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#SkinnyTok

#SkinnyTok : pourquoi l’injonction à la minceur nous rattrape toujours? 

Quand la grossophobie s’invite sur nos feeds. 

Par
Myriam Daguzan Bernier
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L’autrice est sexologue. Pour encore plus de conseils éclairés, visitez son compte Instagram et son blogue La Tête dans le cul.

Il y a quelques semaines déjà, sur TikTok, des vidéos de la chanteuse Meghan Trainor ont circulé, montrant cette dernière en spectacle, interprétant All About That Bass, ce succès de 2014, dans lequel elle célèbre le fait d’être ronde. Plus d’une décennie plus tard, l’artiste, résolument amincie, chante toujours :

Yeah, it’s pretty clear, I ain’t no size two

But I can shake it, shake it, like I’m supposed to do

‘Cause I got that boom boom that all the boys chase

And all the right junk in all the right places*

Il n’en fallait pas plus pour que les commentaires fusent, l’accusant d’avoir eu recours au médicament Ozempic pour transformer son corps. Trop grosse lorsqu’elle chantait cet hymne pop selon certain.e.s, dorénavant trop mince pour l’interpréter selon d’autres; impossible de gagner auprès du public quand on est une femme ou une personne féminine .

Et la tendance #SkinnyTok n’est pas étrangère à cette dynamique.

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Quand notre algorithme nous fatshame

Au cas où vous ne l’aviez pas vu passer, il s’agit d’un trend faisant la promotion de contenus – vous l’aurez sans doute deviné – prominceur. Ou, devrais-je dire, promaigreur, tant les propos tenus et les images montrées ne valident pas seulement le fait d’être mince, mais encouragent carrément les gens à adopter des comportements et des habitudes qui célèbrent l’extrême minceur.

Avec des slogans comme : « T’as besoin d’une gâterie? Mais t’es quoi exactement? Un chien? », les jeunes cibles – les femmes, particulièrement – sont violemment pointées du doigt et sommées de perdre du poids, de surveiller la quantité de nourriture qu’elles ingèrent, voire d’adopter des régimes alimentaires hyper restrictifs.

Et être mince ne suffit plus; on veut de l’ultramince. « T’es mince? Tu peux l’être encore PLUS! » Encore une fois, on ne s’en sort pas; les femmes et personnes féminines ne sont jamais assez. Jamais assez toute.

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Et s’il vous plaît, avant que j’entende encore une énième personne hurler que TikTok c’est le mal incarné, j’aimerais rappeler que des mouvements comme #SkinnyTok existaient déjà bien avant l’arrivée de la plateforme. Dans les années 1990, des blogues et forums sont apparus sous l’appellation « pro-ana », pour pro-anorexie. On pouvait y trouver des contenus de type « thinspiration » (contraction de thin, pour mince, et du mot inspiration) : des photos, vidéos et phrases d’affirmation pour garder le cap vers un seul et même but, soit celui d’être mince et de le rester, à tout prix.

Grossophobie

Mais pourquoi, malgré des années (que dis-je, des décennies!) de #bodypositivity, #bodyneutrality ou #bodyacceptance, on en revient toujours à ça ? Entendons-nous; cette question est purement rhétorique. Je sais très bien pourquoi on en est toujours là : notre société est incroyablement grossophobe. Des exemples? Les tapis rouges, ces défilés qui pullulent actuellement de gens affichant la Ozempic face, ce fameux visage sur lequel on voit une perte de poids rapide via l’accentuation de certaines rides et plis de peau. Sinon, il y a l’injonction à se dénuder et à avoir un bikini body qui revient chaque année, malgré que bien des gens ont beaucoup de difficulté à se trouver beaux, l’été.

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Bon, je vous rassure, l’idée n’est pas non plus de tomber dans le skinny shaming, car on ne sera pas plus avancé.

Il reste qu’un des exemples les plus flagrants pour moi se trouve en clinique. J’ai entendu plus d’une fois des gens me nommer la crainte de prendre du poids face à l’éventualité de devoir prendre des antidépresseurs. Même avec le moral complètement à plat et le besoin d’aide flagrant, de nombreuses personnes préfèrent les éviter, par peur d’engraisser.

Ben oui.

Et je comprends. Pour vrai.

Se battre contre une société grossophobe, c’est rough en ta’. Pour certaines personnes, c’est probablement plus difficile encore que d’avoir des symptômes dépressifs (ou c’en est parfois la source!). TOUT nous rappelle que la minceur est l’état corporel désirable, souhaitable. Que ce soit à travers la mode, les tendances #foodie ou santé, la sexualité, name it. Comment en vouloir aux gens de vouloir se conformer à cet idéal de beauté, dans un monde qui nous fait sentir comme de la m… si on ose s’en éloigner?

Et avoir un contrôle sur son poids, ne serait-ce pas aussi avoir le contrôle sur quelque chose, dans ce monde chaotique?

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Wô, minute! Avant que j’en entende hurler : je ne suis pas en train de dire que #SkinnyTok, c’est super chill. Je tente simplement de comprendre pourquoi on embarque là-dedans, malgré l’aspect néfaste qui peut en ressortir. Mes hypothèses : la pression sociale, la honte intériorisée de son corps, la vie en tant que personne mince qu’on y fait miroiter, chatoyante comme une belle piscine fraîche en pleine canicule.

Ni le premier ni le dernier

Évidemment que des trends comme #SkinnyTok sont hautement problématiques et on aimerait donc s’en débarrasser. (Le mot-clic a été banni de TikTok, mais on retrouve facilement le même contenu, simplement via d’autres hashtags comme #skinny.) Mais ils sont symptômes d’un malaise plus profond; again, la grossophobie.

#SkinnyTok ne sera ni le premier ni le dernier des mouvements nocifs à émerger des plateformes sociales. Car tant qu’on valorise un seul type de corps, une certaine apparence physique qu’on voit ad nauseam, il y aura toujours quelqu’un.e (un.e influenceur.euse, une vedette) ou quelque chose (une marque, une compagnie) pour nous rappeler qu’on est assujetti à des règles bien strictes en matière d’acceptation corporelle.

Et ça, ça serait vraiment, mais vraiment le temps que ça change.

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* Ouais, c’est assez clair, je ne fais pas la taille 2/Mais je peux le secouer, le secouer, comme je suis censé le faire/Parce que j’ai ce boom boom que tous les garçons veulent/Et tous les bons trucs aux bons endroits.

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