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Quoi regarder en fin de semaine : The Dropout
Le théologien Walter Wink affirmait dans son ouvrage The Powers That Be que malgré le déclin de la religion dans la conscience populaire, l’instinct de vénération habite toujours le cœur des êtres humains. Il s’est tout bonnement sécularisé. Les exemples que donne Wink dans son livre sont un peu maladroits : les gratte-ciels comme nouvelles églises, les banquiers comme nouveaux prêtres, le tout-puissant dollar comme nouvel Esprit Saint. C’était en 1999, la transformation sociale dont il parlait était bel et bien en train de se produire, mais personne ne comprenait encore ce qui était en train de se passer.
Il avait cependant raison sur le fond.
On n’a jamais arrêté de vénérer. Les nouveaux dieux sont aujourd’hui les innovateurs, entrepreneurs, milliardaires et géants de la tech comme Steve Jobs, Bill Gates, Elon Musk, Jeff Bezos… et pendant un certain temps, la présidente du groupe Theranos Elizabeth Holmes.
De 2003 à environ 2015, Elizabeth Holmes fut considérée comme une force révolutionnaire dans l’industrie biomédicale. Sa promesse était simple et utopique : des tests sanguins quasi instantanés effectués à l’aide d’une seule goutte de sang. Génial, non? Plus jamais de prises de sang, de longues aiguilles et de tests qui prennent des jours à nous revenir. Le problème, c’est que la technologie d’Holmes n’a jamais fonctionné. L’entrepreneuse déchue a été reconnue coupable le 3 janvier dernier d’avoir fraudé ses investisseurs et risque jusqu’à vingt ans de prison. Elle recevra sa sentence le 26 septembre prochain.
La minisérie The Dropout, basée sur le balado du même nom, examine comment un tel fiasco ayant coûté plusieurs millions et duré plus de dix ans a pu se produire.
Fake it ‘til you make it
Mettant en vedette la toujours excellente Amanda Seyfried dans le rôle d’Elizabeth Holmes, The Dropout est d’abord et avant tout une étude de personnage et une déconstruction psychologique d’une jeune personne obsédée avec l’idée du succès. Fille de l’ancien VP d’Enron Christian Holmes, Elizabeth Holmes a été témoin de l’humiliation de son père lors de la banqueroute et du démantèlement de l’entreprise. Cet événement a fortifié son désir de vouloir changer le monde et de devenir riche.
Elle le dit d’ailleurs à plusieurs reprises dans la série. Son but est de devenir milliardaire, et on devient milliardaire en changeant le monde. C’est très millénarial comme plan de carrière.
La série souligne agressivement qu’Holmes est obsédée avec l’image de Steve Jobs. C’est d’ailleurs à cause de lui qu’elle portait des cols roulés noirs à chaque apparition publique.
On comprend très vite, dès le premier épisode de The Dropout, qu’Elizabeth Holmes n’est pas vraiment intéressée par l’industrie biomédicale. L’idée des tests sanguins lui est venue lors d’une visite à l’hôpital et n’est qu’un moyen d’arriver à ses fins. Son billet de loto vers la fortune éternelle, si vous voulez. La série souligne agressivement qu’Holmes est obsédée avec l’image de Steve Jobs. C’est d’ailleurs à cause de lui qu’elle portait des cols roulés noirs à chaque apparition publique et qu’elle s’exprimait avec une voix plus basse pendant de nombreuses années.
J’ai trouvé The Dropout fascinante (du moins, ses quatre premiers épisodes aujourd’hui disponibles; la série continuera à être déployée tout le mois de mars) parce qu’elle met en exergue la dualité entre le succès et l’idée du succès qui nous hante, nous les millénariaux.
À la base, connaître du succès en entreprise, c’est le produit dérivé de l’innovation, de la passion et de la résolution de problèmes. Par exemple, Steve Jobs voulait rendre la musique plus accessible. Il a donc conçu un produit portatif, facile d’utilisation et qui peut contenir tout une librairie musicale. En retour, on l’a récompensé avec un nouveau statut financier et social. Son succès à lui, c’était surtout ça : avoir changé le rapport à la musique de monsieur et madame Tout-le-Monde.
Dans le cas d’Elizabeth Holmes, c’est moins clair. Elle voulait à tout prix accéder à un statut social similaire à celui de Jobs sans vraiment se soucier de comment elle allait y arriver. Elle s’est accrochée à la première idée sans jamais avouer la défaite, pour le meilleur et pour le pire. Les anglophones ont cette expression lorsqu’ils parlent d’entrepreneuriat : fake it ‘til you make it. Dans le cas de Holmes, elle fait semblant jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Le géant aux pieds d’argile
Une autre thématique qu’aborde The Dropout est la vulnérabilité d’un système où le marché a libre cours pour dicter la valeur des choses. Le crime d’Elizabeth Holmes est principalement un abus de confiance. Dès les premiers instants de la série, les investisseurs lui demandent principalement une chose : un prototype fonctionnel de sa technologie.
Elle n’en a jamais eu un. Holmes a donc mis en scène une fausse démonstration pour ses investisseurs. Theranos a été financée sur un mensonge. Avant même qu’elle se lance en affaires, ses professeur.e.s d’université et les chercheurs et chercheuses consulté.e.s lui ont tou.te.s dit que son idée était impossible à réaliser. Réfléchissant en termes d’entrepreneuriat et non en termes scientifiques, Holmes voyait leur refus comme le refus qu’une idée puisse changer le monde. Elle avait tort.
Quand on donne de l’argent à quelqu’un qui se prétend expert.e dans le but de recevoir un service, on tient pour acquis que cette personne sait de quoi elle parle et que son produit/service fonctionne.
Le fiasco Theranos met en lumière la fragilité d’une économie basée sur la spéculation face à quelque chose d’aussi commun que la malhonnêteté et l’entêtement malsain. Quand on donne de l’argent à quelqu’un qui se prétend expert.e dans le but de recevoir un service, on tient pour acquis que cette personne sait de quoi elle parle et que son produit/service fonctionne. Si ce lien de confiance primaire se brise à plus grande échelle, beaucoup de projets ne seront pas financés et beaucoup de besoins ne trouveront pas de solutions au sens large. L’histoire de Theranos et The Dropout, c’est aussi ça. La fragilité du lien de confiance invisible derrière toute transaction financière.
Les quatre premiers épisodes de The Dropout sont disponibles sur Disney+ dès aujourd’hui. Il y en aura huit en tout et partout, diffusés à raison d’un par semaine jusqu’au 7 avril.