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Sommes-nous lassés des podcasts?
Si mes journées possédaient une bande sonore, elles seraient majoritairement composées des podcasts qui rythment ma vie.
Dans le métro, je laisse les récits à deux voix de Passages me bercer. En rangeant mon appartement, les questionnements d’Anything goes portés par la youtubeuse Emma Chamberlain font passer le temps plus vite. Lorsque je voyage, je télécharge juste assez d’épisodes de Are we still friends? pour rire sur le trajet. Et avant de dormir, il m’arrive d’écouter un ou deux épisodes du balado d’histoires criminelles Serial. Quitte à faire ensuite des cauchemars, autant connaître d’avance leurs scénarios.
Bien que ce format audio ne date pas d’hier, son âge d’or, lui, ne montre aucun signe d’affaiblissement. Avec le temps, les podcasts ont même appris à épouser la forme parfaite de notre quotidien, transcendant le territoire du simple divertissement pour toucher à celui de l’éducation, du documentaire, du coaching et même du sommeil — vive les podcasts ASMR. C’est bien simple : tant qu’il y aura de sujets à creuser, il y aura un public qui suivra.
Une lassitude encore légère, mais bel et bien palpable, tel le calme avant la tempête.
Mais il semblerait que le vent tourne, ces derniers temps, et que l’auditoire autrefois si friand d’anecdotes et de discussions commence à s’en désintéresser. Une lassitude encore légère, mais bel et bien palpable, tel le calme avant la tempête. Phase passagère ou mort lente du podcast? Explorons ensemble ce phénomène.
Les graines de la discorde
On devine souvent un trend qui s’essouffle aux mèmes qui encerclent son cercueil. Les premiers que j’ai vus émerger concernant le podcast restaient toutefois de l’ordre gentillet du running gag. Ici, l’humour reposait principalement sur le fait que le monde entier ait fini par succomber à l’appel du microphone, tout domaine de carrière confondu — nos artistes préféré.e.s, les créateur.rice.s de contenu sur nos fils Instagram, nos président.e.s et ministres, nos chauffeur.euse.s Uber et même notre propre petit frère passionné de Fortnite.
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Puis, des blagues inoffensives, nous sommes passé.e.s aux rires anxieux. Et pour cause : chaque jour, un podcast naît et une demi-heure dans notre agenda meurt. Après cela, comment trouver encore du temps pour tout écouter, surtout lorsqu’il nous reste encore à rattraper vingt-six épisodes de trois émissions différentes? Vingt-sept, maintenant — un nouveau podcast a éclos durant cette question.
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Et enfin, le dernier palier : celui de l’agacement réel. Certes, l’offre est grande, mais est-elle pour autant pertinente? Pour beaucoup d’auditeur.rice.s blasé.e.s, les thèmes se ressemblent, les discussions tournent en rond et leurs raisonnements sonnent creux. La montée exponentielle des podcasts ne semble plus motivée que par l’amour de sa propre voix, rien d’autre. Et à ce stade, le verdict semble aussi las qu’irrévocable : il y a bien trop de podcasts sur cette planète polluée.
Couru d’avance
Cet agacement était inévitable, à vrai dire, surtout au regard des statistiques. En 2020, soit au cœur de la pandémie, pas moins de 70 000 podcasts par semaine voyaient le jour. Et en janvier 2023, les dernières statistiques comptabilisaient plus de 5 millions de podcasts pour environ 465 millions d’adeptes. Des chiffres élevés qu’une facilité de production explique : si vous avez un téléphone et du wifi, vous avez essentiellement une émission. Peu étonnant, donc, que cette activité à faible budget continue d’attirer du monde et qu’à la longue, les sujets finissent par empiéter les uns sur les autres jusqu’au soupir collectif.
si vous avez un téléphone et du wifi, vous avez essentiellement une émission.
Sans compter que le format passe-partout du podcast lui permet de rassembler en son sein le meilleur des mondes. Il est plus concis qu’une conversation, plus détaillé qu’un bulletin d’information, plus multitâches friendly qu’une vidéo YouTube et plus intimiste qu’une série télévisée. Là encore, chacun.e peut y trouver son compte.
Et la surabondance du catalogue joue paradoxalement un rôle très positif, ici. En effet, quel est l’avantage premier d’un marché saturé? Le fait qu’absolument tout puisse y être trouvé, même les intérêts les plus obscurs. Si vous vous sentez donc seul.e parce qu’aucune âme autour de vous ne partage votre amour débordant pour Denzel Washington ou pour le monde des furies, n’ayez crainte. Plusieurs podcasts dédiés à ces deux domaines spécifiques vous attendent déjà à bras ouverts.
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Plusieurs personnes peuvent aussi traiter un même sujet différemment, ce qui contribue à la richesse du genre. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que les podcasts s’organisent de plus en plus autour du profil qui les porte plutôt que d’un thème particulier. Ce qui nous pousse à cliquer et à nous abonner relève bien plus souvent d’une affinité pour l’animateur.rice et son style de discussion qu’autre chose. En d’autres termes, je donnerais plus facilement sa chance à un podcast de crypto animé par Grimes que par Elon Musk.
Et puis, attendez : on ne dit jamais qu’il y a trop de vidéos du même type sur YouTube. Pourtant, combien de reprises de Wonderwall peuvent y être trouvées?
À la dérive
Reste que dans certains recoins de l’internet, la réputation des podcasts est en chute libre véritable. Cette mauvaise image est en garde partie alimentée par les extraits chocs de balados que les algorithmes poussent de manière systématique dans les fils d’actualité TikTok, Instagram ou Twitter. La conséquence pour ceux et celles qui, chaque jour, voient ces extraits confrontants circuler sur leurs écrans, est qu’ils et elles finissent par penser que les podcasts ne sont finalement que cela : un vecteur d’idées répréhensibles.
le format podcast n’a pas inventé la transphobie, la misogynie et encore moins la culture du grooming.
Parmi ces séquences fréquemment virales figureraient celles de Fresh & Fit, ce podcast américain masculiniste et pro-Andrew Tate, dans lequel est prêché que « plus une femme est enceinte, plus une femme perd de sa valeur ». Il y aurait aussi ce balado qu’on ne présente plus, The Joe Rogan Experience, au micro duquel l’universitaire canadien Jordan Peterson, invité de passage, qualifie la transidentité de « contagion sociologique » comparable aux « abus rituels sataniques [présumés] qui ont émergé dans les garderies » dans les années 1980. Un troisième exemple serait l’extrait de Tonight’s Conversation où un nouvel invité, manifestement possédé par l’esprit de Leonardo DiCaprio, affirme préférer « les femmes plus jeunes » car « plus influençables ».
On s’entend que le format podcast n’a pas inventé la transphobie, la misogynie et encore moins la culture du grooming. On s’entend aussi que ce type de discours alarmants peut se retrouver à peu près partout – sur YouTube, dans un tweet, sur un live Facebook ou même dans un souper de famille. Ici, l’enjeu se situe donc plus au niveau de l’accessibilité et la rapide propagation de tels discours.
Hélas, il s’agit là des deux points forts d’un podcast : il est facile à faire et encore plus facile à promouvoir, un seul teaser polémique jeté à l’aveugle sur les réseaux sociaux suffisant à récolter la viralité que l’émission recherche. Et si son contenu en dit juste assez pour ne pas enfreindre les conditions générale d’utilisation de sa plateforme support, mais suffisamment pour continuer à agiter négativement les foules, le succès est alors assuré. Un cycle toxique qui semble malheureusement bien parti pour durer.
Nous sommes en 2023 et le podcast est toujours là, solide sur ses deux jambes.
Cela nous permet toutefois de conclure sur une réalisation importante. Depuis le départ, ce vent de lassitude n’est pas dirigé vers le balado en lui-même, mais plutôt vers ses usages. Si le genre dans son ensemble était la racine du problème, il serait éteint depuis 2019, lorsque le New York Time se demandait déjà s’il n’existait pas trop de programmes. Mais nous sommes en 2023 et le podcast est toujours là, solide sur ses deux jambes, prêt à nous rappeler que, dans toutes ses unicités, ses répétitions et ses dérives, il faut de tout pour faire un monde.