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Pro-Trump PQ
« J’ai des enfants, deux garçons, je ne veux pas qu’ils soient discriminés parce qu’ils sont blancs et ont un pénis! », lance Simon*, flanqué de son poupon de quelques mois qui gazouille dans son siège.
Portant un t-shirt « Fight like hell » et coiffé d’une casquette MAGA, le jeune homme aux yeux d’un bleu perçant se sert un verre de whisky, calé dans son sofa.
Simon a une bonne raison de célébrer : Donald Trump vient de prêter serment à titre de 47e président des États-Unis.
Sur la télévision du salon, le podcasteur conservateur Steven Crowder, suivi par des millions de fidèles, décortique l’actualité du jour. Les RDI, TVA et CNN de ce monde sont refoulés à la porte de cette maison rustique d’un petit village du Centre-du-Québec.
« Les médias se sont tirés un coup de bazooka dans le pied », tranche Simon, en portant le verre de Sortilège à ses lèvres.
Je débarque ici au moment même où le monde entier a le regard – inquiet pour plusieurs – tourné vers Washington.
Donald Trump s’installe pour un autre quatre ans à la Maison-Blanche et pendant que 90 % de ma chambre d’écho virtuelle pleure la mort de la démocratie et partage avec un émoji de vomi (crissement justifié) le salut hitlérien d’Elon Musk (it is what it is), j’ai voulu essayer de comprendre ce qui m’échappe depuis le 5 novembre dernier.
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Comment diable un troll, bully raciste, mysogine, transphobe, antivax, climatosceptique, fraudeur, agresseur qui a fondé sa campagne sur la peur de l’autre et le drill, baby, drill a pu convaincre une majorité d’Américains de lui donner un deuxième mandat?
Mais surtout, comment expliquer sa popularité de ce côté-ci de la frontière, auprès de ceux qui ne peuvent même pas voter pour lui et sur lesquels ses positions – souvent controversées – auront sans doute des impacts négatifs?
« Donald Trump, c’est pas un politicien. Il en est devenu un, et c’est ce qui plaît aux gens. Il gère ça comme une business et pense d’abord à son pays », explique Valérie Beaudoin, chercheure associée à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, qui doit avoir de la broue dans le toupet ces temps-ci.
Elle souligne qu’historiquement, les Canadiens se passionnent pour la politique américaine, comme ce fut aussi le cas pendant le règne d’Obama. « On va s’assumer de plus en plus dans notre amour pour Trump. Des célébrités et influenceurs vont sortir du garde-robe. S’il fait un bon bilan, ses fans vont dire : “on vous l’avait dit” », croit Valérie, qui anime aussi Miss America, un balado entièrement dédié à la politique américaine.
La pêche aux trumpistes
En attendant, je trouve ça où des fans de Trump? J’ai lancé un appel sur Facebook, réalisant à la dure que j’étais entouré de wokes révolutionnaires.
Honnêtement, je m’attendais à tomber sur des personnages ou des hillbillies en salopettes fans de Trump parce que lui, y-se-laisse-pas-faire-contre-ceuzes-qui-encouragent-les-enfants-à-changer-de-sexe-pis-les-filles-à-boxer-contre-des-gars.
Mes idées préconçues allaient un peu rester sur leur faim, comme Donald essayant d’embrasser Melania sous son chapeau de Hamburglar.
Éventuellement, je suis tombé sur Claudine*, une entrepreneure volubile qui aimerait bien voir le Canada devenir le 51e État américain. J’ai aussi rencontré Emma, une hippie progressiste dans l’âme, néanmoins convaincue que Trump remettra l’économie américaine sur les rails.
Puis Simon présenté plus haut, d’avis que la division américaine n’est pas celle de la droite contre la gauche, mais plutôt celle de l’establishment contre l’anti-establishment.
À ça s’ajoute aussi une célébrité locale : Yvon Deshaies, le coloré maire de Louiseville connu pour ses méthodes drastiques pour venir à bout des dindons sauvages qui terrorisent sa populace, mais aussi pour être un de nos rares élus (le seul?) à manifester à visage découvert son amour pour Donald Trump.
Les autres ont préféré rester anonymes, de peur de recevoir des tomates, d’avoir des ennuis au travail ou de fragiliser davantage leurs relations avec des proches.
Une fracture rappelant celle vécue par un pan important de la population qui s’opposait aux règles sanitaires pendant la pandémie. Ces gens qui se sentaient incompris, frustrés et qui trouvaient que les médias traditionnels manquaient de respect à leur égard.
Spoiler alert : ce sont pas mal les mêmes qui se rangent derrière Donald Trump.
« Il a l’Amérique tatouée sur le coeur »
« Je suis rentré au travail avec ma casquette MAGA en faisant un move de danse. C’est une excellente journée! », s’exclame au bout du fil Claudine, une entrepreneure de Montréal dans la quarantaine.
On devait au départ se rencontrer en personne, mais elle a préféré faire ça à distance, par prudence. Comme les autres personnes interrogées dans le cadre de ce reportage, sa confiance envers les médias traîne au ras les pâquerettes.
Un journaliste (semi) woke de URBANIA, en plus? Ouache.
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Claudine l’avoue d’emblée, elle n’a jamais tripé sur la politique. En fait, elle a commencé à s’y intéresser il y a quelques années, lorsque la cancel culture faisait les manchettes. « J’ai pris un pas de recul en me demandant pourquoi tout le monde essayait de fermer la trappe à tout le monde, tout le temps, à commencer par Trump, la personne la plus mal représentée dans les médias », explique celle qui s’est mise à suivre de plus près le milliardaire républicain, en plus des commentateurs conservateurs populaires tels que Candice Owen, Joe Rogan et Charlie Kirk.
En suivant des rassemblements de partisans de Donald Trump sur le web, le charme opère. « Il me fait rire, il a un bon fond et l’Amérique tatouée sur le cœur », louange Claudine. En plus, avec sa fortune, il pourrait facilement vivre dans l’oisiveté n’importe où dans le monde, ajoute l’entrepreneure, mentionnant qu’il n’est pas parfait, comme tout le monde, d’ailleurs.
Elle déplore le fait qu’on la traite de conspirationniste juste parce qu’elle appuie Trump et cherche des réponses ailleurs que dans les médias traditionnels.
« Ma mère écoute The View. C’est 5-6 sacoches frustrées autour d’une table. Ça ne me dérange pas qu’elle écoute ça, mais va écouter Fox, aussi. Des moutons, il y en a en maudit qui préfèrent juste suivre la parade ou la regarder passer », critique Claudine, qui ne se considère ni militante ni en croisade pour convaincre autrui.
« Mais si tu me challenges, t’es mieux d’arriver avec des arguments! », affirme-t-elle avec aplomb.
Si je me considère relativement politisé, je ne suis pas de taille contre des gens qui ont des ceintures noires 3e dan en « faisage de propres recherches™ ». Avec elle, mais aussi les autres personnes rencontrées dans ce reportage. Chacun de mes arguments mis de l’avant pour démontrer que Trump est quand même une belle ordure est systématiquement taillé en pièces par les intervenants.
Un agresseur? Pas vrai, il n’a jamais été reconnu coupable de ça (ndlr : oui, Trump a été reconnu coupable au civil d’agression sexuelle à l’endroit de la journaliste E. Jean Carroll).
Anti-avortement? Faux, il veut redonner le pouvoir aux États et freiner les abus. (ndlr: mouin, il vient quand même de gracier 23 manifestants anti-avortement).
Misogyne qui se vante de grab them by the pussy? Une déclaration prise hors contexte.
Transphobe et une menace pour la communauté queer? Non, il s’oppose juste aux wokes et à la rainbow mafia. (ndlr: compliquer la vie des personnes trans et/ou non-binaire est quand même un des premiers décrets qu’il a signés après son assermentation.)
Bref, j’ai vite compris que personne ne ferait changer personne d’idée. Claudine tient un discours en phase avec ses valeurs.
« Je ne suis pas pour le port du voile, est-ce que ça fait de moi quelqu’un de raciste si je m’y oppose? Est-ce que je suis anti-féministe si je ne me sens pas discriminée comme femme en Amérique? J’aurais sûrement un point de vue différent si je vivais au Moyen-Orient… »
Pour Claudine, c’est la gauche qui divise les États-Unis et Trump va unifier le pays. « On pourrait davantage agree to disagree. Moi, je garde l’esprit ouvert à changer d’idée, ce que je n’observe pas chez la gauche. »
Bien sûr, Donald Trump pourrait être plus doux, soigner son langage, mais Claudine voit en lui un leader intègre, qui ne s’exprime pas en politicien. Elle voit même d’un oeil positif la menace de tarifs douaniers de 25 %, qui risque de porter un dur coup à l’économie canadienne. « Encore là, je l’admire parce qu’il travaille pour son peuple. He’s gonna make America great again », résume-t-elle, sur un air connu.
Claudine ponctue ses phrases d’expressions anglaises. La perspective de voir le Canada devenir le 51e État américain suscite son enthousiasme. « On est criblé de taxes, on poireaute 14 heures à l’urgence, notre dollar ne vaut pas de la bouette… À long terme, je pense que Trump est un bon choix pour la planète. En plus, il va régler les guerres », estime-t-elle.
Quant à la perspective de voir le français disparaître dans un Québec unifié aux States, Claudine hausse les épaules.
« Bah, moi Molière, j’en ai rien à foutre. »
Un appui coûteux
Pour éviter les conflits, Claudine a décidé d’éviter de parler de politique avec sa mère et d’autres membres de son entourage. Bref, elle choisit son auditoire.
Même chose pour Simon, d’avis qu’au Québec, il en coûte de défendre Trump. En plus d’avoir perdu des contrats de travail, il s’est brouillé avec certains de ses proches. Le prix de ses convictions.
« J’aime mieux me faire canceller des contrats que de fermer ma yeule. J’estime avoir une part de responsabilité, vu que j’ai tellement investi de temps là-dedans. »
Par « là-dedans », Simon évoque les recherches consacrées à mettre en lumière les mensonges du deep state, la corruption au sein de la première puissance mondiale.
Un vif intérêt remontant au lendemain du 11 septembre 2001, alors que Simon avait dix ans. « J’ai compris rapidement qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak. C’est la première fois qu’on a su ouvertement que le gouvernement nous mentait », se souvient Simon.
Fan du sénateur socialiste Bernie Sanders, Simon dit avoir vécu un sentiment de trahison en voyant le candidat démocrate des présidentielles de 2016 laisser le champ libre à sa rivale Hillary Clinton.
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Pour lui, il s’agissait d’un putsch mené par l’establishment contre un politicien atypique. « Je me suis alors dit : “Bon, Trump veut toute décâlisser? Ben tant mieux, qu’ils mangent tous d’la marde. Go Trump!” »
Simon n’a pas été déçu. Il vante le bilan économique du premier mandat Trump. Son désintérêt pour la guerre, aussi. « Ça fait presque dix ans qu’on essaie de salir ce gars-là, mais une fois que tu vois les mensonges, tu ne peux plus retourner en arrière. »
Selon Simon, ce qu’il considère être une campagne de salissage orchestrée par les médias visant à faire mal paraître Trump, est en train de virer à l’avantage du politicien. Ses partisans voient en lui le sauveur envoyé par nul autre que Dieu pour remettre le pays sur les rails et contrecarrer les magouilles de l’establishment.
Même lorsque j’évoque des idées grotesques de Trump, comme cette fois où il a affirmé que les migrants Haïtiens de Springfield mangeaient des chiens ou des chats, Simon est prêt à dégainer son téléphone pour me montrer des preuves que c’est bel et bien arrivé.
« Si on prenait le temps de vérifier ce que je dis, ça aurait pu changer les choses dans mon entourage. Mais je tenais plus mon bout dans le passé, là je choisis mieux mon audience », admet le jeune papa.
Le modèle Trump
Guidé par son devoir de répandre la vérité, Simon peste contre la révolution woke en cours, qu’il s’est juré de combattre.
Lui aussi fustige l’intransigeance de la gauche, favorisant le recrutement de nouveaux adeptes de Trump tannés de se sentir ridiculisés ou dépeints comme des rednecks arriérés. Selon lui, la gauche s’est tellement radicalisée au cours des dernières années que le retour du balancier vers la droite – à l’échelle mondiale – était écrit dans le ciel.
Il est parfait, Donald Trump? Quand même pas, nuance un peu Simon, jugeant notamment qu’il fait erreur en tolérant TikTok en sol américain, une « arme de corruption sociale ».
Je l’avoue, je me sens étourdi par la quantité d’informations absorbée en aussi peu de temps sur d’aussi gros enjeux. Avortement, guerre civile, Poilievre, révolution woke, tarifs douaniers, corruption, deep state, Musk : pas reposant, tout ça.
Je regarde le bébé de Simon, sa blonde, sa belle maison et j’ai envie de lui demander s’il ne préférerait pas juste profiter de tout ça sans se casser autant la tête. Il sourit. « Ignorance is bliss, mais j’ai jamais été quelqu’un de naïf. J’ai toujours voulu acquérir plus de connaissances. Mais oui, ma vie serait plus simple », concède-t-il.
Envers et contre tous
Ce pèlerinage conservateur prend fin dans la cuisine d’Emma, près de chez moi dans le quartier Rosemont.
« Je ne suis pas pro-Trump, mais je me dis que si tout le monde est contre toi, c’est que tu dois faire ta job comme du monde », analyse cette « hippie dans l’âme » de 44 ans, en train de se faire à déjeuner.
Elle insiste sur le fait qu’elle trouve ça exagéré de la qualifier de Pro-Trump, mais estime que l’homme d’affaires sera bénéfique pour l’économie de son pays. « Je me considère au centre, entre la “gau-gauche” et la “droi-droite” », badine Emma, qui partage son logement avec une femme trans.
« On a des idéologies similaires sur plusieurs choses. Je suis en faveur de laisser les gens faire ce qu’ils veulent avec leur corps, sauf si j’ai l’impression qu’on veut imposer un agenda. »
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Se disant 100 % pour l’avortement, Emma pense que c’est la religion qui complexifie les chose aux États-Unis, où l’avortement prend la forme d’un moyen de contraception dans certains milieux. Elle ajoute avoir été catastrophée de lire récemment que la vasectomie et la ligature des trompes gagnent en popularité depuis que la Cour suprême des États-Unis a relégué le droit à l’avortement aux États.
L’entrepreneure ne cache pas avoir perdu confiance en la classe politique, « la plus grosse mafia qui existe ».
Trump a au moins le mérite de faire les choses différemment, constate-t-elle. « Qu’est-ce qu’il a fait de si pire durant son premier mandat, au juste? L’économie allait bien, il n’y a pas eu de guerre. Obama a été bien pire, mais la gauche l’aimait », souligne Emma, en train de flipper des saucisses dans une poêle.
Elle dit s’inquiéter de la fracture au sein de la société, ce clivage entre des gens aux opinions différentes. « C’est quoi, “faire partie de la bonne gang”? Tout le monde devrait avoir un esprit critique et dénoncer la bullshit. Moi, je ne suis pas d’accord avec Trump à 100 %. Je n’approuve pas sa position pro-Israël, mais ça prend quelqu’un comme lui pour l’économie. Avant de virer vert, tu dois nourrir ton monde », croit Emma.
Si le président doit s’attendre à gouverner dans l’adversité, il en sera de même pour ses partisans, qui devront essuyer des critiques.
Emma a l’habitude, après avoir traversé la pandémie sans le moindre vaccin, à l’instar de plusieurs personnes de son entourage. « Ma famille est très soudée et hippie, on n’avait pas de télé à la maison et tout le monde appuyait Trump. Mais mon père a changé son fusil d’épaule récemment à cause des liens entre Trump et les Musk, Zuckerberg et Bezos », confie celle qui portait un pull de Noël de Trump et Kim Jong-un durant les Fêtes. « Les gens ne savaient pas comment réagir! », rigole Emma, qui dit aimer provoquer des discussions.
Pas au point de montrer son visage dans cet article, par contre. « Les gens sont méchants et vont se dire que je ne suis pas un bel être humain », résume-t-elle.
En rédigeant ces lignes, je m’attends aussi à me faire reprocher de ne pas avoir offert une tribune à des gens issus de communautés marginalisées.
Mais j’estime avec une belle candeur qu’un monde meilleur (et moins polarisé) passe par le dialogue. Des paroles qui résonnent chez la spécialiste en politique américaine, Valérie Beaudoin. « Je ne vois pas pourquoi on ne donnerait pas une tribune à ces gens. Oui, c’est confrontant, mais ce ne sont pas des monstres, même si ça ne nous rejoint pas dans nos valeurs. »
Parce qu’à mon sens, tourner le dos aux gens avec des croyances diamétralement opposées aux nôtres a pour effet de justement creuser davantage ce fossé idéologique.
Drill baby drill.
*Prénoms fictifs pour préserver l’anonymat des témoignages.