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Rencontre avec la vraie Sonia Bélanger

Oui elle existe et en plus, elle est drôle (pour une ministre caquiste).

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Au Toit bleu, en bordure du boulevard du Curé-Labelle, à Prévost, des paysagistes sont à quatre pattes sur le terrain de la ressource pour personnes âgées. Ils achèvent l’aménagement d’un magnifique jardin commémoratif à la mémoire des pensionnaires qui ont perdu la vie.

Debout sur sa pelouse d’un vert luxuriant, l’infirmière-propriétaire Valérie Lortie supervise la fin des opérations, un sourire estampé au visage.

Elle sait que l’achèvement des travaux marque l’aboutissement d’un important facelift pour la ressource hébergeant douze personnes âgées en perte d’autonomie, aménagée sur un ancien site abritant un mini-golf.

Mais bon, aujourd’hui, Valérie ne joue pas seulement les contremaîtres.

Pendant que Joe Dassin spleene notre été « indien » à la radio en retrait, elle attend impatiemment l’arrivée de la députée locale et ministre déléguée à la Santé et aux Aînés. « Honnêtement, ça fait trois ou quatre fois qu’elle vient. Elle semble très proactive », confie Valérie, qui gère certains cas assez lourds dans une ambiance familiale. « Comme je suis infirmière, je gère avec mon cœur plus qu’avec ma tête », illustre-t-elle, au moment où la voiture de la ministre tourne dans le stationnement.

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Bonne nouvelle pour la population du Québec : la ministre porte sa ceinture de sécurité.

Cette crise nationale évitée, la voici qui marche d’un pas décidé vers Valérie en lui tendant une main chaleureuse.

« Ça me fait vraiment plaisir de te revoir! », lance-t-elle, enjouée.

(Son d’aiguille qui scratche sur un tourne-disque.)

Bon, à ce stade-ci, vous êtes en droit de vous poser une question légitime : mais qu’est-ce que ce bon vieil Hugo crisse dans une RPA des Laurentides avec une ministre caquiste?!

Eh bien, simplement parce qu’après avoir entendu parler de la Sonia Bélanger fictive pendant deux semaines, j’avais envie d’en rencontrer une vraie.

Et non la moindre, en plus.

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Élue en 2022 sous la bannière caquiste après le départ de sa prédécesseure Marguerite Blais, Sonia Bélanger a roulé sa bosse comme infirmière avant de grimper les échelons jusqu’au fauteuil de PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, puis d’hériter d’une limousine après son élection.

Bref, un parcours qui ferait rougir (de honte) un humoriste qui oublie de mettre des femmes sur son pacing.

« Moi, je suis créée par la vraie intelligence, pas l’intelligence artificielle », clame la principale intéressée en me saluant.

Je l’aime déjà.

Elle sort alors sa plaque de l’Assemblée nationale qu’elle a expressément trainée pour l’occasion. « Je voulais juste te prouver que c’était moi, la vraie Sonia Bélanger. »

Doux Jésus, je vais finir cette entrevue caquiste si elle continue de même.

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Politicienne certes, mais un excellent sens de l’humour, visiblement. « C’est elle qui a pensé à tout ça », me murmure la conseillère politique Marie-Ève Gaudreau.

Sonia Bélanger et le boys club

Pas le choix de revenir sur la saga entourant Sonia Bélanger, qui a dû siller fort dans les oreilles de la ministre, dernièrement.

Sa réaction en découvrant que son nom était sur toutes les lèvres?

« Mon premier réflexe a été de le prendre personnel. Pourquoi a-t-on utilisé mon nom? Ensuite, j’ai fouillé sur FB et j’ai vu qu’il y avait plusieurs Sonia Bélanger au Québec. Une fait de la photo, une autre travaille dans une agence de voyages, une autre fait du trekking », énumère la ministre.

Elle me dit rarement assister à des spectacles d’humour. « Mon fils cadet voulait devenir humoriste, mais il est moins drôle, aujourd’hui », ajoute-t-elle, pince sans rire.

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Elle dénonce toutefois que des gens doivent fabriquer des femmes de toutes pièces sur des affiches à défaut d’en intégrer en vrai dans leurs soirées.

Le boys club, la vraie Sonia Bélanger connaît aussi. Durant une bonne partie de sa carrière, elle a évolué dans des milieux d’hommes. « Comme infirmière, j’étais avec des femmes, mais dès que je suis arrivé en gestion, c’était juste des hommes. Je devais prendre ma place », raconte-t-elle.

Lorsque Gaétan Barrette l’a nommée PDG, en 2015, elle était même la seule femme parmi les dirigeants de dix établissements de santé dans la métropole. « Mais je suis combative et j’aime travailler avec les hommes. Par contre, pour gravir les échelons, il faut être plus à notre affaire qu’eux. On est beaucoup plus regardé. Les femmes ont aujourd’hui cassé le plafond de verre, mais [les inégalités] existent encore », tranche la ministre avec aplomb.

Miser sur l’intergénérationnel

Mais bon, la ministre Bélanger n’est pas venue juste pour parler de cette polémique (contrairement à moi, gnac gnac). Et tant qu’à être là, autant essayer d’en connaître un peu plus sur sa job de jour. On prendra un moment tantôt pour continuer de jaser de la polémique sur l’humoriste fantôme portant son identité.

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Devant le jardin commémoratif, les noms des personnes décédées sont suspendus sur des étiquettes accrochées après des branches. Une idée de Valérie pour ne pas les oublier pendant ses balades dans la cour.

La ministre essuie une larme. Une vraie, je vous jure, pas une de crocodile.

« Je suis toujours touchée par le travail de Valérie, un coup de cœur. C’est vrai que j’ai un parti pris pour les infirmières », sourit Sonia Bélanger, qui a amorcé sa carrière comme infirmière aux soins intensifs de l’Hôtel-Dieu, avant d’être cheffe de service aux soins intensifs de l’Hôpital de Lachine, puis de l’Institut de cardiologie de Montréal.

Pendant que Gerry beugle que ses blues passent pu dans’ porte à la radio, des rires d’enfants se font entendre dans la cour d’une garderie, de l’autre côté de la rue.

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Une excellente chose aux yeux de la ministre qui dit miser sur le décloisonnement et l’intergénérationnel pour sortir nos aînés de leur isolement. Valérie abonde, elle qui ouvre grandes les portes de sa résidence aux visiteurs, dont les enfants de la garderie qui viennent chanter à Noël.

Elle s’est même procuré un vélo adapté pour trimbaler ses pensionnaires dans le quartier résidentiel. « Je transporte les gens aux chutes Wilson à côté ou pour aller acheter un cornet au McDo. On va même au service à l’auto avec le vélo! », relate la propriétaire, qui habite au deuxième étage de sa résidence avec sa famille.

La ministre Bélanger est encore émue aux larmes.

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Décidément, elle est aussi émotive que Francis Reddy durant un Téléthon. Si elle joue la comédie, donnez-lui un Oscar.

« La sensation d’embarquer sur un vélo et de se sentir libre, c’est extraordinaire pour nos aînés! », s’enthousiasme-t-elle.

Pendant que Charlebois attaque les premiers couplets de Je reviendrai à Montréal, Sonia Bélanger m’explique plus sérieusement les nombreux défis qui l’attendent. « La pyramide des âges s’inverse. En 2031, il y aura 2,3 millions de personnes de plus de 65 ans au Québec, soit 500 000 de plus que maintenant. C’est important d’apprendre à vieillir et à mieux vivre ensemble », croit-elle.

La ministre ajoute que les gens veulent rester chez eux, même en perte d’autonomie.

« C’est notre rôle de s’efforcer de leur donner une qualité de vie », précise celle qui hérite d’un vaste chantier après la pandémie qui a durement éprouvé la clientèle.

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Parmi les 140 000 personnes qui vivent dans le réseau des RPA, la ministre Bélanger veut mettre le spotlight sur les petites installations comme celle de Valérie. Ici, les oiseaux gazouillent et les pensionnaires mangent ensemble autour de la même table, près d’un beau foyer. Dans la chaise du salon, un chat dort roulé en boule.

On est loin en tout cas de la froideur institutionnelle d’un CHSLD ou même d’une installation privée répartie sur plusieurs étages.

« Belle petite ministre! »

Sur le balcon, Berthe* se balance dans la chaise berçante en buvant un coke diète.

Ici depuis à peine deux mois, elle ne tarit pas d’éloges envers l’endroit que sa famille a trouvé après avoir posé ses valises dans une grosse résidence de Saint-Jérôme qu’elle détestait.

*Prénom fictif.

Soudain, Berthe se lance tout de go dans le récit détaillé d’une vie de violence, victime d’un mari alcoolique aujourd’hui décédé. Le récit est brut, direct, dénué de toute forme d’inhibition.

À 85 ans, on ne porte plus de gants blancs.

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« Quand je lui avais annoncé que je voulais me séparer, il m’avait dit : “Je vais te trouver et je vais te tuer”.»

Des paroles à glacer le sang à l’heure où les féminicides font régulièrement les manchettes. Berthes déballe tout ça sans même se plaindre, avec une résilience forçant l’admiration.

Sonia Bélanger retire sa casquette de politicienne pour écouter Berthe avec compassion, ses mains dans les siennes.

– Vous avez vécu la vie de beaucoup de femmes de votre génération.

– Je sais.

Au moment des séparations, l’octogénaire s’excuse d’avoir beaucoup de jasette puis demande à l’entourage de Sonia Bélanger, notamment à Kevin, un colosse servant de chauffeur et de garde du corps :

– C’est qui, elle, au juste?

La principale intéressée saisit la balle au bond.

– Moi, je suis ministre responsable des aînés.

– Belle petite ministre, rétorque Berthe, avant de se rasseoir dans sa chaise berçante avec son coke diète.

À l’intérieur de la résidence, les aînés sont en train de dîner.

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Pas le choix de reconnaître que la ministre Bélanger fraye comme un poisson dans l’eau, placotant de tout et de rien avec les locataires réunis autour de la table.

Ils ne semblent pas trop réaliser à qui ils ont affaire, même lorsque la ministre se présente avec son titre.

Par contre, comme Berthe un peu plus tôt, on la complimente sur sa beauté.

Mme Bélanger reconnaît quelques visages de ses dernières visites, prend des nouvelles.

– Vous êtes rendu à quel âge, vous là?

– 70 ans…

– Ah oui? Vous êtes certaine?, insiste la ministre.

Elle se retourne ensuite vers moi en chuchotant :

– Elle a 98 ans.

Les douze travaux de Sonia Bélanger

On s’installe dehors dans la chaise berçante pour jaser un peu avant de se quitter. Le soleil brille et le chat de la résidence saute spontanément sur la balançoire à côté d’elle.

La ministre dit avoir été touchée par le témoignage de Berthe.

« Je refuse de toujours mettre l’étiquette “vulnérabilité” sur les aînés. Souvent, on les infantilise. On a beaucoup à apprendre d’eux. », explique-t-elle.

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À la blague, elle ajoute elle-même en faire les frais de la part de ses deux garçons avoisinant la trentaine. « Je dois les remettre à l’ordre! »

La lutte contre l’âgisme fait d’ailleurs partie de ses priorités et elle a demandé à tous ses homologues de cibler un ou deux objectifs contre lesquels lutter dans leur ministère respectif. Des mesures concrètes. « J’ai par exemple demandé à Geneviève [Guilbault, aux Transports] d’allonger la durée des feux rouges à certaines intersections. À la culture, j’ai invité Mathieu [Lacombe] à développer plus de projets avec les aînés », souligne-t-elle fièrement.

Outre l’âgisme, la ministre en a déjà plein les bras avec la révolution promise par le gouvernement Legault en matière de soins à domicile. Dans un dossier fouillé publié par La Presse , on fait état de la lourdeur bureaucratique et des défis importants pour mieux rentabiliser les sommes investies.

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En plus d’un meilleur encadrement du soutien à domicile, les challenges sont aussi énormes au niveau de l’hébergement. Outre les CHSLD dont la vétusté du réseau a largement été démontrée durant la pandémie, la ministre martèle l’importance de développer le réseau des RPA pour maintenir les gens dans leur milieu de vie. C’est sans compter la création des maisons des aînés, qui ont fait jaser pour leurs retards de construction.

Près d’un an après son élection, la ministre apprivoise toujours un métier qui la passionne, malgré l’ampleur de la tâche.

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Néophyte en politique, sa feuille de route l’aide à ne pas trop souffrir du syndrome de l’imposteur. D’infirmière à PDG de CIUSSS, elle a gravi les échelons un à un jusqu’à se demander si elle n’avait pas fait le tour du jardin. « En 2022, j’aurais pu demander un renouvellement de mandat, mais je voulais essayer autre chose. J’étais dans le milieu de la santé depuis l’âge de 18 ans. Quand j’ai rencontré M. Legault, j’ai vu qu’il était axé sur les résultats, ça me rejoignait », raconte Mme Bélanger qui n’a jamais milité pour un parti politique et ne s’attendait certainement pas à se retrouver ministre pour son baptême en politique. « Je vis ici [à Prévost] depuis huit ans, mais je ne connaissais pratiquement personne puisque je travaillais à Montréal. J’ai dû commencer au bas de l’échelle. Juste députée, ça aurait été correct aussi », assure-t-elle.

Si elle aime sa nouvelle vie, ce n’est pas un long fleuve tranquille pour autant.

« C’est assez olé olé. Moi, j’aime savoir où je vais et quand les choses sont claires. En politique, c’est tout le contraire », admet-elle.

L’imprévu occupe une place importante dans ce domaine professionnel où les tuiles peuvent tomber de partout.

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Parlez-en à sa prédécesseure Marguerite Blais, qui, malgré l’adaptation d’une loi importante sur la maltraitance des aînés, a essuyé des critiques pour sa gestion de la crise dans les CHSLD durant la pandémie.

« Avec mon équipe, on a une rencontre média chaque matin à 7h30 où on fait une revue de presse. Il y a des bonnes et des mauvaises nouvelles », avoue celle qui tombe parfois en bas de sa chaise.

C’est suivi d’une inévitable mêlée de presse en débarquant ensuite à l’Assemblée nationale, puis de la période des questions.

Il faut dire que Sonia Bélanger ne gère pas des sujets relaxes non plus : en plus de rebâtir un réseau fragilisé par l’hécatombe pandémique, la ministre vient de déposer le projet de loi 11 visant à étendre l’accessibilité aux soins de fin de vie à ceux qui réclament l’aide médicale à mourir.

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Si l’épineux dossier est géré de manière transpartisane, la ministre doit aussi convaincre le milieu de la santé de suivre ses recommandations. De grandes mesures ont d’ailleurs été annoncées récemment, mais sont passées dans le beurre, regrette-t-elle. « On a retiré le critère de fin de vie imminente. Avant, il fallait pratiquement être à ton dernier souffle pour être éligible à l’aide médicale à mourir. Là, on permet aux gens de prendre des décisions plus éclairées. Les infirmières peuvent aussi déclarer le décès. Ça aussi, c’est déjà en vigueur et personne n’en parle », déplore-t-elle.

Même avancée pour la demande anticipée, désormais accessible aux patients souffrant de maladies dégénératives. Elle cite en exemple l’alzheimer pour laquelle les patients seront éligibles dès le diagnostic, ce qui leur permettrait de choisir en pleine conscience, avant qu’il ne soit trop tard.

Sonia Bélanger a aussi eu à rappeler récemment les médecins à l’ordre, relevant des « écarts » de leur part dans l’application de la loi.

« Les médecins trouvaient qu’on n’allait pas assez vite, mais on ne peut pas faire ça sur un coin de table. C’est un soin, mais au bout de la ligne, c’est la mort d’une personne. Et moi, je suis responsable de ça », confie-t-elle.

Il est vrai que, dans ce dossier complexe, tout le monde avance un peu sur une glace mince. C’est sans compter les patients parfois trop pressés, une autre réalité dont la ministre doit tenir compte.

Le Canada est d’ailleurs actuellement le champion mondial de l’aide médicale à mourir, un titre que la ministre ne juge pas enviable. « On a de plus en plus de demandes, mais on doit demeurer prudent. La commission des soins de vie regroupe des experts qui constituent ma balise de sécurité. Ils me déposent un rapport annuel de recommandations, que je remets à l’Assemblée nationale. C’est très transparent », affirme-t-elle.

Je quitte la ministre en remerciant les organisateurs des soirées d’humour du Troquet à Gatineau pour leur farce plate.

Grâce à eux, j’ai pu rencontrer la vraie Sonia Bélanger, celle qui a dû trimer dur pour se tailler une place dans un monde d’hommes.

Celle qu’ils devraient aussi rencontrer et, pourquoi pas, inviter à une de leur soirée.

Les voir rire jaune serait au moins drôle.