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Le gros bon sens

Chronique d’une exaspération pandémique.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Les nouvelles sonnent comme un disque qui saute.

« Québec demande aux employeurs de restaurer le télétravail », « Ottawa envisage de fermer la frontière à tous les voyageurs étrangers », « 2736 nouvelles infections au Québec », « Ça se corse pour les Fêtes », « La santé publique de Montréal appelle à “revoir” ses plans pour Noël ».

« Vingt convives, vraiment? », s’interroge pour sa part l’ami Patrick Lagacé, qui s’engage à ne se retrouver sous aucun prétexte dans un party à 20 prochainement. « C’est juste le gros, gros bon sens », tranche-t-il.

Dans un passé pas si lointain, faire preuve de bon sens signifiait se faire vacciner et présenter un passeport vaccinal pour avoir droit à certains privilèges et favoriser, du même souffle, la campagne de vaccination.

À l’autre bout du spectre, ce bon sens était perçu comme une hérésie et une grave atteinte aux droits humains par une frange de la population, convaincue que les décisions gouvernementales se prennent avec un agenda de régime totalitaire à saveur de 5G.

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Après presque deux ans de pandémie, plusieurs vagues, variants et doses de vaccins, deux ans de « contrat moral », est-ce que le gros bon sens tient encore la route? Est-il à géométrie variable? S’effrite-t-il au profit de la peur d’avoir peur?

Des questions auxquelles je cherche les réponses.

Je ne suis pas le seul, je crois. D’où ce texte, rédigé à chaud, qui n’a aucune valeur scientifique. Inutile donc de m’envoyer des liens prouvant que la fin est proche, que les hôpitaux débordent, que le Pfizer protège à 70 % contre le variant, etc. J’ai tout lu ça.

Je n’ai pas l’intention de « faire mes recherches » non plus, alors pas besoin de me bombarder avec des vidéos d’un monsieur louche en sarrau en train de se filmer dans son sous-sol.

Mais entre les ayatollahs du Purell et les coucous divorcés du réel, je ne dois pas être le seul à être un peu perdu dans tout ça. « Oui, mais les chiffres? »

Les chiffres, justement, ils font peur, ils grimpent en flèche. Mais ils n’incitent pas à la panique, les chiffres.

Si on fait les manchettes du fait qu’il y a plus de 2700 cas par jour, on recense environ (au moment d’écrire ces lignes) 300 hospitalisations à la grandeur du Québec et quelques décès.

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Bien sûr, chaque décès est un décès de trop, mais à pareille date l’an dernier, on enregistrait à peu près autant de cas, sinon moins, mais plus de 20 morts et 1000 hospitalisations.

Est-ce que je suis naïf de trouver que c’est pas si pire, que les vaccins fonctionnent? Si les nouveaux cas frappent de manière à peu près équivalente les personnes vaccinées et non vaccinées (les premières étant beaucoup plus nombreuses), celles qui tombent plus gravement malades semblent n’avoir pas été piquées du tout.

Je ne suis pas imbécile non plus, je vois que les médecins et scientifiques lèvent des drapeaux rouges et ça ne m’effleure même pas l’esprit de les traiter de charlatans. Je risque peut-être même de regretter d’avoir écrit tout ça quand les hôpitaux vont craquer de partout après les Fêtes.

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Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que nous sommes nombreux et nombreuses dans le même bateau, à être excédé.e.s et à fermer nos gueules.

Oui, le variant Omicron fait peur, la pandémie est imprévisible, hors de contrôle, et tout le monde fait de son mieux en toute bonne foi (je le pense vraiment), mais le gouvernement annonçait récemment qu’il faudra apprendre à vivre avec le virus. Alors vivons avec.

Et too bad pour les non-vaccinés qui se ramassent à l’hôpital.

« Oui, mais ils vont engorger les hôpitaux? »

Je ne sais pas pour vous, mais à mon âge, j’ai jamais connu ça, des hôpitaux désengorgés. Tous les gouvernements de mon vivant se succèdent en promettant de réduire le temps d’attente aux urgences. Depuis bien avant l’invention de l’expression « distanciation sociale » en tout cas.

Désolé si je n’ai pas de solution à offrir, sinon ce ras-le-bol sans doute un brin maladroit, une écoeurantite à ventiler.

Une amie demandait l’autre soir aux gens sur sa page Facebook comment était leur moral.

Bas, répondait-on en général.

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Est-ce qu’on contribue à le maintenir au ras des pâquerettes en jetant aveuglément de l’essence sur le feu de la Saint-Jean de nos angoisses pandémiques?

Je dis ça et je respecte (presque) toutes les règles sanitaires depuis le début.

Tout le monde est vacciné chez nous, sauf la petite qui se fera piquer ce matin à l’école. Ça la stresse. « Tu sentiras rien », que je lui ai dit pendant qu’elle mangeait ses toasts au Nutella.

Je suis allé voir les Cowboys Fringants avec elle l’autre soir, son premier gros show à vie. Il y avait environ 15 000 personnes vaccinées full patch là-dedans, c’était impressionnant. Le port du masque était semi-respecté. Un gars de sécurité m’a demandé de remettre mon masque entre mes gorgées de bière. Je l’ai fait.

Est-ce qu’il y a eu des éclosions après le show? Peut-être, mais ça ne semble pas être le cas. Et les éclosions dans les partys de Noël, est-ce que ça me révolte? Fuck non.

Au contraire, ça me donne de l’espoir. Dans ce cas assez spectaculaire rapporté de Norvège, aucune des personnes participantes n’a été gravement malade ou hospitalisée. L’objectif ultime de cette pandémie était de trouver le plus rapidement possible un vaccin. Une fois cet objectif atteint, il faudrait être conséquent.

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Annuler Noël ou le limiter à dix personnes alors que la forte majorité de la population est vaccinée, que le Carrefour Laval est plein à craquer de gens pas obligés d’être vaccinés et que le centre Bell fonctionne à plein régime, je cherche juste la logique.

C’est aussi absurde que de porter un masque seul en char ou en parcourant les dix pas séparant ma table des chiottes au resto, alors que 100 % de la clientèle a présenté un passeport vaccinal à la porte. Ça ne tient pas la route. Je suis cartésien, expliquez-moi quels sont les risques, les vrais. Je suis pas plus niochon qu’un autre. Bon, un peu sans doute.

Je redoute surtout un clivage, pire que celui qui existe déjà, je veux dire.

On l’observe déjà dans nos sociétés entre les personnes privilégiées et celles qui le sont moins. On le voit avec les médias en télétravail depuis deux ans et les gens à qui ils s’adressent, qui travaillent d’arrache-pied en présentiel depuis le début. Le fossé entre les cols bleus et les cols blancs se creuse.

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J’imagine la face de la caissière du métro, de l’éducatrice en CPE, de mon frère ferblantier ou des centaines de personnes itinérants dans les refuges quand on parle de retour en télétravail. Pour des centaines de milliers de personnes, le travail « en présentiel » n’a jamais cessé.

Facile aussi d’être prêt à rester barricadé jusqu’en 2067 quand on est gras dur au chalet, qu’on habite une piaule immense, qu’on a déjà fait ses réserves à la SAQ et qu’on a en plus même plus besoin de se farcir l’autoroute 15 pour aller au bureau.

Le gouvernement n’a pas encore dit qu’il allait revoir à la baisse le nombre d’invités au réveillon, mais parions qu’il le fera d’ici quelques jours. Ou peut-être même à son point de presse d’aujourd’hui.

On s’apprête à rejouer dans ce film, cette fois avec nos vaccins. Je passe sous silence le fait de trouver indécent de flasher un troisième vaccin à l’heure où plusieurs endroits sur la planète peinent à recevoir le premier. J’imagine que notre vie vaut plus cher.

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À en croire ce que je lis sur les réseaux sociaux, plusieurs réduiront sans broncher le nombre de convives pendant les festivités. Peut-être que j’ai juste plus envie que la moyenne de réunir des gens chez nous autour d’une couronne de crevettes sans feeler comme un génocidaire.

C’est sans doute égoïste, irresponsable, etc., mais je crois avoir fait tout ce qu’il faut pour que ma famille doublement/triplement vaccinée puisse retrouver un semblant de normalité et faire un continental qui a de l’allure sur Dancing Queen.

Au-delà des rassemblements de la période des Fêtes, c’est quoi l’enjeu cette fois? Est-ce qu’on court le même risque?

C’était logique au départ avec le scandale dans les CHSLD et nos aînés qui tombaient comme des mouches, mais pour qui crie-t-on au loup cette fois? Y aurait-il une façon, cette fois, de circonscrire le risque de manière moins transversale et plus chirurgicale pour protéger les personnes particulièrement vulnérables au virus?

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Pourrait-on essayer de faire confiance à la population? Elle est peut-être moins imbécile qu’on semble le croire.

Je suis conscient que cette chronique est un pet sauce dans la grande diarrhée des opinions, mais bon, si je perds une couple d’ami.e.s à cause d’elle, le gouvernement va au moins trouver que je fais preuve de bon sens à Noël.

P.-S. – Vous avez compris que je milite juste pour maintenir l’ouverture des karaokés, right?