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La taverne du mois : Gaspé Broue

Visite guidée du bar country vedette de la Promenade Masson.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec le Gaspé Broue, l’un des incontournables houblonnés de la Promenade Masson.

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AMBIANCE

À quelques mètres de notre eldorado, nous remarquons la forte et vaste communauté qui abrite ce haut lieu de boisson. Ici, le peuple a repris le contrôle de l’espace urbain.

Après avoir sympathisé avec certains clients extérieurs en leur envoyant de succincts hochements de tête, nous passons cette porte métallique rouillée retenue avec finesse.

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Même si la neige a fondu dehors, le calcium a toujours fière allure sur le tapis d’entrée du Gaspé Broue.

Avec une ambiance comme ça, on comprend les gens de préférer rester dehors.

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Loin du Garth Brooks et du Paul Daraîche que le nom du bar nous avait pourtant promis, la liste musicale privilégiée en ce samedi soir de semaine tend davantage vers le disco, la musique pop hispanique (lire : Macarena) et, encore plus curieusement, K-Maro. Heureusement, pour à peine 2$, nous bénéficions d’une vingtaine de crédits dans ce jukebox contemporain, qui nous permettent de renouer avec nos classiques locaux.

Signe que la soirée va être bonne : une télévision avec un menu Illico circa 2004.

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Plus on avance dans le bar, plus on se sent comme dans une grotte abandonnée. En fait, ce manque probant de clarté nous rappelle avec nostalgie ces épisodes rocambolesques où l’on jouait à la tag dans le sous-sol de notre ami du primaire pour sa fête.

Au fond, ces jeux de hasard clinquants viennent casser l’ambiance sombre soigneusement élaborée. Heureusement, la «clientèle» préfère chiller dans rue plutôt que d’encourager le gouvernement.

ALCOOL

À défaut de servir de la bonne bière (lire : O’Keefe ou Laurentide), le Gaspé Broue évite de provoquer des dilemmes à ses clients en offrant qu’un seul choix de fût : la Molson Canadian. Exception faite de son goût prononcé de fond de baril ranci, ce breuvage de qualité oscillante nous semble plutôt remarquable.

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Les vrais habitués de taverne seront également contents d’apprendre qu’on y sert de la bonne vieille Labatt 50 en bouteille.

PRIX DÉRISOIRE

Ouvert chaque jour à partir de 10 heures le matin, ce débit de boisson sait prendre sa clientèle par les émotions en offrant des spéciaux INCROYABLES en journée et ben corrects en soirée.

Bon pour à peu près trois verres standards ou quatre verres toppés de mousse, le pichet s’apparente au meilleur deal possible, surtout si vous avez une préférence marquée pour la bière putride.

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Bref, pour 10$ avec tip, vous recevez en masse de bière pour sustenter 4 personnes pendant 25 minutes. En bonus, vous obtenez un regard plus ou moins approbateur de la serveuse qui s’attendait à ce que vous lui donniez une piasse de plus.

SERVICE

Parlant de serveuse, celle qui nous reçoit avec élégance ce soir se nomme Sylvie. Difficile de faire mieux en termes de nom de barmaid de taverne country.

Très dévouée, Sylvie répond à nos besoins houblonnés en l’espace de quelques secondes, en plus de faire semblant de s’intéresser à ce qu’on lui dit alors qu’elle a juste envie d’aller rejoindre le monde dehors pour aller fumer une bonne smoke.

DÉCORATION/MOBILIER

En criant manque de lumière, le Gaspé Broue se rattrape en nous offrant une décoration de haut vol qui illumine notre pèlerinage.

Près de l’entrée, cette géante photo de la Gaspésie nous donne l’impression d’avoir été prise par Jacques Cartier lui-même tellement sa résolution est basse.

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Tout près des speakers, là où des artistes country de grande envergure se produisent devant un public en liesse chaque vendredi et samedi, on retrouve une peinture de qualité indiscutable mettant en scène un décor western fantomatique.

Inspirant.

Parlant d’art, cette licorne chevaline en or fluorescent incrusté dans le miroir a de quoi émouvoir.

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Bien accrochée subtilement à la grandeur du bar, cette affiche de Molson Dry semble dater du tournant des années 2000 si l’on se fie à la mode jupette d’écolière et stud post-Prodigy à laquelle les protagonistes semblent adhérer.

Probablement la campagne publicitaire qui a suivi celle des Sons gagnants.

Bien important de se servir de son surplus d’affiches promotionnelles antiques pour tapisser ses colonnes.

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Occupant le tiers de l’espace vital du bar (incluant le 46 pieds carrés extérieurs où socialise l’ensemble de la «clientèle»), le plancher de danse du Gaspé Broue est bien défini et sécuritaire. À quelques détails près, il nous rappelle celui de l’ancien Lovers situé dans le sous-sol du Da Giovanni sur Sainte-Catherine.

De proche, ce plancher dévoile l’ampleur de sa dégénérescence.

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CLIENTÈLE

À l’intérieur, pas évident de juger la faune du bar considérant que tout le monde, incluant la serveuse, préfère aller chiller sur le trottoir plutôt que de passer du temps de qualité autour d’un bock de bière flatte. Pour faire changement, on doit donc se fier aux apparences pour évaluer ce critère.

À elles seules, ces deux vestes en polar nous indiquent que les clients du bar ont un goût prononcé pour l’œuvre complète de Paulo Coelho.

À partir de 19h32, les clients commencent finalement à rentrer dans le bar. «Pour que la marde s’en aille dans rue, il faut que t’envoies de l’air dedans», envoie l’un d’eux, sans trop s’étendre sur le sujet.

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Retenant notre attention avec cette citation incompréhensible, mais scatophile, il nous enjoint à nous approcher pour jaser de tout et surtout de rien. C’est à ce moment précis que nous apprenons l’existence d’une grande vedette locale : le fameux «Monstre de Masson», tel qu’affiché sur cette photo souvenir.

Intrigués par cet homme à la propension dévergondée, nous cherchons à en apprendre plus sur son mythe. Les informations demeurent confidentielles… jusqu’au dévoilement du spectre lui-même!

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«C’est moi, le monstre de Masson!» s’exclame alors cette grande légende qui, finalement, était accotée au bar depuis tantôt pendant qu’on parlait de lui.

Une photo s’impose.

PROPRETÉ

Même si certains coins sombres de la place font office de débarras, tout particulièrement l’arrière du « DJ booth », le Gaspé Broue apparaît comme une taverne décente à l’odeur de houblon séché bien tempérée. Bref, l’endroit respecte les normes tavernières en place : pas trop propre, mais pas non plus trop sale à un point où on a le goût de caler notre bière pis crisser notre camp.

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Mention spéciale aux nombreux résidus de scotch tape qui donnent un voile brumeux à la fenêtre. Ceux-ci incarnent avec sensibilité les rêves brisés d’une clientèle désillusionnée.

TOILETTES

Parlant de rêves brisés, les toilettes devraient rompre l’espérance que vous avez pour la suite de l’humanité.

D’emblée, le loquet d’entrée donne le ton avec une saleté de grande envergure.

Au plafond, les bouches d’aération poussiéreuse côtoient les patchages de dégât d’eau avec une pancarte plastifiée.

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Ceux qui se ramassent toujours avec plus de couvercles que de plats Tupperware devraient venir s’approvisionner dans les toilettes du Gaspé Broue.

Rouille avancée et plâtre apprêté avec inadvertance.

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Du côté des femmes, l’espace intime est magnifié par la présence de ce miroir baroque.

Bien entendu, c’est aux femmes qu’on demande de rester propres.

Échec de la mission.

BOUFFE

Cette salubrité exemplaire nous donne faim et, vraisemblablement, l’offre alimentaire est bien garnie ici, comme en témoignent ces deux seuls choix de nourriture proposés par la nouvelle mouture de Mixmania.

Ne reculant devant rien mis à part des croustilles au ketchup, nous demandons à notre serviable Sylvie de nous guider vers un dessein plus louable. Elle nous prête donc l’alléchant menu du restaurant avoisinant, Pizza Masson Enr.

Ce pain à la fois saucé et occulte nous interpelle.

Plus ou moins décidés, nous choisissons de nous rendre sur place afin de tâter le pouls de cette gastronomie indiscutable. En entrant, le contraste entre le paysage glacier bucolique et l’ambiance jaune délavé du restaurant remue nos sens.

Il n’est jamais trop tard pour cultiver l’espoir que les Canadiens de 2017 se rendent loin en séries.

Le marketing menaçant est toujours le plus efficace.

Après cette épopée de tous les instants, nous revenons à notre table de prédilection avec un repas équilibré : 20 ailes de poulet. Pour être plus précis, on doit ici parler de 17 ailes, car, devant une malencontreuse rupture de stock, notre cuisinier en a remplacé trois par autant de gros pilons. On parle ici du deal de l’année.

Passées trois-quatre fois dans la friteuse, nos ailes sont tellement panées qu’elles sont granuleuses.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Avec uniquement deux télévisions et aucun accès WiFi direct (ce qui exclut celui de la Promenade Masson, imposé à tort), le Gaspé Broue garde un degré d’authenticité enviable quant aux normes tavernières, qui visent essentiellement à rester pris dans les années 1970.

Preuve irréfutable de son refus de la modernité, même le guichet ATM décide de ne pas fonctionner.

Toujours prête à secourir sa clientèle, Sylvie tente de régler ce problème informatique. Après avoir reparti la machine à deux reprises sans succès, elle nous enjoint à aller retirer de l’argent au Desjardins le plus proche.

Un peu plus et elle acceptait nos chèques postdatés.

Mention au jeu de cribe fleurdelisé décoratif.

BILAN DE L’ÉVALUATION

Intensément ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Bilan de l’évaluation : 73/100

BONUS : Un dildo dans la machine à toutous (+4)

Du surlignage rose très élégant (+1)

Personne devant le bar à partir de 22 : 12 (-1)

Un graffiti bienveillant à quelques mètres de l’établissement (+1)

Note finale : 78 %

Classement

Gaspé Broue : 78 %

La Chic Régal : 76,5 %

Bar 99 : 61 %

VV Taverna : 49 %

Idéation et photos : Olivier Boisvert-Magnen, Divan Viril, Florence G. Lemieux et Mathieu Aubry