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Lutter pour un coin de verdure ou la petite histoire du parc-nature Résister et fleurir

Les citoyen.ne.s s'organisent pour préserver un territoire naturel dans l’est de Montréal.

Par
Jean Bourbeau
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Une centaine de citoyennes et citoyens concernés bravent les intempéries samedi après-midi, coincés à l’extrémité de la rue Adam. Deux voitures de police sont stationnées en retrait, mais devant cette foule composée de retraité.e.s et de jeunes familles en Merrell, leur présence semble tout sauf justifiée.

Unis par une inquiétude partagée, les habitants et habitantes d’Hochelaga-Maisonneuve se sont donné rendez-vous pour célébrer l’inauguration du parc-nature Résister et fleurir, une initiative militante vouée à défendre la survie d’une berge sauvage. Située entre la ville et l’industrie, celle-ci se compose de deux boisés – Vimont et Steinberg – liés par une large friche ferroviaire.

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Ce lancement symbolique s’inscrit dans une lutte amorcée en 2016 contre l’installation de l’une des plus grandes plateformes de transbordement de marchandises en Amérique du Nord. L’établissement prochain de l’entreprise Ray-Mont Logistiques impliquerait plus de 10 000 conteneurs empilés auxquels s’ajouteraient une centaine de wagons et une quarantaine de camions y faisant des arrêts quotidiens, et ce, sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Selon plusieurs résidents rencontrés, un climat d’impuissance perdure dans le secteur : « La santé environnementale des quartiers est répartie selon le portefeuille des occupants », « L’Est est pauvre, mais riche en îlots de chaleur », « La verdure manque depuis toujours », « La construction du REM de l’Est et le prolongement de tronçons passants n’augurent rien de bon pour les espaces verts ». Le quartier a l’impression de payer les frais d’une vision archaïque du développement.

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« Le parc-nature Résister et fleurir se veut une réponse à la catastrophe des changements climatiques », souligne Estelle Grandbois-Bernard, doctorante au Centre de recherche Cultures-Arts-Sociétés de l’UQAM (CELAT). « C’est une perspective responsable dans le contexte de crise écologique. Un projet tout à fait terre à terre : celui de protéger la santé et d’améliorer la qualité de vie des gens, de prendre soin du vivant et de construire un quartier solidaire. C’est aussi la création d’espaces culturels et d’interprétation sur les friches urbaines et leurs mémoires. Dans la perspective de préserver les usages libres et communautaires de cet espace qui est en fait, chez nous. »

Un ruban inaugural est coupé en bonne et due forme. L’ambiance est détendue et les applaudissements fusent malgré le sérieux de la situation.

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Nous pénétrons dans le boisé Vimont où une dame m’agrippe le bras de peur de chuter sur la glace qui recouvre le sentier. La grisaille de l’hiver naissant n’infuse pas à l’endroit la même luxuriance colorée que l’on retrouve en été. Malgré tout, la dame me pointe, émerveillée, une clairière où un amas d’arbres effondrés crée un refuge impromptu : « J’appelle cet endroit la salle de conférence », dit-elle d’un ton complice.

Devant la menace de perdre ce territoire délaissé ayant évolué au fil des années en une zone de liberté, d’art et d’évasion, les différents acteurs combattent l’idée de perdre un espace vert au patrimoine inestimable.

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Daniel, père de deux enfants et propriétaire canin, me parle de l’amour qu’il entretient pour le parc nouvellement baptisé : « C’est un lieu de détente unique, dans la ville, mais en même temps si loin d’elle. Mon chien peut vagabonder et mes petits exprimer toute la créativité qui les habite. Il leur permet d’explorer un terrain qui n’est pas balisé ou aseptisé comme le sont les parcs publics. Ce serait une perte immense. »

Loin d’être à l’abandon, le secteur est habité par tout un folklore de résistance, au même degré que le couloir ferroviaire qui scinde les quartiers centraux. Au fil des années, les gens qui l’habitent ont développé une relation personnelle, un sentiment d’appartenance avec les lieux.

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Telle une colonne en mission, nous entrons sur la friche ferroviaire où de multiples lignes de désir se sont formées entre les vestiges de l’ancien chemin de fer. Nous nous arrêtons devant les jardins communautaires, où je m’entretiens avec Joris Maillochon. « Le quartier est réputé pour être un désert alimentaire, s’indigne le militant. Se réapproprier le territoire, c’est entretenir une relation étroite avec lui. Une des visions du parc-nature est de promouvoir des exercices d’agriculture communautaire qui vont profiter à tous. »

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Les possibilités ne manquent pas et les propositions sont abondantes.

Avec des jardins collectifs et des serres, la production est envisagée dans une perspective d’autonomie alimentaire pour le quartier. À l’échelle humaine. On souhaite parallèlement réhabiliter les sols contaminés à l’aide d’expériences de phytoremédiation, une méthode visant à dépolluer le souterrain grâce aux plantes. Le parc-nature valorise également la plantation de nouveaux arbres et la survie d’un rare milieu humide avec la présence d’un ruisseau ayant survécu aux industries. Il est aussi question de pistes cyclables permettant de mieux desservir les intérêts d’un quartier enclavé.

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Près de l’incinérateur Dickson, mon regard est attiré par une silhouette ailée suspendue à un arbre dénué de feuilles. Je devine la forme d’une pie-grièche, un petit prédateur qui passe ses hivers dans le sud de la province, mais elle est loin et sa présence en zone urbaine serait étonnante. Un jeune homme sort du peloton avec une paire de binoculaires, se rapproche lentement et braque son instrument sur l’oiseau qui s’envole. Il rejoint le groupe et lance, fébrile : « Une pie-grièche! C’est la 81e espèce que j’observe sur le site! » Il y a vu des buses pattues, un moqueur polyglotte, des nuages de parulines en migration; un couple de bruants des marais nicherait même le coin.

Comme quoi, la vie reprend ses droits là où on l’oublie.

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À l’orée du boisé Steinberg, de la soupe et du chai nous attendent près d’un feu fort bienvenu pour se réchauffer.

Lorsque l’entreprise a mis la main sur le terrain il y a cinq ans, le quartier s’est rapidement mobilisé pour amasser les signatures nécessaires afin d’exiger une consultation publique. Mais tout était déjà tracé d’avance selon Cassandre Charbonneau-Jobin, porte-parole du regroupement Mobilisation 6 600 Parc-Nature MHM.

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« Le boisé Steinberg sera défiguré par l’extension du boulevard L’Assomption, se désole-t-elle. Hydro-Québec envisage la construction d’un poste de transformation. Avec l’installation de Ray-Mont Logistiques, tout ça est une vaste entreprise d’expansion portuaire pour faciliter le transit des marchandises. Les citoyens et citoyennes d’Hochelaga s’opposent à ce type de développement. Ce qu’ils veulent est plus d’espace vert. Le quartier est en déficit criant de lieux naturels. »

« L’implantation de Ray-Mont Logistiques a connu un hiatus dans le temps parce qu’il y a eu des complications judiciaires, explique la porte-parole. La Ville a refusé de livrer le permis, l’entrepreneur a poursuivi la Ville et il a gagné. La Ville est allée en appel et elle a perdu. Il est donc de plein droit. L’un des nombreux problèmes est qu’il sera à moins de cent mètres de deux coopératives de logements. »

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Un nouveau voisin envahissant qui entraînera du bruit, de la poussière, de la pollution lumineuse, des vibrations ainsi qu’un dérangement évident du fragile espace naturel où nous sommes réuni.e.s.

« Le futur de la lutte est multiple. Il passe par l’obtention d’un BAPE sur le projet de Ray-Mont Logistiques; par la préservation du boisé Steinberg qui appartient au ministère des Transports; et par celle de l’intégralité de la friche ferroviaire qui appartient au CN afin de continuer l’accès libre à cet espace renaturalisé. Mais ce sont tous des interlocuteurs différents », déplore Cassandre, le regard évocateur face à l’envergure du défi. « Idéalement, on souhaiterait que l’ensemble du terrain soit racheté par l’un des trois paliers de gouvernement pour un autre type de développement que celui d’agrandir les voies d’accès portuaires. »

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Malgré un mercure affichant les -10 °C et le tumulte des flocons qui balaient nos visages, on compte près de 120 personnes blotties près du feu, échangeant et se réchauffant autour d’un idéal commun. L’initiative incarne une contestation comme il y en a partout au pays. Des citoyens et citoyennes militent pour préserver un coin de friche, une forêt, faire briller ces territoires alternatifs qui éveillent un univers de possibilités. Au même moment samedi, une soixantaine d’activistes écologiques effectuaient un blocage ferroviaire à Saint-Lambert.

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Je reviens sur mon chemin par la friche ferroviaire, contemplant ce qui sera possiblement une mince zone tampon entre les trains et les résident.e.s. En entrant dans le boisé Vimont, j’y rencontre un homme s’amusant avec une voiture téléguidée et deux enfants ricanant juchés bien haut dans un arbre accueillant. Le parc-nature Résister et fleurir exprime une vision urbaine émancipatrice et novatrice, bien loin du prisme de la croissance économique, mais plutôt à travers l’œil d’un quartier qui se permet encore de rêver.

L’avenir s’annonce toutefois âpre. La pie-grièche d’Hochelaga ne chasse pas sur le bitume.