.jpg)
« Quand t’as vu 10 000 personnes crier et se coller devant le Centre Bell pendant les séries, tu te demandes c’est quoi le problème avec le karaoké! », peste Yves Malette, propriétaire depuis une vingtaine d’années du bar Monchamp, qui organisait dans l’ancien monde des soirées karaoké une fois par semaine.
« On faisait ça les jeudis et ça marchait très bien. On avait pris toutes les précautions, notamment des enveloppes jetables sur les micros remplacées à chaque chanson. S’il y a quoi que ce soit qu’on peut faire qu’il [le gouvernement] nous le dise et on va le faire! », s’engage M. Malette, dont le bar a survécu en grande partie grâce à de l’aide financière.
Le tenancier de la Rive-Sud dénonce l’illogisme derrière les consignes gouvernementales entourant le karaoké, toujours dans l’angle mort du plan de déconfinement avec la danse dans les bars. Des restrictions qui perdurent à l’heure où l’on vient d’annoncer que jusqu’à 15 000 spectateurs seront permis dans des événements extérieurs et jusqu’à 7500 personnes lors de rassemblements intérieurs.
Les tenanciers de bars contactés estiment encore faire les frais d’une éclosion survenue il y a environ an dans un établissement (aujourd’hui fermé) de Québec.
Pour le président-directeur général de la Corporation des Propriétaires de Bars, Brasseries et Tavernes du Québec (CPBBTQ) Renaud Poulin, il est clair que les choses auraient été différentes sans cette histoire ultra-médiatisée (presque de niveau « Méga Fitness Gym ») . « Ça a créé un vent de panique. Pour le ministère [de la Santé et des Services sociaux], l’alcool coule à flots dans ces soirées-là. J’ai l’impression que ça va être la dernière affaire permise », croit M.Poulin, mentionnant que le karaoké et la danse apparaissent depuis côte à côte dans les décrets ministériels concernant les paliers de couleur.
«Pour le ministère [de la Santé et des Services sociaux], l’alcool coule à flots dans ces soirées-là. J’ai l’impression que ça va être la dernière affaire permise»
Renaud Poulin s’accroche donc à la date du 3 septembre, qui marquerait – selon ses informations – la fin des restrictions sanitaires si la vaccination continue à aller de bon train et que 75% de la population est doublement vaccinée. « On nous parle de cette date comme une fin, un retour à la normale. Des décisions devraient être prises à ce moment, sauf en cas de variant », rapporte-t-il.
D’ici là, il invite ses membres à prendre leur mal en patience, même s’il est parfaitement conscient que le karaoké constitue une manne pour certains établissements spécialisés, surtout concentrés dans la métropole.
C’est le cas de la Taverne Normandie, haut lieu de cette sous-culture populaire, où les chanteurs amateurs foulent la scène sept jours sur sept. « On a moins de permission cet été que l’an passé, même si on est presque tous vaccinés », déplore le propriétaire Pascal Lefebvre, qui se demande bien où est passé « l’été de liberté» qu’annonçait François Legault il y a quelques semaines.
L’été dernier, le Normandie – comme ailleurs – avait profité du creux de la vague pour tenir des soirées karaoké adaptées à la pandémie. Plexiglas, micros désinfectés, danse interdite, nombre limité de clients: les établissements avaient mis le paquet et aucune éclosion n’avait été rapportée. « On suivait les règles, mais on paye encore fort le prix du Kirouac [le bar de Québec impliqué dans une éclosion]. Déjà qu’on a été fermé 9-10 mois et qu’on ouvre à la moitié de la capacité… On écope beaucoup dans cette pandémie», soupire Pascal Lefebvre, qui déplore une diminution «substantielle» de son chiffre d’affaires. « On n’est pas tant que ça, mais on est une partie importante du nightlife montréalais », plaide Pascal, en citant, entre autres, ses camarades du Zoé, du Club date et de l’Astral 2000.
Pour l’instant, la clientèle du Normandie doit se contenter de soirées de demandes spéciales animées/interprétées chaque samedi par la légendaire Manon Vendette (madame Claquette!).
Le bar Zoé ( qui a eu l’idée géniale de mixer fondue chinoise et karaoké) tente aussi de s’adapter en proposant un concept « Votre tour de chant», où l’on offre la scène à trois adeptes (idéalement doués) pour une heure.
De belles initiatives qui passent toutefois à côté de l’essentiel, croit Pascal Lefebvre. « Les clients, c’est eux qui veulent performer! Mais on est à la merci du gouvernement tout le temps! », tranche avec une pointe d’amertume le patron du Normandie.
Malgré la tentation de se rebeller, la perspective de recevoir des amendes salées ou de subir des suspensions de permis a de quoi freiner les ardeurs des propriétaires récalcitrants, déjà malmenés durement par la pandémie.
«L’interruption du karaoké était justifiée au début, mais là, on devrait être traité comme tout le monde et avoir aussi du lousse»
Le patron de la Corporation des Propriétaires de Bars, Brasseries et Tavernes du Québec décourage d’ailleurs ses membres de s’abandonner à la délinquance. « Il reste sûrement quelques semaines à tenir. Si des bars veulent défier, ils s’exposent à des amendes (entre 1000 et 6000 dollars), des convocations à la régie, en plus de ternir l’image de l’industrie », souligne Renaud Poulin.
Propriétaire du bar Zotti à Québec, Lise Gagnon assure que son établissement suit les règles, mais réclame des assouplissements. « L’interruption du karaoké était justifiée au début, mais là, on devrait être traité comme tout le monde et avoir aussi du lousse », souligne Mme Gagnon, qui a l’intention de reprendre le karaoké une ou deux fois par semaine quand ce sera permis, comme c’était le cas avant la crise.
Le patron du Normandie aussi n’a pas le choix de se plier aux règlements, malgré une certaine frustration. « On voit des attroupements au Piknic Électronik dans des story où tout le monde danse collé et on ne peut pas avoir quelqu’un sur une scène à deux mètres derrière un plexiglas…»
Au moment d’écrire ces lignes, le milieu des bars venait d’obtenir l’autorisation de pouvoir servir de l’alcool jusqu’à 1h du matin au lieu de minuit.
Un pas dans la bonne direction peut-être, mais aussi une nouvelle façon de créer de la confusion, craint Pascal Lefebvre. « On a gagné une heure, ça fait juste mélanger les gens. C’est comme le supplice de la goutte», résume-t-il.
Le karaoké ne trône peut-être pas au sommet des priorités de la planète, mais nous sommes sans doute nombreux à compter les dodos (ironiquement, parce qu’on déteste autant cette expression, que «partner in crime ») avant de pouvoir retourner fausser sur nos chansons favorites ou lever les yeux au ciel quand quelqu’un interprète (encore) Wonderwall.
Bref, #Freekaraoké
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!