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La taverne du mois : La Remise

Excursion dans ce haut lieu de boisson et de karaoké du Plateau.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec La Remise, bar karaoké du Plateau reconnu pour provoquer de solides lendemains de brosse.

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AMBIANCE

Premier constat : La Remise est pas mal plus difficile à trouver a jeun que complètement saoul en suivant du monde. Reste qu’à force de tourner n’importe quel coin de rue à tâtons en sortant du métro Laurier, on finit par comprendre qu’on est peut-être à bonne place lorsqu’on entend des bonhommes de la cinquantaine parler fort entre une puff de cigarette pis un crachat sur l’asphalte.

«Icitte à Montréal, j’me suis promené trois ans pas de permis», entend-on à quelques mètres du coin Boucher et Resther, suivi d’un «si tu paies pas ton permis à Kahnawake, c’t’un agent de prison qui vient te chercher» bien senti.

Bref, bienvenue à La Remise, endroit au potentiel électrisant.

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Un premier coup d’œil à la bâtisse suffit pour savoir que ça a déjà joué rough aux alentours.

Un premier coup d’œil aux nombreux fumeurs avoisinant le hall d’entrée suffit aussi pour savoir qu’ici, la règle du fumage de cigarettes à neuf mètres de la porte ne s’applique pas.

Accrochée à la rampe, cette chaudière promotionnelle de 2008 fait office de cendrier.

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Située à neuf pieds de haut, cette affiche de règlement discrimine les gens trop grands. Malheureusement, le gars qui joue de la flûte sur des échasses au métro Jean-Talon n’est pas le bienvenu ici.

Appelés par la douce odeur de bière cheap qui émane de la porte, nous pénétrons.

Dans le sombre corridor qui mène à l’eldorado souhaité, nous sommes heureux d’apprendre que nous allons assister, ce soir, à l’«anniversaire de Julien», tel qu’écrit en sharpie bleu décoloré sur cette affiche. Qui est ce mystérieux Julien? Quel âge aura-t-il? C’est ce que nous saurons très bientôt.

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Chose certaine : l’ambiance est survoltée pour cet anniversaire bien spécial. Julien peut compter sur la présence de nombreux amis assis au bar.

Tranquillement assis à attendre que la serveuse rentre de fumer sa smoke, nous nous imprégnons de l’espace : des machines à sous, une table de babyfoot, un table de pool, des télés qui présentent du sport pis, surtout, deux portes d’entrée l’une à côté de l’autre d’un coup qu’il y aurait 300 personnes qui se pointent en même temps pour notre boy Julien.

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Au jukebox, le répertoire est notable. Offenbach, Marjo, Corbeau, Gerry Boulet… Tout ce qu’a touché Pierre Harel de près ou de beaucoup trop proche s’y retrouve. Comme si c’était pas assez, on y retrouve aussi la défunte légende contemporaine du rock de boys de Val-Bélair qui boivent de la Coors Light.

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ALCOOL

Malgré l’absence DÉPLORABLE de Labatt 50, la bière par excellence de l’authenticité tavernière, La Remise se reprend avec ces deux grands crus.

On a évité le fiasco de peu.

Petite particularité de La Remise : ce petit filet de mousse bien séduisant qui surplombe la O’Keefe.

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PRIX DÉRISOIRE

Pas grand-chose à redire de ce côté : La Remise offre des prix raisonnables côté fût, en phase avec l’héritage ouvrier des tavernes d’ici. À 3$ le buck/12$ le pichet de 36 onces, on peut difficilement se plaindre.

En revanche, côté grosse, y’a une couple de 25 cennes de trop au prix des bières qui se respectent (lire : O’Keefe, Laurentide et, ben mal pris, Black Label).

À vous d’en juger.

SERVICE

Très sociable et chaleureuse, notre serveuse du jour a une énergie très différente de celle des deux dames ultra bronzées à la voix rauque et au service sommaire qu’on voit habituellement le soir quand on se retrouve à La Remise après avoir refusé de faire le line-up à la Brasserie Laurier.

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«Ça, j’aime ça», nous dit-elle à deux reprises lorsqu’on se gâte avec Deux autres bières et Mes blues passent pu dans’porte.

Outre cet amour indéfectible pour Offenbach, nous partageons avec notre serveuse un penchant pour l’humour de qualité douteuse.

«Savez-vous pourquoi les Noirs se faisaient tuer plus souvent que les Blancs dans la guerre?» nous demande-t-elle, sans statistique à l’appui. «…Parce que quand ça criait ‘’GET DOWN!’’, ils se mettaient à danser au lieu de se coucher par terre», poursuit-elle, avant de se mettre à danser gracieusement en faisant semblant qu’il y a du James Brown qui joue. Du matériel de qualité pour le prochain show de Peter Macleod.

Autrement, le personnel semble s’être donné à fond pour faire passer des messages à sa clientèle, notamment en ce qui a trait à l’espace karaoke. Cette affiche laisse sous-entendre que plusieurs clients échauffés se sont servis de cette vitre pour éviter de perdre l’équilibre.

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Bon truc à savoir : la chaise change de fonction dès qu’on met une débarbouillette dessus.

Pis les tasses là-dedans?

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Toujours utile de marquer que l’endroit est 18 ans et plus sur une affiche posée à l’intérieur.

DÉCORATION/MOBILIER

Au-delà des affiches au sharpie, La Remise offre une décoration sublime, à commencer par ces lumières de Noël accrochées à l’année longue…

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…et ces prestigieux bancs sur lesquels ont probablement siégé des astronautes réputés.

Plusieurs cadres à l’effigie de personnalités de haute réputation ornent également les murs boisés de cet endroit idyllique. Grâce à la technologie du laminage, on peut boire notre bière en compagnie des Rolling Stones, de Charlie Chaplin, de Frank Zappa, d’Olivier Guimond ou de ce révolutionnaire issu du cégep du Vieux-Montréal.

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Les politiciens québécois aussi ont la cote, comme en témoignent un beau laminé de René Lévesque au fond du bar et une affiche promotionnelle mettant en vedette le charismatique et frisé Jean Charest.

En haut à gauche, ce cadre souvenir d’une rencontre avec Manon Massé retient l’attention lui aussi.

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Difficile aussi de passer sous silence le mobilier de la place. Bien installée en plein milieu du plancher, cette longue table haut perché avec une seule chaise apparait comme la section V.I.P. de La Remise. Probablement la place que prendra le très attendu Julien tout à l’heure.

À moins qu’il ne décide de s’asseoir sur cette chaise avec accoudoir amovible?

L’excitation est à son comble.

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PROPRETÉ

Émanations prononcées de Molson Ex en fût, odeur de cigarette à l’entrée, tables collantes mais pas trop… La Remise respecte les standards taverniers québécois.

Mention toute spéciale à l’invitante conciergerie, judicieusement située à la vue de tous les passants de la rue Boucher entre les deux portes de la sortie de secours du bar.

CLIENTÈLE

«Hey, on est-tu ben dans une taverne!! Y’a pas de femmes… On peut boire plus!» s’exclame un homme dans la cinquantaine, en semblant vouloir interagir avec nous.

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Intrigué par ce personnage coloré, l’un des quatre clients accoudés au bar, nous le regardons agir avec une grande attention. Habitué de la place s’il en est un, il multiplie les gorgées de Coors Light et les remarques déplacées avec une bonhommie qu’on ne croyait plus possible.

«On est obligés de les licher pour qu’elles puissent nous sucer», nous lance-t-il avec sa fougue machiste à peine caricaturée, avant de répondre au téléphone du bar. «C’est YVON LAMBERT», s’exclame-t-il, alors que la serveuse lui reprend promptement le combiné des mains.

Peter Macleod devrait VRAIMENT se tenir plus souvent ici.

TOILETTES

D’emblée, la couleur orangée des murs a de quoi surprendre, mais pas autant que l’arôme savonné, tellement intense qu’on a l’impression qu’elle cache quelque chose.

Après avoir senti une couple d’affaires de proche pour comprendre ce qui pouvait bien sentir le javelissant de même, on comprend que tout part du liquide bleuâtre de l’urinoir et de sa boule à mites cassée, probablement ravagée par les jets de pisse de tout un chacun.

Preuve que les proprios du bar ont du budget pour la propreté de la toilette, on nous sert un savon liquide fait à partir de «super petits fruits» tellement murs qu’ils sont encore verts.

Évidemment, tout est pas mal juste propre en surface ou, du moins, à la hauteur des yeux. Au plafond, c’est une autre histoire.

En-dessous du lavabo, le mélange d’eau et de rouille a l’air d’une coulée de bronze.

À l’intérieur de la cabine, les graffitis sont légion. L’un d’entre eux s’exhibe tel un mantra fédéraliste.

Bien disposé à uriner, un membre de notre équipage reçoit la visite fortuite de notre client préféré durant son séjour aux toilettes. «On es-tu ben entre hommes… Une fois de temps en temps…» lui chuchote-t-il à l’oreille, provoquant un pipi des plus express.

La nuance entre propos machistes et avances sexuelles n’aura jamais été aussi mince.

BOUFFE

Toutes ces aventures nous mènent à un seul constat : il est 21h15, et personne n’a encore soupé. Bien décidés à ne pas dépenser une piasse pour une poignée de noix de cajou, nous demandons à la serveuse qu’elle nous conseille sur les autres spécialités du coin.

Elle nous amène alors cette pile de menus qui, tout compte fait, nous prendra un bon 42 minutes à trier.

Du lot, certains de ces menus piquent notre curiosité, notamment celui-ci qui semble avoir été designé en 1958.

En termes de slogan, difficile de faire mieux que celui du Miteras.

Bref, après 42 minutes de niaisage, notre serveuse a choisi le Bella Pizza à notre place. Le combo ailes de poulet avec riz est à considérer.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Tel que prévu, La Remise n’accepte pas les paiements par carte de débit ou de crédit. Reine de l’endroit, la machine ATM a un faible pour les traits d’union mal placés.

Mis à part une machine à fesser dedans avec un poing qui descend, l’endroit ne mise pas sur une technologie très développée. Bien disposé à l’entrée, cet artefact de collection prouve que l’endroit existe dans une autre décennie.

BILAN DE L’ÉVALUATION

Juste assez ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Bilan de l’évaluation : 65/100

BONUS : un cône qui tient une porte (+1)

Un aspirateur central qui prend beaucoup trop de place au plafond (+2)

L’interdiction de s’insérer entre le mur et la rangée de chaise (-1)

Du filage ostentatoire (+2)

Vivre dans le passé (+1)

Éviter d’entretenir la plupart des murs et des planchers (+1)

Bon choix télévisuel (+1)

«La grosse» (+1)

Dessin mystérieux qui semble représenter une toilette non-genrée (+1)

Finalement, Julien ne s’est jamais présenté pour sa fête (-3)

Note finale : 71%

Classement

La Chic Régal : 76,5 %

La Remise : 71%

Bar 99 : 61 %

VV Taverna : 49 %

Idéation et photos : Olivier Boisvert-Magnen, Divan Viril, Dany Gallant et Yannick Coderre