« C’est propre, au moins je suis certain qu’il n’y aura pas de bibittes icitte. »
Je résume ma critique à chaud de notre premier logement chilien en ouvrant aux aurores la porte 305 d’un complexe glauque et excentré, non sans d’abord avoir gossé avec la clef en énumérant tous les jurons québécois possibles avec la fougue d’un Français folichon en visite.
« Osti de câlisse de tabarnak d’osti de saint-ciboire de crisse de clef du tabarnak d’osti. »
Du comfort food pour l’âme.
On fait ce qu’on peut en débarquant d’un avion à quatre heures du matin.
Et comme le disait poétiquement le groupe Nuance, « yé l’heure d’aller m’coucher ».
Le premier contact avec le Chili est donc brutal. Le trajet en taxi de l’aéroport coûte environ les tarifs de Montréal. Le couloir sombre pour se rendre à la chambre pue et la chambre est, disons, rudimentaire.
Lisant le désarroi dans le visage de ma tribu, je pars mon spin de « c’est pas si pire gang, des enfants mangent dans les poubelles dans des bidonvilles ailleurs sur la planète », sans réussir à masquer mon propre désenchantement.
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« L’appartement est fantastique, il est 100 %! Odette est une excellente hôte, elle nous a accueilli avec du vin », s’excitait une Laura en février au bas de l’annonce Airbnb.
Calmos, Laura.
Si elle louait chez nous à Montréal, elle écrirait probablement : « EST-CE LE CHÂTEAU DE VERSAILLES??!!»
Anyway. L’appartement d’Odette n’est pas si pire non plus et c’est vrai que la madame est à son affaire. J’ai une semaine pour m’habituer aux griffures louches sur les murs devant la chambre de type « on m’amenait de force dans cette pièce et j’ai résisté, en vain », sans oublier la peau de ce pauvre Chewbacca (RIP) étalée par terre dans le mini-salon.
Enfin, il y ces rideaux qui ne s’ouvrent pas et font saigner des yeux. Au moins, ils ont des fenêtres derrière…
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Et à l’instar de l’enthousiasmante Laura, une bouteille d’un rouge local traîne aussi dans le « cellier », que je vais certainement finir par boire sur mon minuscule balcon avec vue sur le stationnement.
Des beaux problèmes de privilégiés, tout ça, je sais.
Le Chili, donc.
Ça fait seulement quelques jours, alors c’est encore tôt pour se faire une tête. Mais un premier constat s’impose : c’est onéreux. Plus qu’on pensait en tout cas, ce qui compromet d’ailleurs le reste de notre itinéraire (qui comprend aussi l’Argentine, une puff d’Uruguay et le Brésil).
Sur Internet, j’ai vu que le prix d’un rein oscillait entre 20 000 $ (Inde) et 160 000 $ (Israël). Et comme Simone, la membre la moins rentable de l’équipage, en a deux…
Mais bon, en attendant de trouver un acheteur potentiel, pas le choix de se serrer la ceinture (banane).
Un violent contraste avec la Colombie, où on trouvait quand même le moyen de se lamenter sur la facture des soupers.
Se nourrir ici, même dans les bouis-bouis, coûte facilement 60-75 $. Même la bouffe de rue est relativement onéreuse (6 $ un plat de nouilles chauffé au propane par exemple). Les jus frais qu’on aime tant en voyage : 4-5 $.
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L’inflation s’est rendue ici aussi dans les supermarchés. Le kit de base pour sauver sur les déjeuners et quelques collations : 100 $. En gros, ça ressemble à l’Europe (architecture coloniale) et ça coûte le Québec.
Par chance, le métro est sensas’ et abordable pour se déplacer. Pour économiser et s’occuper, on passe donc nos journées à faire des tours de machine.
Je niaise (à peine). Chapeau sinon à l‘art local grandiose dans le souterrain! Et que dire de ces mini-bibliothèques publiques éparpillées dans quelques stations (prends des notes, Montréal).
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Les aventuriers de l’étincelle perdue
Mais au-delà du prix, on traverse un premier petit blues, depuis le départ. Même si ma vie virtuelle ressemble à une première médiatique d’un film de Xavier Dolan, on se tape tous un peu sur les nerfs.
Passer 24/7 avec ta famille (incluant un enfant qui aimerait mieux être chez Ardene aux Galeries d’Anjou et un ado sur le sentier de la rébellion de niveau claquage de portes) peut s’avérer un exercice périlleux.
Juste tantôt, on s’est pogné lui et moi parce qu’il tenait à manger du Subway et ne comprenait pas qu’ici, il faut réhypothéquer sa maison pour un douze pouces.
Ajoutons à ça le fait que je lui ai confisqué son cell 24h parce qu’il est mean avec sa sœur; oui, je suis un monstre.
J’écris donc cet article en boudant dans un café de coworking (franchement bien) pour ventiler tout ça.
Ce premier spleen et le fait que le coup de foudre avec le Chili se fasse attendre exacerbent certainement la situation.
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Même Martine, pourtant parfaite depuis les années 70 (elle est très vieille), trouve le moyen de laisser entrevoir des relents de faiblesse.
Premièrement, cette fille perd tout. En une semaine, elle a perdu un cellulaire et une carte de crédit (qu’elle a miraculeusement retrouvé grâce à l’honnêteté ambiante. Les Chiliens sont vraiment adorables, faut le souligner).
Ensuite, elle multiplie les déclarations controversées. Tiens, la semaine dernière, elle avouait avec une belle candeur se servir « régulièrement » des désodorisants des gens où elle est en visite, en cas de besoin.
Juste ça. Elle dépose ça de même, entre deux bouchées d’empanadas. Pouf.
Euh… KWAAAAAARKKKKECRISSE.
Je vais attendre mon retour pour la sacrer là, mais disons que même le mot « inacceptable » vient de me texter pour se dissocier. C’est quoi la prochaine étape dans un crescendo à la serial killer qui commence sa carrière en disséquant des insectes : utiliser la brosse à dents du monde en cachette? LEUR VIBRATEUR?!?
Passons.
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Pour sa défense (mettons), elle galère pour éduquer nos enfants qui ont autant de motivation devant leurs cahiers d’école que des influenceurs devant un rapport d’impôt.
Il n’y a que moi, finalement, qui suis un compagnon de voyage idéal, véritable troubadour de la vadrouille!
Bon, ok, je ne suis pas du monde le matin et je chiale sans arrêt. Juste tantôt, j’ai fait honte à tout le monde en téléchargeant Chop Suey! dans le métro, le son dans le tapis, pour me venger de ces connards qui écoutent sans arrêt leur musique forte sans écouteurs sur leur cellulaire.
Mon gars s’est éloigné d’un wagon, gêné, en me traitant de Karen au masculin.
Ça m’a fait du bien, quand même. Le gars qui scrollait TikTok le volume au fond a compris le message, au moins.
HUGO MOLINERO : JUSTICIER DU QUOTIDIEN.
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Mais bon, moi aussi je traverse un petit moment Jonathan Drouin. C’est normal après quarante jours tricotés-serrés. Mon FOMO me donne des coups de pieds dans les tibias.
Je pense au fun que je rate; les salons du livre, les karaokés, le sous-sol à Migneault, la cabane à sucre d’URBANIA, les réunions de l’UNEQ en Zoom…
Mais bon, inutile de nous partir un GoFundMe.
« Aidez cette pauvre famille québécoise à savourer son voyage. »
On est capable de voir le verre de Pisco sour à moitié plein, quand même.
La Plaza de Armas est d’une grande beauté, à l’ombre d’immenses palmiers. L’ascension du cerro San Cristóbal (860 mètres) en funiculaire offre une vue imprenable sur la ville et les cordillères, au loin.
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Mais le clou jusqu’ici est sans conteste notre visite du Museo de la Memoria, ce matin. Un incontournable.
Je trouve que l’adjectif « nécessaire » est souvent galvaudé et employé à toutes les sauces (un ouvrage « nécessaire », un reportage « nécessaire », une prise de parole « nécessaire »… euh not!), mais il s’applique certainement à cette visite comme point de départ pour comprendre (si peu) les oppressions vécues par le peuple chilien.
Les quatre étages du musée relatent sobrement (inutile d’en beurrer épais) les horreurs découlant de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, responsable de la mort, des tortures, des viols et des disparitions de milliers de personnes durant son régime de seize ans (1973-1990).
Troublant aussi de réaliser à quel point cette histoire se déroulait hier (et se répète probablement à l’heure actuelle avec Poutine).
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Impossible de rester stoïque devant le récit de ce père anéanti par la disparition de ses deux enfants qui s’immole devant le Parlement pour protester, ou par celui des ossements de cet ado retrouvés vingt ans plus tard qui ont enfin permis à la famille de faire son deuil, ou encore l’histoire du mouvement de résistance portée par les femmes, au rythme de leur puissante Cueca Sola.
Outre les photos, rubriques de journaux et autres artéfacts du régime, il y a aussi des archives vidéo d’une époque pas si lointaine donnant froid dans le dos.
J’ai encore en tête le visage hagard de ce policier qui vient d’ouvrir le feu sur une étudiante durant une manifestation. Sur son regard, on lit qu’il réalise lui-même à quel point son geste est fucked up pendant que des étudiants l’encerclent. Ouf.
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Pendant notre visite, il y avait un groupe d’étudiants chiliens. L’un d’eux a dû être escorté hors de la salle par une enseignante, visiblement ébranlé. Tous les gens de ce pays ont vécu ou connu des proches qui ont subi les atrocités de la junte.
En sortant, j’ai croisé un vieil homme dans le sens inverse dans le couloir. Il ne m’a rien dit, mais ses yeux ont parlé à sa place.
Maintenant, tu sais.
De quoi relativiser les combats de Amélie Paul et Steeve « L’Artiss » Charland, mettons.
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Sinon, il me reste un mois pour me laisser séduire par le pays et comprendre pourquoi il y a autant de cliniques d’optométrie.
J’ai heureusement la chance de connaître LA référence chilienne en Amérique du nord, Alexandra Diaz, qui m’a envoyé une petite liste d’incontournables (sans doute futés). Pour l’honorer, on va à l’opéra samedi (dans les bleachers), paraît que c’est fou.
Mes enfants n’ont pas exactement sauté de joie quand je suis revenu triomphant avec 4 billets d’un oratorio de Bach, mais ils ne sont pas obligés d’être aussi incultes que moi à leur âge.
Retour vers la Colombie
Avant de se re-quitter pour deux semaines (et pour honorer mon salaire mirobolant), pas le choix de revenir un peu sur la Colombie.
Surtout qu’à la fin de mon dernier texte, j’avais écrit prophétiquement ceci:
« On part demain passer quelques jours dans la jungle près du parc Tayrona. Si on survit, on s’envole ensuite vers le Chili, notre prochaine destination. »
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Eh bien, la boutade a bien failli s’avérer aussi réelle qu’une accusation criminelle contre Donald Trump : les trois quarts de la famille ont failli se faire bouffer par des crocodiles.
Juste à imaginer les titres : « Une famille québécoise décimée par des caïmans : la mère survit et traite son défunt conjoint de gros estifi de gigon ».
C’est drôle de même, mais j’en tremble encore.
On avait loué une hutte près du magnifique et très fréquenté parc Tayrona.
Presque dans la jungle, disait l’annonce, qui avait subtilement censuré la présence d’une route passante à dix mètres de ladite « jungle ».
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Mais bon, rien pour empêcher la présence de l’insectarium de Montréal dans notre hutte, incluant deux tarentules et un bébé scorpion.
Pour la première, je suis allé chercher Robinson, qui habite la maison voisine (où vit le perroquet Noël qui répète « buena »). Ce dernier est venu chasser la bibitte avec un balai tout en riant de nous.
« No peligroso, haha! »
Ok Robinson, pero mucho dégueulasso et grosso du crisse.
La deuxième, le lendemain, traînait proche du lavabo. Même si je subis encore durement les conséquences du film Arachnophobie, j’ai pris mon courage à deux mains (et mon soulier Salomon) pour écrapoutir la chose qui s’était réfugiée sous le lavabo à une vitesse TRÈS épeurante.
Paf! Quin, mon esti!
Elle a payé pour celle de la veille et les 8 000 bibittes que je tuais dès que je posais le pied hors de mon lit recouvert d’un filet enfoncé de manière maniaque sous mon matelas.
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La photo de mon meurtre ne rend pas justice à la grosseur du monstre. J’ai au moins marqué des points auprès de ma famille qui me voyait enfin comme un héros. Même ma blonde, d’ordinaire désintéressée par mon corps nu, me regardait avec ce visage concupiscent qu’elle avait en voyant la première fois Ralph Fiennes dans Le Patient Anglais.
J’ai savouré ce moment de gloire jusqu’au lendemain, lorsqu’on a décidé d’aller nager dans la mer, les enfants et moi. Martine, épuisée par une nuit de luxure, était restée à la hutte à se reposer.
La mer était trop agitée pour se baigner, alors nous avons opté pour cette espèce de marécage louche et chaud comme un spa de l’autre côté, derrière une pancarte sur laquelle pouvait être lu : « Attention Caïmans ».
On n’est pas suicidaires là, mais comme plusieurs petites familles s’y baignaient, je me suis dit que la pancarte over-réactait sûrement.
Comme les consignes à suivre dans le cas d’un amerrissage d’avion et que personne n’écoute tellement le scénario est improbable.
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Bref, la toujours prudente Simone désapprouvait énergiquement le projet et refusait de se baigner. Victor, en revanche, faisait son frais en nageant jusqu’à une roche et en sautant dans l’étang qui tombait très creux vite.
Pendant qu’on traitait Simone de peureuse, un surfeur local est finalement venu nous avertir qu’il voyait des bulles au loin et que c’était probablement dû à la présence de caïmans.
Tout le monde est évidemment sorti de l’eau et on a ramené l’anecdote à la hutte en se disant que tout ce beau monde était sûrement un brin parano.
Mais voilà que Robinson a failli tomber en bas de son hamac en apprenant qu’on s’était baigné à cet endroit.
« Êtes-vous fous?! Quatre personnes ont été tuées par des caïmans à cet endroit ces dernières années, incluant un touriste canadien! », nous a-il sermonnés.
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Le lendemain je suis allé montrer le spot à Martine, encore sceptique de ces histoires de pêche à la sauce crocro.
– Tiens, c’est là-bas qu’on se pitchait dans l’eau, à côté de la grosse branche!
– Euh, c’est pas une grosse branche, Hugo…
J’ai zoomé ma photo pis…
MÊME. ESTI. DE. SPOT. DE. LA. VEILLE.
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On est donc passé bien proche de finir en «Joyeux festins» dans l’estomac d’un caïman de 2-3 mètres.
Les derniers jours en Colombie ont été plus relaxes, de nouveau à Cartagena qu’on adore. Le bonheur d’un dernier souper devant l’église Saint-Pierre-Claver, où se côtoient les stands de nourriture.
Pour couronner la Colombie, on a eu droit à la visite de mon ténébreux collègue Xavier et sa charmante copine, Jordane. Grâce à eux, j’ai pu revirer ma première brosse en enfilant à la chaîne des cacanes de bières tandis que les vendeurs jouaient du coude pour avoir l’exclusivité de notre portefeuille. On est rentrés super tard (21h), à l’heure où les mêmes vendeurs nous agitaient des sachets de poudre dans la face sans aucune forme de subtilité.
Un peu plus, je me laissais tenter. Aller en Colombie sans faire de la coke, c’est comme aller voir un match d’hockey junior à Plessisville sans se battre dans les gradins.
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Je termine cet article dans mon espace de coworking bondé. Mon espagnol progresse, si bien que je comprends maintenant les conversations de mes voisins de table.
– Parece que a Guy Nantel no le gustó el Gala de Olivier…
– Sí, lo he visto. Un conflicto generacional, al parecer.
– Realmente espero que las cosas funcionen.
Je rentre à pied avec l’harmonica de John Barry sur Midnight cowboy dans les oreilles.
Le logement est à quelques kilomètres sur la rue Carmen, à Santiago. Ça me fait sourire.
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Je pense à cette famille québécoise qui achève un voyage autour du monde avec leurs quatre enfants avant qu’ils ne perdent la vue. Ces gens ont tout mon respect et mon admiration.
Ça me rappelle au passage ma chance et relativise nos chicanes niaiseuses pour l’école ou le prix de la bouffe au resto.
Ça fait longtemps que j’ai pas mangé de Subway, en plus.