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L’Ozempic et le culte de la perte de poids « miracle »
Quand j’ai pitché cette idée de minireportage à l’équipe d’URBANIA, je m’étais promis, pour une fois dans ma vie, de ne juger aucune des personnes que je m’apprêtais à interviewer en raison de sa grossophobie, internalisée ou non. Je voulais voir au-delà des croyances personnelles des patients pour mieux saisir l’ampleur humaine du phénomène Ozempic et enfin comprendre ce qui peut pousser ces gens à détourner l’usage d’un médicament aux 1001 effets secondaires désagréables, qui coûte en plus de ça la peau des fesses.
Sauf que ç’a été plus fort que moi : dès que Raegan, la première femme à qui j’ai parlé au téléphone, s’est mise à me raconter à quel point elle était prête à tout – même à vivre le tiers de sa vie avec des nausées, une constipation et une fatigue intenses dus à l’Ozempic – pour le seul trip de vivre dans un corps mince, j’ai l’ai jugée.
Et j’ai un peu perdu foi en notre société intrinsèquement grossophobe qui nous convainc un peu plus chaque jour que la minceur doit primer sur notre confort, notre santé, notre bonheur et notre vitalité.
Petit cours d’Ozempic
D’abord, remettons les pendules à l’heure.
L’Ozempic est un médicament injectable conçu par l’entreprise pharmaceutique danoise Novo Nordisk et approuvé par Santé Canada en 2018. Il n’a pas été conçu pour aider à perdre du poids, mais plutôt pour traiter le diabète de type 2 en contrôlant la glycémie. L’aspect coupe-faim du médicament délivré sous ordonnance n’est qu’un de ses nombreux effets secondaires.
Pourtant, en décembre dernier, ce sont ses vertus amaigrissantes qui ont défrayé les manchettes. Partout, à la télé, dans le journal et en ligne, on ne voyait, ne lisait ou n’entendait qu’à quel point l’Ozempic, lorsqu’utilisé hors indication, était miraculeux pour faire fondre la graisse vite, vite, vite.
Déjà, ça sonnait une drôle d’alarme dans mon cerveau. Quand c’est trop beau pour être vrai… c’est souvent parce que ça l’est.
Depuis, plusieurs célébrités ont avoué en prendre pour perdre du poids, notamment Elon Musk et Amy Schumer (sans mettre de côté celles qui démentent les rumeurs *ahem* Mindy Kaling, Rebel Wilson, Kim et Khloe Kardashian *ahem*) et les pubs du médicament poussent comme des mauvaises herbes.
Et ça, c’est sans compter que les vidéos associées au mot-clic #Ozempic ont accumulé plus de 1,2 milliard de visionnements sur TikTok et qu’une quantité presque infinie de médicaments cousins à la puissance décuplée – dont Mounjaro, Saxenda, Victoza, Trulicity, Rybelsus et Wegovy – déferlent dans les pharmacies. Des experts du domaine font même miroiter le lancement imminent d’un genre d’Ozympic sous forme de pilule facile à avaler. C’est à croire que bientôt, on s’en fera gaver pendant notre sommeil…
Avant toute chose, il faut savoir que je vis moi-même dans un corps gros depuis une quinzaine d’années. J’ai donc expérimenté mon lot de situations grossophobes au fil du temps. J’ai aussi tenu un blogue dit taille plus sur le site du magazine Châtelaine, en 2015 et 2016, qui se nommait Ronde, et alors?, parce qu’on ne se doutait clairement pas à l’époque qu’on avait le droit d’utiliser le mot « gros ».
J’ai signé plusieurs textes sur le sujet au cours de ma carrière de rédac chef de magazines féminins, participé à bon nombre d’épisodes de balados et de documentaires en tant qu’intervenante « bopo » (ou « body positive ») et montré mon fat ass sous tous ses angles sur mon compte Instagram (de rien, d’ailleurs). Ah! Et je suis membre du C.A. d’ÉquiLibre, un OBNL cherchant à favoriser le développement d’une image corporelle saine, positive et diversifiée chez les individus.
C’est donc dire que je n’ai pas sursauté quand mon endocrinologue m’a suggéré l’Ozempic pour perdre quelques livres qu’elle jugeait apparemment en trop. Après une petite chicane polie (en tant que médecin, n’est-elle pas obligée de me demander mon consentement pour me parler de mon poids comme si c’était un problème à régler, alors que je n’éprouve aucun problème de santé?), on a convenu ensemble que je ne prendrais PAS ledit médicament puisque je n’en ai rien à foutre de maigrir pour des raisons purement esthétiques, merci beaucoup. (Polie, je vous dis.)
Je l’aime, mon corps. Comme il est. Il me permet de réaliser tout ce que je veux, alors pourquoi le changerais-je?
C’est quoi le problème, au fond? Voilà le questionnement qui m’a amenée à interroger à mon tour des adeptes et des détracteurs d’Ozempic.
« Ç’a changé ma vie »
Drôlement, parmi la vingtaine d’entrevues que j’ai réalisées pour ce texte, aucune personne vivant au Québec n’a apprécié son expérience avec l’Ozempic. C’est pourquoi j’ai dû me tourner vers Edmonton et Winnipeg (!) pour dénicher Raegan* et Hartley* (!!), deux vrais fans des effets amaigrissants du médicament.
« J’ai tout essayé pour perdre du poids dans le passé, des diètes hyper restrictives aux entraînements quotidiens avec un entraîneur privé, m’avoue d’emblée Raegan. L’Ozempic a littéralement changé ma vie! » Pour le mieux? « Oui, absolument! Ce médicament a été un excellent outil pour m’aider à enfin atteindre mes objectifs de perte de poids. »
Même son de cloche chez Hartley, qui affirme avoir commencé à prendre l’Ozempic après que son frère, un docteur de Toronto, le lui ait recommandé.
« Presque immédiatement, mon appétit a diminué de façon drastique, ce qui m’a aidé à réduire presque de moitié les portions d’aliments que j’ingère et à maigrir rapidement. »
Juste du positif, donc? Oui, m’assurent-ils tous les deux. Mais qu’en est-il des coûts et des effets secondaires? « C’est sûr que sans le remboursement de mes assurances privées, je ne pourrais peut-être pas me payer aussi aisément les seringues à injecter qui me coûtent près de 500 $ par mois », révèle Hartley.
500 $?! Que va-t-il faire le jour où ses assurances vont cesser de couvrir les dépenses pour ce médicament utilisé hors indication, comme c’est le cas au Québec depuis le 1er juin? « Je vais tout faire pour continuer à me l’offrir même si le prix est exorbitant, parce qu’à mes yeux, ça vaut vraiment le coup pour enfin cesser de souffrir d’obésité morbide et vivre dans un corps plus mince qui me permet de réaliser plus d’activités avec plus d’énergie. »
Autre bémol pour l’homme d’affaires et foodie autoproclamé de Winnipeg : « J’ai si peu faim que, quand je vais dans de grands restaurants comme je l’ai toujours fait, je peux rarement déguster avec appétit les entrées et plats auxquels je voudrais tant pouvoir goûter ». Un vrai cauchemar pour une épicurienne comme moi!
Pour sa part, Raegan concède, après que je l’aie pressée comme un citron, que les effets secondaires comme la fatigue intense, les nausées et la diarrhée « sont un peu incommodants ». Combien de temps doit-elle vivre ça à chaque semaine? « Les deux ou trois premiers jours après m’être injectée avec l’Ozempic, je dirais. » Deux ou trois jours sur sept – soit près de 30 % du temps – à vivre avec des maux de cœur, de la somnolence et des selles trop fréquentes? Ce n’est pas ce que j’appellerais des effets secondaires négligeables…
Est-elle sûre que ça vaille vraiment la peine de vivre ça juste pour perdre du poids? « Oui, rien ne vaut l’expérience d’être plus mince pour la première fois dans ma vie. » Et c’est exactement là que ma promesse de ne juger aucune personne interviewée pour cet article s’est envolée, en même temps que la santé financière de Hartley et celle intestinale de Raegan.
« Si tout le monde savait le dommage actuel que ça crée chez les gens… »
Des gens souhaitant brandir des red flags fluo à propos de l’Ozempic, j’en ai rencontré par dizaines en préparant ce reportage. Des experts en médecine ou en nutrition jusqu’à beaucoup, beaucoup de patients.
Parmi les nombreux consommateurs d’Ozempic interviewés, deux m’ont marquée de par leurs expériences extraordinaires : Amélie* et Alexandra*. Si la première s’injecte le médicament de façon hebdomadaire pour gérer son diabète de type 2, elle reconnaît que les importants problèmes de digestion (parfois, elle a la diarrhée, d’autres fois, elle est constipée) et la grande fatigue qu’elle ressent sont déplaisants, pour ne pas dire dissuasifs.
« Je ne sais jamais comment je vais me sentir; les symptômes sont variables et instables, me confie-t-elle. De plus, je n’ai perdu que 12 livres en deux ans, ce qui est une bonne chose dans mon cas vu que j’ai longtemps souffert de troubles alimentaires. Je dois dire que je suis très critique de la prescription d’Ozempic pour autre chose que le diabète. »
La deuxième m’a relaté une histoire d’horreur plus terrifiante que tous les films d’épouvante réunis, ou presque.
Également diabétique de type 2 avec un passé de troubles du comportement alimentaire, elle a débuté la prise d’Ozempic pour gérer son diabète et, bonus aux yeux de son médecin, perdre du poids.
Dès les premières semaines d’utilisation, elle a la nausée et l’estomac noué, en plus d’éprouver une fatigue fulgurante. Surtout, des crises boulimiques refont leur apparition malgré qu’elle ait mis 10 ans à les contrôler. Elle pleure constamment et prend 20 livres. Son médecin augmente la dose.
Le médicament lui cause alors tellement de fatigue qu’elle passe quatre jours sur sept allongée, incapable d’accomplir quoique ce soit. Elle prend 10 livres supplémentaires. À ce stade, elle ne ressent plus de signaux de faim et a constamment mal au cœur. Un autre médecin (le sien est en congé de maladie) double sa dose d’Ozempic. Elle se met alors à vomir et à avoir la diarrhée pendant des heures après chaque injection (« un peu comme si j’avais un empoisonnement alimentaire sérieux »), elle ne dort plus, elle ne mange plus. On lui signe un arrêt de travail.
Ce n’est qu’après un diagnostic de dépression et un évanouissement dans le siège passager de sa voiture qu’elle décide de stopper sa consommation d’Ozempic. « Je suis certaine que ce médicament a nui à ma santé physique et mentale dans les dernières années, allègue-t-elle tristement. Si tout le monde savait le dommage actuel que ça crée chez les gens… »
Pour ce qui est des spécialistes en santé, il y a d’abord eu la pharmacienne Anne* qui m’a surtout jasé des fameux effets secondaires du médicament. Maux de cœur, nausées, vomissements, rots sulfureux, diarrhée, fatigue intense, douleurs musculaires et même pertes de connaissance : sa liste était looongue, avec trois « o », et pour le moins déprimante.
Elle m’a aussi parlé de deux autres faits intéressants à savoir :
1) si la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) ne remboursent pas les coûts de l’Ozempic pour les non-diabétiques et que plusieurs compagnies d’assurances privées ont cessé de le faire, c’est entre autres parce qu’il y avait des pénuries du médicament affectant les diabétiques qui, eux, en ont réellement besoin;
2) comme toute diète restrictive, l’Ozempic cesse d’être efficace dès qu’on arrête de le prendre, suite à quoi le poids revient avec notre appétit, parfois même avec quelques livres en sus. En d’autres mots, il faut prendre le médicament toute sa vie pour qu’il fasse effet durablement.
La psychologue Stéphanie*, de son côté, m’a partagé son opinion sensible sur le sujet.
« À mon avis, l’Ozempic est une solution Band-Aid à la perte de poids, qui ne camoufle que temporairement les réels problèmes des gens qui ont des enjeux avec leur image corporelle ou leur alimentation. »
« Il est faux de croire que toutes les personnes grosses sont en mauvaise santé et qu’elles ont de mauvaises habitudes de vie! C’est ça qu’il faudrait étudier de plus près, plutôt que les médicaments dits miracles. J’ai aussi pu observer la chose suivante auprès de mes patients : la prise de poids presque inévitable suite à l’arrêt d’Ozempic peut se révéler décourageante et bouleversante, ravivant des douleurs ou des traumas passés. Il faut faire attention à ça! »
Puis Karine*, nutritionniste, a renchéri en expliquant que l’Ozempic est souvent présenté comme un remède facile. Mais en présence d’une image corporelle négative ou d’une relation difficile avec la nourriture, le médicament en question n’arrange rien et peut même augmenter les risques de troubles du comportement alimentaire. « Il faut se rappeler que ce n’est pas vrai que perdre du poids règle tout, tout le temps, fait-elle valoir. Nos comportements face à l’Ozempic en disent long sur nos normes sociales de minceur… »
J’aurais pu recenser tous les témoignages reçus, mais ceux-ci résument bien le portrait que j’ai pu me faire de ce nouveau type de médication. Je suis parfaitement consciente que ce maigre échantillonnage d’entrevues menées avec des gens de mon entourage éloigné (ou même avec de parfaits étrangers) n’est pas représentatif de tout le bon – ou le mauvais – que peut apporter l’Ozempic.
N’empêche, je persiste à trouver qu’on n’en sait pas encore assez sur le sujet pour s’en faire prescrire sans notre consentement ou pour se laisser recommander d’en prendre à vie, si on est chanceux, dans le seul et unique but de perdre du poids afin plus souvent qu’autrement de mieux correspondre aux standards de beauté de la société.
Remarquez qu’on n’aura pas le choix d’apprendre à vivre ça ensemble compte tenu que le futur aura assurément une petite saveur sulfureuse d’Ozempic. Pourvu que nos intestins et nos comptes de banque soient prêts.