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Tous les faits divers n’ont pas besoin d’être adaptés en séries

Quand Ted Bundy est sexualisé sur TikTok, tu te dis que l'heure est grave.

Par
Malia Kounkou
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À lui seul, le tueur en série américain Ted Bundy comptabilise près de neuf adaptations cinématographiques retraçant sa tumultueuse vie de crimes. Parmi ces adaptations, No Man Of God, sorti au cinéma dans le courant de l’été 2021. Et juste avant, Ted Bundy: American Boogeyman, sorti ce même été à seulement onze jours d’intervalle. Et avant encore, Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, incarné en 2019 par l’angélique Zac Efron (High School Musical).

Vous l’aurez compris, l’obsession d’Hollywood pour les tueurs en série et, plus particulièrement, pour les adaptations fictives de faits divers macabres est en plein essor. Une obsession assez mélancolique qui fait presque écho à la course actuelle aux « reboots », ce nom donné aux anciennes séries à succès que l’on fait revenir avec un habillage plus moderne, comme Sex and the City.

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Il y a également ces histoires d’échecs cuisants qui nous font savourer la chute des mégalomanes de ce monde. C’est une catégorie dans laquelle excelle la série The Dropout, produite par Hulu, où l’entrepreneure et escroc Elizabeth Holmes est impeccablement jouée par l’actrice Amanda Seyfried (Mamma Mia).

Le passé représente donc une source d’inspiration majeure pour les industries cinématographiques et télévisuelles actuelles. Que l’histoire date du mois précédent ou du siècle dernier, si elle a défrayé la chronique, c’est qu’elle a sa place dans le prochain catalogue Netflix. Une formule efficace, mais pas exempte de toute critique. Celle majeure, portée notamment par la commentatrice vidéo américaine Yhara Zayd, suggère que « tout n’a pas besoin d’être une minisérie fictive ».

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Et à ceci, j’ajouterai la question de la responsabilité des studios. Car, en redonnant vie à des histoires sanglantes, on minimise souvent les désastreuses conséquences qui peuvent s’ensuivre.

Glorification de l’impensable

Une première conséquence évidente est celle de l’idéalisation des personnes perpétuant ces actes horrifiques. Il n’est pas anodin qu’aux sorties presque simultanées de Extremely Wicked, Shockingly Evil et du documentaire Conversations with a Killer: The Ted Bundy Tapes en 2019 sur Netflix, la plateforme ait rappelé sur son compte Twitter l’existence de « milliers d’hommes sexy (…) qui ne sont pas des meurtriers en série » après l’explosion de conversations autour de « la supposée attractivité de Ted Bundy ».

Et tout ceci alimente une effrayante idolâtrie pour Ted Bundy sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Tiktok.

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Ces admirateurs et admiratrices sont-ils toutefois les seuls coupables, ici? Après tout, le rôle de Ted Bundy a été porté par nul autre que Zac Efron, soit l’acteur à la « réputation incroyablement positive accompagnée [d’une] innocence réputée et [d’un statut] de sex-symbol des millénariaux », comme le décrit parfaitement Zena Bonsall dans Sonoma State Star. Par conséquent, cette image de beauté ingénue se confond avec celle de Ted Bundy et atténue la vérité des cadavres mutilés et violés par sa main.

Pire encore : elle donne aux spectateurs et spectatrices une vision « incroyablement sexualisée » de Ted Bundy qui exagère son charisme et fait naître l’envie « d’avoir un tueur en série comme copain », tel que le relève par témoignage Zena Bonsall. Bien que cette envie ne date pas d’hier — tous les tueurs en série… peu vilains, disons, comme Jeffrey Dahmer ou Richard Ramirez, ont toujours bénéficié d’un fan club, même du temps de leurs procès —, elle est indirectement réactivée aujourd’hui par Netflix.

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Et tout ceci alimente une effrayante idolâtrie pour Ted Bundy sur les réseaux sociaux, particulièrement sur TikTok. On peut y trouver des internautes qui prétendent aller en date avec lui puis filment leurs prétendus assassinats, d’autres qui réinterprètent son procès sur un ton humoristique, d’autres encore qui feignent de faire partie de son arbre généalogique… Sans oublier ceux et celles qui caressent amoureusement le Ted Bundy de Zac Efron sur leur écran, ce qui, en toute honnêteté, donne froid dans le dos.

La course au documentaire

Un second point noir serait celui de la date de sortie de ces productions télévisuelles par rapport à la date des faits divers dont ils s’inspirent. Souvent, l’écart est bien trop court. C’est pourquoi, et bien que nous entrions plus dans le champ du documentaire que de la fiction, ici, il m’est impossible de ne pas citer la débâcle autour du festival Astroworld.

«Les bons documentaires sont faits quand tous les faits sont exposés.»

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Organisé annuellement par le rappeur américain Travis Scott, cet événement musical a pris une terrible tournure en 2021 lorsqu’un soudain mouvement de foule a causé la mort de neuf personnes, dont un enfant de neuf ans. De nombreuses vidéos de fans font état de cette scène purement apocalyptique. On peut y voir une foule à perte de vue qui, immobilisée, essaie désespérément d’alerter Travis Scott sur scène tandis que des corps inconscients sont transportés au-dessus de leurs têtes pour rejoindre (parfois trop tard) l’équipe médicale.

À peine trois semaines plus tard, Hulu annonce la sortie d’un documentaire de cinquante minutes nommé Astroworld: Concert From Hell qui revient sur le déroulement détaillé des événements. L’outrage général est immédiat, ce qui force la plateforme à enlever le documentaire aussi rapidement qu’elle l’a rendu disponible. Beaucoup voient du « mauvais goût » dans cette capitalisation d’un drame humain encore chaud, mais aussi de l’irrespect pour la famille des victimes ainsi qu’une fausse hâte, la justice n’ayant même pas encore été tranchée sur l’affaire.

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« Les bons documentaires sont faits quand tous les faits sont exposés », mentionne en ce sens l’utilisatrice @LilAioli sur Twitter. « Il ne s’est pas écoulé assez de temps pour en discuter pleinement. »

Une faible valeur ajoutée

Il faut également se questionner sur la pertinence d’un projet basé sur des faits divers graves, surtout lorsque ces faits ont été couverts de manière détaillée et intensive par les médias. Bien plus encore lorsque des documentaires sur le sujet sont déjà sortis en nombre, chacun mettant en lumière des éléments nouveaux de l’affaire. Si, après tout cela, une adaptation fictive du même événement est annoncée, elle se doit d’être porteuse d’une vérité nouvelle.

Il ne s’agit pas d’un Blanche-Neige ou d’un James Bond, qui peuvent tous deux être remaniés, étirés et réinventés à l’infini grâce à leur absence d’ancrage dans le réel.

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Car il ne s’agit pas d’un Blanche-Neige ou d’un James Bond, qui peuvent tous deux être remaniés, étirés et réinventés à l’infini grâce à leur absence d’ancrage dans le réel. Il s’agit d’un fait divers ayant occasionné le décès d’au moins une personne. Ne serait-ce que par respect pour la famille endeuillée qui en verra probablement l’affiche partout, il est important de donner un but précis à ce film ou cette série. Que cherche-t-on à montrer de nouveau?

Hélas, pour The Girl From Plainville, la réponse est : rien. Sortie fin mars sur Hulu, cette minisérie dramatique revient sur la mort de Conrad Roy, un jeune américain de 18 ans que sa copine Michelle Carter incitera au suicide par messages en 2014. Une affaire troublante sur laquelle je m’étais déjà renseignée de fond en comble, telle la nerd des chaînes YouTube d’enquêtes criminelles 100 % factuelles que je suis. Lorsque la minisérie a été annoncée, j’ai donc attendu d’elle des éclairages nouveaux…

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… pour ne simplement redécouvrir que le talent de l’actrice principale, Elle Fanning, que je savais déjà impeccable dans la série The Great.

Tout cela pousse donc à se demander : n’est-elle finalement qu’ici, la valeur ajoutée de ces adaptations de meurtres et de drames réels? Dans ce que les acteurs en tireront pour livrer la meilleure performance de leur carrière? Selon la commentatrice vidéo Yhara Zayd, la fréquente raison d’être de ces projets est de montrer « à quel point [les directeurs de séries] sont brillants et […] leurs acteurs, […] talentueux ». Ce qui aurait été de bonne guerre si, dans leurs calculs, les victimes réelles de ces tragédies n’étaient pas systématiquement laissées pour compte.