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– Te dis-tu que t’es pas né dans le bon pays?
– Oui, pas mal chaque jour de ma vie.
– Souhaiterais-tu déménager aux États-Unis?
– C’est dans les plans.
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Tout commence avec une photo virale : une bannière pro-Donald Trump « Make America Great Again » ornant le balcon d’un immeuble à Rawdon. L’image fait rapidement le tour des réseaux sociaux, déclenchant sans suprises une vague de réactions passionnées.
Mon patron, flairant la bonne histoire, m’encourage à aller au fond de l’affaire. « Va voir ça, essaye de lui parler », me dit-il, la curiosité brillant dans ses yeux.
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Alors que je me dirige vers cette petite municipalité de Lanaudière où vivent 12 000 âmes, je ne sais même pas si le controversé drapeau flottera encore au sommet du balcon, si son propriétaire sera présent ou en vacances. Et si par chance je le trouve, daignera-t-il seulement m’accorder une entrevue?
À l’arrivée, quelques virages suffisent pour être conduit comme par enchantement jusqu’à cette fameuse bannière, guidé par une sorte de GPS invisible. Là, au coin de Queen et de la 4e avenue, le drapeau défie fièrement l’ordre tranquille de l’artère principale. Je stationne ma voiture et échange quelques mots avec un voisin torse nu, occupé à arroser son jardin de boucane sous un soleil de plomb. « Non, j’sais pas qui c’est, mais il devrait être chez lui. Les gens icitte voyagent pas trop trop », explique-t-il en faisant allusion à la précarité des habitants du bloc.
« Tu peux rentrer, c’est pas barré », ajoute-t-il avant d’avouer sans détour qu’il ne porte pas Donald Trump dans son cœur.
L’intérieur de l’édifice est sombre, malmené par des années de négligence. Je frappe à la porte du mystérieux trumpiste, pas de réponse. Je colle l’oreille : rien, aucun bruit.
À la sortie, je tombe sur une employée municipale abreuvant les fleurs du centre-ville. Elle me lance, laconique : « Ça fait dur de voir ça », pointant le drapeau de la discorde. Un passant, tatoué jusqu’au visage, marmonne à son tour :
« Il peut ben afficher ce qu’il veut, m’en crisse-tu. »
Le premier étage du bâtiment abrite un magasin d’escompte où Maude, la caissière en chef, accueille la nouvelle avec stupéfaction. « Ben non! J’entre toujours par en arrière! J’ai toujours refusé de mettre les pieds aux States quand Trump était président et s’il est réélu, j’y retournerai pas plus! », déclare-t-elle, avant d’aller jeter un œil inquiet à la bannière. « J’espère que ça ne nuira pas à notre commerce. »
Les heures passent et j’erre dans la ville sans aucune trace de celui que je cherche, me laissant le temps d’observer les regards intrigués des passants. Avant de quitter Rawdon, je glisse une lettre sous la porte avec mes coordonnées, espérant une réponse. Désolé, boss.
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Une semaine plus tard, mon téléphone sonne. Contre toute attente, c’est David, l’homme derrière la bannière qui m’annonce, avec une voix teintée d’enthousiasme : « Je suis prêt à vous parler. Rendez-vous demain soir? »
La lettre a fonctionné.
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Le lendemain, je remonte les mêmes marches, mais cette fois, la porte s’ouvre sur un jeune homme affable et sûr de lui. À ses pieds, un petit chien nommé Wilson. Rien dans son apparence ne correspond à l’image que je m’étais faite. Son appartement, en revanche, est un véritable temple dédié au milliardaire américain : drapeau MAGA dans la cuisine, casquettes rouges, posters historiques couvrant les murs, et une bibliothèque remplie de biographies politiques, de livres d’histoire et d’objets divers, parmi lesquels trône dignement The Art of the Deal.
Nous nous installons autour d’une table couverte d’une nappe à l’effigie d’une mitraillette en forme d’espadon, tandis que David m’explique l’origine de sa bannière : « Au départ, j’avais un drapeau canadien, mais le vent l’a déchiré. J’ai alors mis un drapeau américain, qui a subi le même sort. Il y a un mois, j’ai installé la bannière Trump, parce qu’elle me touche politiquement. C’est une année électorale et je passe beaucoup de temps aux États-Unis. »
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Mon hôte s’avoue étonné par la réaction de la municipalité : « Mon propriétaire a reçu une lettre me demandant de retirer le drapeau dans les dix prochains jours. Je ne comprends pas pourquoi. Si j’avais mis une bannière de Raymond Rougeau – maire de Rawdon et lutteur légendaire -, personne n’aurait rien dit. En 2025, quand je vais mettre une bannière pour Poilievre, j’en recevrai sûrement une autre. »
Malgré tout, David ne veut pas retirer sa bannière.
« J’ai clairement exprimé à la mairie que cela n’a pas de sens pour moi. Je veux défendre ma liberté d’expression jusqu’au bout. »
S’estimant loin d’être un provocateur, David se décrit plutôt comme un conservateur passionné par la politique depuis l’enfance. « Je te dirais que ma mère ne partage pas nécessairement toutes mes opinions, mais il n’y a personne chez nous qui vote QS. »
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Il ne boit pas, ne fume pas, mange bien, s’entraîne chaque jour. 29 ans, émondeur de profession, il passe de novembre à avril en Floride depuis maintenant six ans et ne cache pas ses opinions. Si quelqu’un lui demande s’il est pro-Trump, il répond sans détour. « Mes convictions politiques font partie de qui je suis. C’est pareil pour ceux qui luttent pour leurs droits au sein de communautés marginalisées : ils veulent être entendus. Si je veux cette liberté pour moi, il faut qu’elle soit la même pour mon voisin. »
Il ajoute cependant : « Chacun a droit à son opinion, mais si j’affichais un drapeau communiste, arc-en-ciel, ou Black Lives Matter, je doute que cela susciterait les mêmes réactions. »
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Ce qui frappe chez lui, c’est son authenticité et la franchise de ses aveux. À une époque où la droite dure, bien que montante, reste stigmatisée, David s’affiche sans complexe, transparent dans ses certitudes. « Je porte ma casquette MAGA tous les jours. J’en ai plusieurs, de 2015 à aujourd’hui. Elles sont un peu décolorées, maintenant. »
Sans demander, il abaisse le col de son t-shirt, dévoilant un drapeau américain tatoué sur sa poitrine. Sur sa cuisse, une imposante figure de Donald Trump brandit un calibre .45. Le dévouement, gravé dans sa chair, semble absolu.
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Il raconte les quelques mots échangés avec Don Jr au début d’une convention, la fibre qui règne entre les fidèles lors de ces rassemblements et réitère son admiration pour le mouvement trumpiste, le percevant comme la dernière locomotive du rêve américain : « Dans un rallye à Miami, j’ai vu des Vénézuéliens, des Cubains, des Haïtiens, main dans la main, pas juste des hillbillies du Mississippi comme certains peuvent le penser. C’est un mélange incroyable d’horizons différents, tous ensemble, espérant un avenir meilleur. Trump rappelle cette époque où l’Amérique était le phare du monde, où les gens venaient en masse pour y trouver une vie meilleure. C’est ce qu’il inspire : une forme d’espoir. »
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La discussion dévie rapidement, passant de l’assaut du Capitole à la récente tentative d’assassinat de son idole en Pennsylvanie. Que ses soupçons envers Kamala Harris ne se dissipent pas, et il évoque, avec une certaine nostalgie, l’effervescence du Convoi de la liberté. Il célèbre les droits constitutionnels, avec une ferveur particulière pour le sacro-saint deuxième amendement. Propriétaire d’armes à feu, il s’empresse de préciser que chacune d’elles est dûment enregistrée. David se voit également bien armé, métaphoriquement cette fois, pour naviguer à travers l’océan de désinformation qui entoure la politique partisane chez nos voisins du Sud.
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Quand je lui demande s’il se sent parfois isolé dans sa Matawinie natale, ou comme un mouton noir, il répond : « Peut-être un peu, mais je vis très bien avec ça. Même si je reçois souvent du support, je crois que ma vision des choses correspond davantage à ce qu’on trouve ailleurs plutôt qu’ici. »
Célibataire, il reconnaît que ses positions ne sont pas toujours un atout sur le plan sentimental.
« Les femmes se demandent souvent pourquoi quelqu’un aurait une telle affinité pour Trump. Elles pensent que tu es un extrémiste, un raciste, quand ce n’est pas du tout le cas. Aux États-Unis, ça passe mieux, disons. »
David est néanmoins conscient du caractère très controversé du candidat républicain. « Si quelqu’un n’est pas d’accord, ça ne me dérange pas, mais je ne comprends pas cet inconfort autour d’un président qui a récolté plus de 74 millions de votes en 2020. »
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Rejoint par téléphone, le maire Raymond Rougeau, informé de la situation, préconise une approche mesurée et se réfère à l’autorité administrative concernant l’affichage de bannières politiques, interdit à Rawdon.
« Si tout le monde commençait à afficher ses opinions personnelles, ça deviendrait ingérable », affirme-t-il. Ici, le cas relève de la réglementation municipale, précisant que seuls les drapeaux de nations ou les affiches de partis politiques locaux en période électorale sont permis.
« Le service d’urbanisme est déjà bien occupé, mais dès qu’une violation est constatée, nous avons l’obligation d’enquêter et d’agir en fonction », dit-il, faisant allusion aux plaintes citoyennes que la mairie a reçues envers la bannière.
L’ancien de la WWF conclut sur l’importance de respecter les convictions personnelles de chacun, soulignant que tout le monde a le droit d’exprimer ses opinions, même si elles diffèrent des leurs.
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Qu’importe, David persiste. « En réalité, suivre aveuglément ce qui est présenté comme la norme, c’est ce qui me dérange vraiment. La rébellion, c’est exactement ça qui a créé l’Amérique. C’est un paquet de soldats et de fermiers qui ont dit à une monarchie de manger de la marde. »
Une fin de non-recevoir pour ce jeune trumpiste qui voit dans son drapeau un symbole de résistance, un vestige d’une Amérique qu’il chérit, flottant dignement au vent sur un balcon de Rawdon.