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Pleurire sur les réseaux sociaux en attendant la révolution (3) : Abattoir
Après un an à rebondir sur Zoom entre télétravail et l’apéro, j’ai trouvé une échappatoire dans de multiples pages de memes qui maintenant constituent la majorité des fils de tous mes réseaux sociaux. Si la culture du meme reste fortement ancrée dans le dadaïsme autoréférentiel, on voit de plus en plus de pages de memes qui conjuguent rire et justice sociale. En vraie fangirl, je me suis entretenue avec les humains derrière trois de ces pages.
Abattoir (15 000 abonné.e.s)
C’est plus une formule hybride plus qu’une page de memes plus traditionnelle qu’on retrouve sur Abattoir. On y partage des memes féministes autant que des collages du pire de ce que les sections commentaires non modérées ont à offrir, ainsi que des textes plus longs au sujet de l’actualité québécoise. Est-ce que d’éplucher les commentaires haineux a fait perdre foi en l’humanité à la créatrice de la page? Elle m’explique qu’on ne peut pas perdre ce qu’on n’avait pas au départ, mais qu’elle trouve de l’espoir dans la communauté qui s’est bâtie entre les pages militantes.
Ça fait maintenant 3 ans qu’Abattoir existe. La page a-t-elle changé depuis?
Abattoir: J’ai créé la page avec des ami.e.s, un peu à la blague. On se disait qu’«Abattoir», ça ferait un bon nom de magazine féministe. C’est devenu plus mon projet personnel lorsque j’ai commencé à faire mes collages des commentaires haineux sur Facebook. J’en ai fait une plateforme pour exposer mes idées et montrer à quel point on vit dans une société qui est misogyne, raciste, homophobe, transphobe et j’en passe.
J’écris souvent sur des sujets qui ne sont pas drôles, mais j’essaie d’injecter un peu d’humour dans mes publications quand même. L’humour c’est tellement un bon outil de normalisation. Autant ça peut normaliser des attitudes discriminatoires, autant ça marche dans le sens contraire.
Comme créatrice de contenu féministe sur Facebook, reçois-tu beaucoup de commentaires haineux? Comment est-ce que tu gères ta communauté?
Abattoir: Je le dis d’entrée de jeu, je ne vais jamais prendre le temps de débattre avec des gens qui ne sont pas de bonne foi. Des fois, je vais publier quelque chose avant d’aller me coucher et quand je reviens le lendemain, je constate que la marde a pogné pendant mon absence. Dans ce temps-là, le bouton «bannir» est incroyablement facile à trouver. Je n’ai absolument pas la vocation d’éduquer des gens qui ne sont pas ouvert.e.s qui ont des propos violents.
Comme j’interagis très peu avec les messages haineux avant de les envoyer aux poubelles, ce n’est pas vraiment ça qui m’affecte le plus. C’est pas mal pire pour moi de parcourir les sections commentaires sous les articles pour mes collages. Quand je vois une publication d’un média qui s’y prête bien, je m’abonne aux notifications des commentaires. Je ne sais pas pourquoi je me fais ça! De voir les mêmes commentaires horribles qui reviennent encore et encore, ça use.
Pourquoi est-ce important pour toi de faire ce travail?
Abattoir: C’est quelque chose de très enrichissant pour moi personnellement, avant tout. Ça m’oblige à faire mes recherches, à m’informer avant de me prononcer sur un enjeu. Chaque jour j’apprends des choses nouvelles et je prends conscience de mes angles morts. Souvent c’est sur des sujets un peu décalissants, mais c’est important de comprendre comment nos sociétés fonctionnent et pourquoi elles ont évolué comme elles l’ont fait.
C’est le militantisme [auquel j’ai décidé de m’adonner]. Il y a des limites au changement social que je peux apporter sur Internet, mais je reçois beaucoup de retours d’abonné.e.s, surtout d’abonnés qui me disent que je leur ai appris quelque chose. Je m’éduque autant que je fais de l’éducation avec Abattoir.
C’est aussi dans les échanges que j’ai avec les abonné.e.s que je trouve beaucoup de satisfaction intellectuelle. On se nourrit mutuellement et on finit souvent par se retrouver sur d’autres pages similaires.
Est-ce qu’Abattoir t’a permis de tisser des liens?
Abattoir: Je me suis même fait des ami.e.s par l’entremise de la page. Il y a des habitué.e.s de la page que j’ai fini par ajouter sur mon compte personnel parce que j’aimais vraiment nos conversations et qu’on avait beaucoup en commun. Finalement, on se rend compte que beaucoup des pages des groupes militants sur les réseaux sociaux se partagent à peu près le même bassin d’abonné.e.s. Est-ce que cela crée une chambre d’écho? Peut-être, mais en même temps, ce sont des communautés qui sont liées par un désir de changements, donc c’est nécessaire de se regrouper en conséquence. Il y a une force dans la non-mixité.
Les amitiés qui se sont créées sur Abattoir ont beau être virtuelles, elles ne sont pas moins précieuses pour moi que des ami.e.s dans le «vrai monde». Pour qu’on puisse un jour détruire le patriarcat, il va falloir que ces communautés grandissent et surtout que beaucoup plus de gens remettent en question leur grille de lecture de la société.
Le changement arrive lentement, mais en attendant, il y a une belle solidarité dans ces espaces et ça me fait du bien.
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Pour lire le premier entretien avec Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe c’est ici. Et ce dont on a discuté avec Memes socialistes gourmands se trouve là.