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Pleurire sur les réseaux sociaux en attendant la révolution (1) : Org Stru Co
Après un an à rebondir sur Zoom entre télétravail et l’apéro, j’ai trouvé une échappatoire dans de multiples pages de memes qui maintenant constituent la majorité des fils de tous mes réseaux sociaux. Si la culture du meme reste fortement ancrée dans le dadaïsme autoréférentiel, on voit de plus en plus de pages de memes qui conjuguent rire et justice sociale. En vraie fangirl, je me suis entretenue avec les humains derrière trois de ces pages.
Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe (37 000 abonné.e.s)
Aux yeux d’un.e néophyte, la page Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe (Org Stru Co pour faire plus court) surprend par la densité de ses références, par son interprétation fantasque de l’orthographe d’usage et par ses personnages un peu informes. Après quelques memes, on s’approprie mieux les codes et on découvre une critique sociale surréaliste qui touche l’accessibilité aux soins, le droit du travail, les droits des personnes marginalisées et bien d’autres enjeux. Pour OrgStru, qui a fondé la page, c’est devenu plus qu’un espace pour faire des blagues, mais une réelle communauté solidaire et mobilisable.
Quelle a été la genèse d’Org Stru Co?
OrgStru: J’ai travaillé pendant un moment dans le système de santé et quand j’ai arrêté, j’avais besoin de parler de ce que j’avais vécu là parce que ça s’était tellement mal passé! Je pensais juste que j’allais sortir quelques blagues et qu’on allait être maximum 30 là-dessus, mais en quelques jours, la page a monté à 3000 abonné.e.s! Ça m’a fait réaliser que ma situation n’était pas isolée et qu’il y avait là des luttes communes qui nous liaient.
Pourquoi opter pour l’humour pour dénoncer ces injustices-là?
OrgStru: L’humour avait toujours fait partie de ma pratique, tout autant que la justice sociale. L’humour, c’est un vecteur de révolte fantastique! Parce qu’on va se le dire, la révolte, c’est fatigant à la longue. Avec l’humour, on se révolte quand même, mais en allégeant un peu cette lourdeur. Je crois que c’est ce qui fait le charme de la page.
Org Stru Co est devenu un espace de mobilisation où on sensibilise les gens sur des enjeux qu’iels connaissent moins, mais où on espère aussi conscientiser les personnes elles-mêmes victimes d’exploitation. On fait des blagues, mais on fait aussi de l’éducation populaire.
Qu’est-ce que ça représente comme travail d’administrer une telle page?
OrgStru: Je dois passer au moins 20h par semaine à travailler dessus! La majorité de temps part dans la confection des memes et des publications, mais il y a aussi une grande partie d’interaction avec la communauté. Je prends le temps de répondre aux messages privés de la page et aux commentaires des abonné.e.s, même si on en reçoit beaucoup. J’ai tellement de belles conversations, des fois je passe ma soirée à rire parce que la section commentaires est particulièrement en feu!
Depuis, j’ai demandé l’aide de plusieurs personnes pour m’aider à administrer, d’un parce que la charge de travail a augmenté exponentiellement, mais aussi pour diversifier l’équipe et donner une tribune à des voix différentes de la mienne. C’est devenu une sorte de collectif au fil du temps, ce qui était un de mes rêves en fait!
As-tu pu observer les effets concrets de ta page sur le monde de l’intervention sociale?
OrgStru: On s’est mis à recevoir des messages de gestionnaires dans des CIUSSS qui ont entendu parler de nous en réunion. Quand quelqu’un.e propose une idée pas d’allure, on va lui répondre «fais pas ça, tu vas te retrouver sur Org Stru Co». Les administrations savent qu’on les checke maintenant.
On pose des actions concrètes par des collectes de fonds et des campagnes de courriel et on constate l’impact que ça a, surtout quand on finit par gagner. C’est vraiment important pour nous de publiciser ces victoires-là, parce que ça donne espoir à d’autres personnes qui vivent des injustices. On a le pouvoir d’outiller les personnes autant publiquement qu’en privé pour faire valoir leurs droits.
Il nous est arrivé de faire reculer des CIUSSS en robe de chambre dans notre salon! Et tout ça dans le plaisir!
On dit souvent que les réseaux sociaux encouragent la polarisation des débats, est-ce que c’est un problème qui revient sur Org Stru Co?
OrgStru: Déjà, il faut se rappeler qu’un meme c’est pas un mode de communication particulièrement nuancé. C’est comme la photo d’un instant particulier accompagné d’un texte assez limité censé provoquer une émotion. Donc, il y a 1000 façons de l’interpréter. Moi, la façon que j’ai trouvée pour contrôler un peu l’interprétation qui est faite des memes sur ma page, c’est de les présenter avec à peu près 15 paragraphes d’explication, et encore, ça marche pas toujours!
Cependant, je n’irais pas jusqu’à dire que la polarisation c’est toujours mal. On passe souvent sous silence que la polarisation, c’est aussi un contre pouvoir. Par exemple, dans le cas des violences sexuelles, on n’écoute tellement pas les victimes que c’est nécessaire de prendre une position polarisée. Il y aura le temps pour la nuance après que ces violences soient reconnues. Je le dis d’entrée de jeu qu’Org Stru Co n’est pas une page neutre et objective (si ces pages-là existent même, c’est un débat).
Ce n’est pas un droit acquis de pouvoir commenter sur ma page, alors on fait un petit travail de modération. Il va rester tout le reste de l’internet pour tenir des propos violents, nous, on essaie de garder Org Stru Co drôle, doux et sécuritaire pour ses membres.
Quels messages espères-tu faire passer avec tes memes?
OrgStru: Mon but, ça sera toujours de désindividualiser les problèmes sociaux, la santé, surtout la santé mentale. On nous fait croire qu’on est toustes seules avec ça et que le problème vient de nous. Sauf qu’il y a des causes structurelles à la souffrance et il faut se le rappeler, surtout en intervention sociale.
Il faut qu’on se batte pour avoir des services accessibles, gratuits et sécuritaires en santé mentale, en ce moment on n’a rien de ça. Et au-delà de ça, je veux qu’on se batte pour un monde où tout le monde a le droit d’exister, peu importe leur condition.
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On se retrouve lundi pour la suite de ces entretiens avec Memes Socialistes Gourmands et Abattoir!