.jpg)
Les coulisses du militantisme en pleine COP15
Le soleil plombe sur le parc-nature Résister et fleurir lorsque je rencontre Cassandre, Anaïs et Josée, militantes pour la Mobilisation 6600, un regroupement citoyen qui milite pour la préservation des espaces verts dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Un an jour pour jour après avoir raconté l’histoire de leur lutte, elles me guident à travers le parc au nom symbolique en phase avec leur action militante, en plein cœur du quartier montréalais.
Depuis cinq ans, elles militent contre un projet de la compagnie Ray-Mont Logistiques qui prévoit le transbordement de plusieurs milliers de conteneurs tout près d’un quartier résidentiel, où une centaine de wagons feraient des arrêts quotidiens.
La verdure a eu le temps d’y pousser un peu plus depuis la dernière année, mais le trio espère que ses actions pourront mettre un frein au projet d’industrialisation et préserver le parc où on s’est donné rendez-vous.
J’ai pris contact avec Cassandre en prévision d’une manifestation organisée dans le cadre de la COP15, la Conférence des Nations Unies pour la protection de la biodiversité. Dimanche dernier, plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées dans les rues du quartier. Elles ont occupé une partie du parc à protéger avant d’en être expulsées par la police.
« Tu voulais visiter notre local, mais nos bureaux, c’est chez l’une ou chez l’autre », m’avise d’emblée
Anaïs lorsque je rejoins les trois militantes.
L’organisation est r ésolument décentralisée. Elle compte quelques dizaines de personnes plus actives. « À l’extérieur, un mouvement plus large nous suit et nous appuie », m’explique Josée. Le noyau plus engagé se rassemble aussi autour de « 5-6 cuisines de rues », ajoute-t-elle. Ce sont leurs bureaux. Ça, et le large parc-nature qui accueille les résident.e.s du quartier pour leur marche quotidienne, avec à la main tantôt un café, tantôt la laisse de leur chien.
.jpg)
« Les poumons noirs de Montréal »
« Ray-Mont aime bien dire dans les médias qu’il déménage de Pointe-Saint-Charles à ici, et que ça va réduire les GES, m’explique Cassandre. Mais ça, c’est selon une étude que lui-même a commandée. […] Oui, les camions vont faire moins de route, mais il va y avoir plus de camions, parce qu’ils vont agrandir leur terrain. »
Habillées légèrement en ce mois de décembre bizarrement clément, nous avons déjà presque oublié la saison des canicules, qui sera pourtant de plus en plus brutale année après année. Les trois militantes que j’ai rencontrées le savent très bien. Elles s’inquiètent des îlots de chaleur dans Hochelaga, quartier jadis fort de sa biodiversité, mais désormais en proie à des vagues de chaleur extrêmes.
Un projet d’industrialisation qui occupe un espace vert n’aidera probablement pas à régler le problème.
Les trois femmes en ont long à dire sur le coin de verdure pris entre la rue Hochelaga et le port de Montréal, situé juste de l’autre côté du boulevard Notre-Dame.
.jpg)
« Avant, au bout de [la rue] Davidson, les gens allaient pêcher, ils venaient se baigner dans le ruisseau. Avant, ici, oui, il y avait des industries, mais il y avait aussi du vivant et un accès au territoire qui avait du sens », rappelle Anaïs, qui refuse qu’une qualité de vie et un rapport à la nature sain soient seulement possibles à la campagne.
Les affiches et les collants qu’arborent depuis quelques années de plus en plus de poteaux et de murs des bâtiments d’Hochelaga font résonner les revendications de la mobilisation.
.jpg)
Pour ou contre la COP15?
La récente Conférence des Nations unies sur les changements climatiques fut décevante pour les militantes et militants environnementaux. La COP15 n’est peut-être pas plus prometteuse, mais la tenue de l’événement provoque des discussions nécessaires et ramène le sujet sur la table, selon les militantes.
.jpg)
« Il faut y être, ça prend de la vigilance. […] Combien de lobbyistes pétroliers étaient présents à la COP27? », questionne avec cynisme Cassandre. La réponse : beaucoup, 636 plus précisément. « Il faut être là comme chiens de garde. Ne pas utiliser une tribune qui est là pour défendre une cause et la politique de la chaise vide, ça ne marche pas », martèle-t-elle.
.jpg)
Vulgariser des concepts environnementaux et prendre de la place dans l’espace public et médiatique sont les raisons de s’engager aux COP, estime Anaïs. « Une fois qu’on a compris les concepts de biodiversité et de changements climatiques, l’important, c’est d’agir localement », et de militer comme le fait la Mobilisation 6600. Josée souligne également qu’il est primordial de se concentrer sur les « petites victoires ».
« Il faut viser un “pas dans ma cour” partout sur la planète. »
Les militantes connaissent cependant l’impact trop mince qu’ont eu les COP en matière de protection de l’environnement. Par exemple, la COP26 s’est conclue avec les excuses de son président pour « la profonde déception » qu’elle a représenté, et l’accord de la COP27 ne mentionnait pas d’objectif de réduction des énergies fossiles, une demande de longue date des milieux environnementalistes.
Anaïs n ’a pas beaucoup d’espoir « pour les décisions globales qui n’ont aucun sens » de par leurs objectifs aux allures inatteignables, et appelle à la mobilisation à l’échelle locale, municipale. En d’autres mots, mieux vaut s’attaquer au Goliath le plus facile à combattre. « Il faut viser un “pas dans ma cour” partout sur la planète, ajoute-t-elle. Je souhaite que chaque personne défende sa cour avec autant de vigueur que nous. »
« On ne peut pas ne pas se battre pour ça », estime Cassandre, qui sait que si une communauté ne tient pas son bout pour une parcelle de terrain, l’espoir qui fait subsister la lutte ne tient finalement pas à grand-chose.
L’écoanxiété, ça drive ou ça draine?
Sur le haut de la butte, en plein milieu du parc-nature, une structure de chien en bois semble surveiller ce qui se passe sous ses yeux. Un symbole vaillant qui suit l’organisation jusqu’au logo du mouvement Résister et fleurir.
.jpg)
« [La lutte] me fait réaliser à quel point, dans un milieu urbain, on est déconnectés de nos racines, d’où on vient, partage Cassandre. C’est important de le reconnaître, parce que ce lien-là se casse. On l’oublie. »
Dans les dernières années, la militante mentionne d’ailleurs avoir appris le nom de quelques-unes des 130 espèces d’oiseaux qu’héberge le parc : parions cependant que la paruline jaune ne chante pas de joie devant les travaux qui s’amorcent dans l’espace vert.
« Dans le projet, à peu près à la moitié du terrain juste là, il va y avoir des silos à grains », commence Josée en me montrant la zone en question. Cassandre l’interrompt : « Il y aurait », nuance-t-elle.
Quand est-ce qu’on saura définitivement si le projet Ray-Mont va de l’avant ou non? « On a la confirmation que le projet avance, ils ont les autorisations pour la phase 1 », se désole Cassandre, qui ne perd malgré tout pas espoir.
.jpg)
Militer aide à diminuer l’anxiété, pense Anaïs. Sa réflexion fait écho à l’appel récent de jeunes militant.e.s québécois.es à mettre de côté les études pour protester contre l’inaction des gouvernements.
Parfois, le stress réside dans le militantisme individuel imparfait du quotidien. Il est inutile d’angoisser sur l’emballage à usage unique du lunch qu’on a acheté pressé.e à l’épicerie du coin, selon Anaïs. La pression de la lutte est souvent mise sur les gestes individuels, et l’écoanxiété en devient d’autant plus lourde à gérer. « Ce n’est pas de vraies solutions; alors que si on se met en groupe et qu’on revendique un territoire dans lequel on peut se rassembler, chaque geste devient porteur de quelque chose de plus grand », affirme Anaïs.
On commence à avoir froid, après une heure de promenade autour du parc, que les militantes ont meublé avec moult informations sur l’environnement qui témoignent de leurs cinq ans de militantisme. Sur le chemin du retour, Cassandre s’inquiète pour la plus jeune génération, et me raconte ses sacrifices posés pour le militantisme. Toutefois, elle ne regrette rien : « Je veux pas constater, dans vingt ans, que j’aurais dû ou que j’aurais pu faire plus. »