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Les incels ont trouvé leur nouveau messie. Il fume des cigares torse nu dans sa cave, considère la femme comme un bien mobilier de l’homme et répond au doux nom d’Andrew Tate. Aussi incontournables que la COVID, ses tirades misogynes pour « mâles alphas » infestent désormais tous les réseaux sociaux, de nos reels Instagram à nos fils TikTok, faisant aussi bien des dégâts que des adeptes sur son passage. Mais pour comprendre le danger réel de cette surexposition, il est important d’identifier l’homme qui en est au cœur.
Du haut de ses 35 ans, Andrew Tate a déjà eu une vie bien remplie. Tour à tour, cet américano-britannique a été champion de kickboxing, star de téléréalité, cofondateur de plusieurs réseaux de cam girls, propriétaire de casinos en Roumanie, ouvertement admirateur de Trump et Hitler, soupçonné de trafic d’êtres humains (nous y reviendrons) et multimillionnaire. Depuis, il vend — littéralement — le rêve de devenir aussi riche et « masculin » que lui via un programme payant nommé « Hustlers University » (en français : « l’Université des Débrouillards ») que beaucoup soupçonnent être une arnaque pyramidale.
une vidéo d’Andrew Tate atterrissant sur votre fil n’est jamais là que pour vous énerver.
Si c’est le cas, cela expliquerait la soudaine omniprésence de ses discours dangereux sur nos écrans. « Toute personne qui adhère à la Hustlers University a la possibilité de devenir affiliée au cours », révèle sur TikTok Ben Leavitt, internaute spécialisé en stratégie des réseaux sociaux. « L’une des principales méthodes enseignées par les cours consiste à découper des clips de Tate à utiliser sur les réseaux sociaux pour générer du trafic. » Sachez donc qu’une vidéo d’Andrew Tate atterrissant sur votre fil n’est jamais là que pour vous énerver : elle l’est aussi pour vous recruter.
Par-delà le facteur choc
Il est tentant de considérer Andrew Tate comme un personnage jouant sur les extrêmes dans le simple but d’être célèbre. En ce sens, sa stratégie peut même paraître ingénieuse : prononcer des propos aberrants, créer l’outrage, voir sa popularité grimper, se faire inévitablement inviter pour en débattre, répéter plus fort encore ces mêmes opinions aberrantes, créer un nouvel outrage, voir son nombre d’abonnés grimper, rincer, répéter.
« Vous ne pouvez pas être responsable d’un chien qui ne vous obéit pas […] ni d’une femme qui ne vous obéit pas », prononce-t-il sur le podcast BFFs. Boum, son nom est parmi les plus recherchés sur Google. « Si une femme sort avec un homme et qu’elle veut faire OnlyFans, alors elle lui doit une partie de cet argent parce qu’elle est à lui; […] il a un intérêt dans ces parties intimes de son corps », continue-t-il sur ce même podcast. Boum, le nombre d’adhérents à la Hustlers University dépasse la barre des 180 000. « 99 % des problèmes dans le monde seraient réglés si les femmes progressaient dans la vie avec leur body count (nombre de partenaires) sur le front », assène-t-il avec force sur le plateau de Stand Out TV. Nouveau boum viral. Rien de magique ici, pourtant : le facteur choc a toujours été vendeur, et ça, l’ex-kickboxeur l’a très bien compris.
Plus inquiétant encore : Andrew Tate sait parfaitement ce qu’il fait.
Mais Andrew Tate n’est ni un personnage fabriqué ni un mème Internet. Dans la vie réelle, il incarne tout le mépris des femmes qu’il énonce continuellement en ligne. En 2016, une vidéo de lui fouettant son ex-partenaire avec une ceinture et la frappant au visage refait surface, ce qu’il prétend encore être consenti. En 2017, durant la libération de la parole autour des agissements de Harvey Weinstein, il n’hésite pas à tweeter que « si vous vous mettez en position d’être violée, vous devez assumer une part de responsabilité ».
Et en avril 2022, la villa qu’il partage avec son frère en Roumanie est perquisitionnée par la police sur des suspicions de kidnapping et de trafic humain, après qu’une Américaine ait affirmé y être séquestrée. Selon les enquêteurs roumains interrogés par la presse locale, quatre femmes auraient été découvertes sur place, deux d’entre elles marquées du tatouage « Propriété de Tate ». L’une d’elle aurait également affirmé être retenue contre son gré, vraisemblablement pour faire de la webcam. Bien que les deux frères aient été remis en liberté, une enquête pour viols et exploitation sexuelle est encore en cours.
Un plan en trois étapes
Plus inquiétant encore : Andrew Tate sait parfaitement ce qu’il fait. Dans une vidéo maintenant supprimée, il affirme avoir déménagé en Roumanie « à 40 % » parce que l’Europe de l’Est traiterait moins sérieusement les accusations d’agressions sexuelles. « J’aime l’idée de pouvoir faire ce que je veux, se justifie-t-il. Si vous êtes un homme vivant […] dans n’importe quel pays occidental, vous avez décidé de vivre dans un pays où n’importe quelle femme […] à tout moment dans le futur peut détruire votre vie. »
ce qui est dit à huis clos dépasse les horreurs qu’il profère en public.
Lorsqu’il propage son vitriol d’un réseau social à l’autre, il le fait aussi en pleine connaissance de cause. « C’est la première étape d’un plan en trois parties », partage-t-il ainsi, rictus aux lèvres, au micro du Full Send Podcast. « Donc je vais être viral pour un petit moment, et puis la seconde étape commence. La quête continue. » À l’entendre, ce n’est pas une communauté de fans qu’il souhaite mettre sur pied, mais une véritable secte, voire une armée tout entière. « J’ai 110 000 personnes qui m’aiment, qui sont mes fans [et] qui m’aideraient si je le demandais », les dénombre-t-il même lors d’une entrevue sur la chaîne du streameur Adin Ross.
L’aider à quoi? Qu’une telle question vienne à l’esprit nous fait réaliser qu’Andrew Tate est bien loin du buzz accidentel qu’on le pensait incarner. Froidement organisé, il paraît aussi bien planifier une guerre que se préparer à son éventualité. Pour preuve, son club plus exclusif (et cher) que la Hustlers University s’appelle la War Room et semble être une sorte de franc-maçonnerie version Walmart offrant à ses membres le privilège de « comprendre les règles du jeu » et de « sortir de la matrice ». Outre ces termes sinistrement vagues, nul ne sait réellement ce qui s’y passe.
Nous devrions aussi tous et toutes nous interroger sur les raisons d’un tel succès.
Une chose reste sûre, cependant : ce qui est dit à huis clos dépasse les horreurs qu’il profère en public. « Les choses dont je parle dans mes réseaux privés, je n’en parle tout simplement pas ici en public […] aussi profondément ou [de façon] aussi avancée », révèle-t-il ainsi dans une entrevue. « Les “normies“, les “brokies“, ils ne sont pas prêts à l’entendre. » Il existerait donc un degré de misogynie plus violent et « avancé » que celui exprimé sur les réseaux.
Une culture du viol banalisée
Devrait-on donc avoir peur d’Andrew Tate? Dans un monde où le nombre de féminicides grimpe d’année en année et où le droit des femmes à avorter est de plus en plus fragilisé, nous devrions tous et toutes nous inquiéter qu’au moins 110 000 hommes adhèrent ouvertement à ces discours de masculinité toxique. Et dans l’ombre, soyez certain.e.s qu’ils sont treize fois plus.
Mais nous devrions aussi tous et toutes nous interroger sur les raisons d’un tel succès. Andrew Tate n’a enfoncé aucune porte. S’il apparait aujourd’hui sur tous nos écrans, c’est que le terreau était déjà fertile avant même qu’il n’arrive. De la même manière que Donald Trump était décrit comme disant tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, Andrew Tate est venu donner un visage, une voix et des outils de guerre à des hommes qui détestaient les femmes en secret jusque là.
Andrew Tate n’est pas un phénomène viral ou marginal. Il est le symptôme d’un monde où la misogynie a été érig ée en religion. Et cette année, en voici le messager.