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Pleurire sur les réseaux sociaux en attendant la révolution (2) : Memes socialistes gourmands

Le militantisme à l’ère du meme

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Après un an à rebondir sur Zoom entre télétravail et l’apéro, j’ai trouvé une échappatoire dans de multiples pages de memes qui maintenant constituent la majorité des fils de tous mes réseaux sociaux. Si la culture du meme reste fortement ancrée dans le dadaïsme autoréférentiel, on voit de plus en plus de pages de memes qui conjuguent rire et justice sociale. En vraie fangirl, je me suis entretenue avec les humains derrière trois de ces pages.

Memes socialistes gourmands (36 000 abonné.e.s)

Avec son ton bobo de gauche bien assumé, Memes socialistes gourmands a pris d’assaut la sphère memetique québécoise durant la pandémie. C, le cerveau derrière le compte, s’efforce de mêler zeitgeist millénarial nourri au vin nature et conscience de classe sur Instagram. Au travers du contenu qui est venu rapidement rejoindre des milliers d’abonné.e.s se trouve une réflexion de communication politique aboutie.

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Comment en es-tu venue à créer Memes socialistes gourmands?

C: Ça va faire un an en juin que la page existe. J’avais commencé à faire des memes sur mon compte personnel surtout par ennui pendant la pandémie. J’ai travaillé en communication politique et j’ai toujours aimé créer du contenu, donc c’était une manière d’exprimer ma créativité quelque part.

Qu’est-ce qui explique le succès fulgurant de la page?

C: Je pense que j’ai trouvé le moyen de faire des memes qui parlaient à beaucoup de gens tout en occupant une niche encore peu exploitée dans l’univers memetique francophone au Québec. Oui, il existait déjà de grosses pages de memes, mais il n’y avait pas cet aspect sociopolitique très assumé, surtout sur Instagram.

Je pense aussi que j’ai eu le sens du timing lors d’évènements dans l’actualité. Le fait que j’ai été rapide à produire du contenu qui adressait ce qui se passait à ce moment-là a aidé à la viralité de ma page, c’est certain.

Le but de la page a-t-il changé depuis sa création?

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C: Si au départ, c’était pour me désennuyer, j’ai réalisé que j’avais l’occasion d’occuper un espace médiatique que les gens consommaient déjà et d’y injecter un discours alternatif qu’on voit peu dans le mainstream.

Je veux faire réaliser au monde qu’on a des expériences communes. On se fait dire qu’on est donc ben spécial.e.s, mais finalement pas tant que ça. Et clairement, ça fait du bien aux gens de se sentir moins seul.e.s. Donc, j’en profite aussi pour rendre digeste un contre-discours à travers ces expériences qu’on partage.

Considères-tu ce que tu fais comme du militantisme?

C : C’est certainement un travail, non rémunéré, mais mon action politique ne se limite pas à faire des memes. Je milite ailleurs dans le «monde réel». C’est plus un médium pour exprimer mes idées en fait.

Les gens se politisent beaucoup sur les réseaux sociaux, c’est un fait. Pour moi, cependant, ça ne peut pas être la finalité de mon action politique. On ne peut pas oublier que sur les réseaux sociaux, on est en proie au fonctionnement foncièrement capitaliste de ces applications, à un algorithme arbitraire et à une interface qui n’est pas propice à avoir des débats de fond nuancés.

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Donc oui, faire des memes peut avoir un effet politique concret, mais il y a une limite aux changements structurels que ça peut apporter à quelque part. C’est un complément, mais ça ne remplacera pas l’action directe.

Quelle place tout ça prend dans ta vie?

C: Je me détache beaucoup de ce qui se passe sur la page, parce que je sais que la seconde que je mets la main dans l’engrenage, je vais me faire aspirer. En toute franchise, je ne réponds qu’à une petite partie des messages que je reçois. Les gens m’envoient souvent du contenu pertinent ou ont des avis intéressants dans les commentaires, mais j’ai créé la page pour avoir du plaisir et je ne veux pas que ça envahisse ma vie.

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C’est donc assez dur de quantifier le temps que je consacre à Memes socialistes gourmands. J’ai peu de gestion de communauté à faire, comme je suis sur Instagram et c’est bien comme ça. Je ne veux pas que ça devienne une 2e job!

Ta page est-elle toujours aussi socialiste que gourmande?

C: Si on est vraiment 36 000 socialistes au Québec, je te dis «Let’s go, c’est ce soir le grand soir, on fait la révolution!» Donc, j’ai conscience que je suis suivie majoritairement par des gens sympathiques aux idées de gauche, mais de convictions politiques diverses. J’essaie de faire des rappels, surtout quand il y a une grosse vague de nouveaux abonnements, que c’est une page avec des convictions politiques claires, par exemple, par rapport au définancement de la police ou au féminisme.

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Oui, je fais du contenu sur des expériences plus universelles, mais j’essaie toujours de garder un équilibre entre ça et des prises de positions politiques. C’est important pour moi de démocratiser des théories socialistes qui sont souvent mal représentées dans des médias de masse. Ça change du cliché des «maudits communiss».

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Et ça se poursuit demain avec Abattoir !