« Il y a un aspect contre-culturel au mouvement des mâles alpha », affirme Simon Coutu en me servant un café à la table de sa cuisine. « Pendant son entrevue avec Donald Trump, Joe Rogan disait que c’était rendu punk rock d’être conservateur. Y a un désir de choquer, de s’élever contre les générations précédentes et la pensée dominante qui peut séduire certains jeunes hommes. Une sorte de fuck you. »
Bien qu’il n’ait pas encore été diffusé, son documentaire Alphas (coréalisé avec Manuelle Légaré) fait déjà réagir. Mise en ligne le 28 octobre dernier, la bande-annonce a cumulé près de 2000 commentaires et soulevé les passions d’une panoplie d’influenceurs et influenceuses, dont Lysandre Nadeau et Hélène Boudreau, alias « la fille de l’UQAM ». Celle-ci s’est d’ailleurs dite outrée que l’on mette de l’avant des gens « toxiques pour la société ».
Dans Alphas, on peut entendre l’entrepreneur Julien Bournival et le coach en séduction et coanimateur du Lucide Podcast Joël McGuirk, deux hommes qui prônent un retour aux valeurs conservatrices. On y retrouve aussi l’entraîneur personnel Louis Racicot, particulièrement populaire auprès des jeunes hommes sur TikTok et la youtubeuse Chloe Roma, qui milite pour les droits des hommes dans une perspective d’égalité entre les sexes.
« Leur discours dérange. Il est problématique pour certains, misogyne pour d’autres. Les gens pensent qu’on fait la promotion de leurs idées en leur donnant la parole, mais ce n’est absolument pas le cas », se défend le journaliste.
Les utilisateurs des réseaux sociaux ont-ils raison de s’affoler à l’annonce d’un documentaire sur les mâles alpha? Doit-on réprimer ces prises de parole dans l’espace public? Pour statuer, il faut d’abord comprendre.
Par quel bout commencer?
Dans Alphas, Simon Coutu ne fait pas que s’adresser aux représentants de la masculinité dite traditionnelle et des valeurs conservatrices. Il questionne aussi des experts et tente de savoir pourquoi les jeunes s’intéressent tant à ce type de discours.
Après tout, si les mâles alpha dérangent autant, c’est parce qu’ils sont populaires. Et s’ils sont aussi populaires, c’est parce qu’ils comblent un besoin.
« Ces gars-là arrivent avec une sorte de recette. Une approche 360 comprenant l’entrepreneuriat, l’investissement, la crypto, l’entraînement. C’est rassurant, je pense. Tu débourses un certain montant et ils te montrent à prendre soin de toi, de tes finances et à avoir du succès auprès des femmes. C’est ça, le besoin qu’ils comblent », explique Simon Coutu.
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À l’origine du mouvement, on retrouve Andrew Tate, un gourou controversé qui intime ses adeptes à « sortir de la matrice » et à arrêter de se conformer aux attentes sociétales. Également connu pour ses discours hautement misogynes et ses démêlés avec la justice roumaine, plusieurs intervenants du documentaire partagent leur admiration pour l’homme et reconnaissent son influence sur leur démarche tout en se distanciant de ses propos plus controversés.
Simon Coutu a passé des mois à consommer leur contenu et à s’imprégner de leur vision du monde. « Je ne suis pas là pour vous dire si c’est bien ou pas. C’est pas ça, mon rôle. Mais il y a des aspects de leur discours que je trouve inquiétants. Leur vision hypertraditionnelle de la famille, leur intolérance face aux personnes marginalisées, leur rapport au féminisme. C’est un mouvement antiféministe et ça, je trouve ça problématique », me dit le journaliste.
Existe-t-il une crise de la masculinité comme le prétendent les mâles alpha? Lorsque je lui pose la question, Simon Coutu se rapporte à l’intervention du sociologue Francis Dupuis-Déri, l’un des intervenants du documentaire, qui affirme qu’il s’agit de quelque chose qui est clamé depuis l’Antiquité chaque fois que les hommes perdent des privilèges.
« Si tu penses au fameux meme de l’ours, c’est symptomatique de notre époque. Quand on est allés dans les écoles secondaires, on s’est rendu compte que les gars ont peur d’être perçus comme des agresseurs et que les filles ont peur d’être agressées. Il y a un fossé idéologique qui se creuse entre les hommes et les femmes et selon moi, il est là, le nœud du problème », précise-t-il.
Est-ce qu’on crée des problèmes sans le faire exprès?
« Ce qui est fascinant, avec la réaction à la bande-annonce du documentaire, c’est que la méthode Andrew Tate dont se servent tous les intervenants, c’est d’utiliser les haters pour se faire de la publicité », m’explique Simon Coutu. De son propre aveu, c’est la première fois qu’un de ses projets fait réagir de la sorte. « Ce sont les commentaires qui ont fait circuler la publication. C’est une arme à deux tranchants. »
Afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette réaction épidermique, je me suis tourné vers Sony Carpentier, ancien collègue chez URBANIA, étudiant à la maîtrise en sociologie et chercheur sur les masculinités.
« J’ai peur que le documentaire n’ouvre la mauvaise discussion et ne crée une dynamique d’affrontement », confie Carpentier à propos du contenu de la bande-annonce. « Il ne faut pas essayer de les cristalliser dans leur identité. C’est pas parce que t’es pas un masculiniste que ta masculinité est saine, non plus. La discussion devrait être plus large. »
Le chercheur précise qu’à la base, le masculinisme est né d’un refus de s’adapter aux changements sociaux. Qu’on a socialisé les jeunes garçons à se conformer aux codes d’une masculinité bien précise et qu’on leur a promis des gains, l’atteinte d’un certain statut en échange de cette conformité, des promesses rendues caduques par notre époque caractérisée par les nombreux avancements faits par des communautés marginalisées.
« Ils doivent trouver ça très frustrant, que Timothée Chalamet soit considéré comme l’une des personnes les plus sexy au monde », lance Sony Carpentier.
Il ajoute que s’il est important de tenir les mâles alpha responsables de leurs propos, il ne faut toutefois pas démoniser ce courant. « Il faut éviter les extrêmes faciles de masculinité toxique et masculinité saine. La question est plus complexe. Il existe plusieurs façons d’être un homme sans reproduire la domination ou les comportements malsains. »
Alphas sera diffusé lundi soir prochain sur les ondes de Télé-Québec. À vous de vous faire votre propre opinion grâce à un éventail de points de vue allant bien au-delà du discours de vente des mâles alpha.
« J’ai pas la prétention d’avoir la vérité là-dessus. Mon approche était empathique. J’ai essayé de comprendre sans juger, mais en soulignant les contradictions », conclut Simon Coutu.