía podrian haber dejado que el mundo se conectara a su celular, verdad?
– Si, pero invocaron razones de seguridad.
– Los bastardos…
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On a beaucoup aimé Concepción. Une grosse ville universitaire qui a le charme des villages. Il y a même un grand parc à l’intérieur, sorte de Mont-Royal où les gens vont courir.
Au bout du sentier jonché d’arbres vertigineux, on trouve un mirador.
Les miradors sont à l’Amérique du Sud ce que les temples étaient lors de notre voyage en Asie : partout.
Je pense que même David LaHaye a moins souvent entendu le mot « Mirador » que moi.
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La nature > nous
En même temps, c’est pas sorcier de trouver une vue panoramique qui torche dans les cordillères des Andes.
Juste en ce moment, à travers la vitre de mon bus, les montagnes au loin disparaissent dans les nuages.
Je suis fébrile à l’idée de voir des volcans de près, aussi. Ajoutez l’océan Pacifique à ce relief et c’est comme si le décor se mettait en gang pour te donner une leçon d’humilité.
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Concepción en est un bon exemple, complètement rayée de la carte en 1835 dans un tremblement de terre (ou un tsunami, pas clair).
Le naturaliste Charles Darwin raconte l’affaire en direct dans son ouvrage Le voyage du Beagle, dans lequel il documente un voyage d’exploration de deux ans principalement en Amérique du Sud à bord d’un navire.
« Il y a quelque chose de navrant et d’humiliant tout à la fois à voir des ouvrages qui ont coûté tant de travail et de temps à l’homme renversés ainsi en une minute », rapportait-il.
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On dirait que je m’enfarge dans plein d’exemples récents nous rappelant notre fragilité dans l’écosystème ambiant.
Comme ce parc où l’on trouvait des reconstitutions de dinosaures, par exemple. Ok, c’est quétaine, mais ça m’impressionne toujours, moi, les dinosaures. Le pire de toute façon a été de constater que fiston est rendu à cet âge où l’attrait de son cellulaire l’emporte sur un estifi de gros T-Rex.
Je relis sinon Les Fourmis de Werber aussi, autre excellent rappel de la vacuité de l’existence.
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Même constat en se retrouvant un peu par accident au zoo local, où nous étions fins seuls pour visiter lions, ours, tigres et autres bêtes capables de nous tailler en pièces d’un coup de patte. Je justifie « par accident » parce qu’on pensait aller dans un parc national et que je suis plutôt contre ces prisons pour animaux en général, où le tigre du Bengale troque la savane pour un enclos de quatre kilomètres carrés à douze fuseaux horaires de son habitat naturel.
Le bus arrive. Pucon, nous voilà. Vite de même, ça ressemble à Banff mais avec un volcan en background.
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La portion « randonneur avec sac de noix et bâtons de marche » de notre voyage nous attend.
Le Chili est relaxe jusqu’ici, il est temps de passer à l’action!
« Hihihi, le titre de ton article devrait être “Chiller au Chili” », vient d’oser Martine.
Je passe par-dessus parce que j’ai encore besoin d’elle pour éduquer les morveux (les mathématiques du secondaire, sérieux?!?).
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Mais bon, même si c’est peinard le Chili, je sens la flamme de l’aventure recommencer à bouillir en nous, prête à exploser comme le volcan Villarrica qu’on escaladera pendant que vous parcourrez ces lignes.
À notre prochaine rencontre, nous aurons gravi montagnes, volcans, glaciers et peut-être même fait un pit-stop à la Terre de Feu.
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Mais d’abord, quelques trempettes dans le tinajas de notre cabanas à Pucon pour savourer le moment présent à feu doux.
BREAKING NIOUZE : le calme a été de courte durée, puisque quelques heures avant la mise à feu de ce reportage, nous nous sommes fait voler dans un restaurant de Pucon… récit COMPLET dans le prochain épisode.
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