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Le campement Notre-Dame est mort, vive le campement Hochelaga
« On sera encore plus heureux ici, on a commencé à numéroter les tentes ou les roulottes et je vais bientôt aménager un spot à feu! », lance avec enthousiasme Guylain Levasseur, un des premiers occupants d’un tout nouveau campement improvisé sur un terrain vague d’Hochelaga-Maisonneuve.
Un peu plus de quatre mois après le démantèlement du campement Notre-Dame, c’est autour du campement Hochelaga de voir le jour.
Pour l’heure, une dizaine de personnes sont éparpillées dans des tentes et des roulottes sur le vaste site, un champ broussailleux voisinant une entreprise de la rue Hochelaga.
L’endroit est nettement moins visible que le précédent et risque de l’être encore moins lorsque les feuilles apparaîtront dans les nombreux arbres jonchant le terrain.
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Guylain, un pilier du campement Notre-Dame, en menait large avec sa cuisine communautaire, avant d’être forcé à décamper, à l’instar d’une centaine d’occupants qui n’ont eu que quinze minutes pour plier bagage. « Une de mes amies m’a permis de m’installer avec ma roulotte dans son stationnement à Carignan. J’ai passé l’hiver là et je viens de revenir hier », raconte Guylain, flanqué de son affectueuse chienne Misha.
«Si vous ne pouvez pas nous trouver de logements, donnez-nous au moins des subventions pour nous aider à louer des petits appartements»
Cet ancien portier et Disc Jockey conserve un goût amer du démantèlement de décembre dernier, lorsque la cavalerie s’était déplacée pour évincer les campeurs. « La moitié du monde ne retrouve plus son stock. Sur le plan humain, c’était raté. Avec la ville, le seul langage possible en est un de sourds. Si vous ne pouvez pas nous trouver de logements, donnez-nous au moins des subventions pour nous aider à louer des petits appartements », peste Guylain, raillant contre l’absence de logements à prix modiques, encore plus dans le contexte actuel de pénurie.
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Un retour prévisible
Parlant de contexte actuel, le porte-parole en itinérance au sein de l’opposition officielle Benoit Langevin ne tombe pas en bas de sa chaise en apprenant le retour des tentes et des roulottes. Au contraire, c’était à ses yeux écrit dans le ciel. « Comment espérer quelque chose de différent en ne changeant rien? », demande le conseiller de Pierrefonds-Roxboro (district Bois-de-Liesse), sous la bannière d’Ensemble Montréal.
Benoit Langevin martèle depuis des mois qu’une partie de la solution passe par l’injection d’argent frais en itinérance de la part de la Ville de Montréal, à qui il reproche les maigres budgets en la matière , malgré la pandémie. « Il faut débloquer des sommes d’urgence et cesser d’être à la merci de Québec », affirme le conseiller.
«À part se péter les bretelles avec quelques projets ici et là, l’administration n’a aucune réponse à l’urgence actuelle»
Il s’explique mal comment l’administration en place a autant de difficulté à consacrer de l’argent neuf en itinérance alors qu’elle vient d’annoncer un investissement de près d’un milliard de dollars pour donner une cure de rajeunissement au parc Jean-Drapeau. « On nous avait promis la création de 12 000 logements sociaux. À part se péter les bretelles avec quelques projets ici et là, l’administration n’a aucune réponse à l’urgence actuelle », peste Benoit Langevin.
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Depuis le début de la crise, les autorités ont cependant mis sur pied plusieurs refuges et mesures hivernales temporaires pour permettre aux personnes en situation d’itinérance de profiter d’un toit, notamment au YMCA d’Hochelaga, à l’aréna Maurice-Richard et à la Place Dupuis. Plusieurs de ces mesures viennent d’ailleurs d’être prolongées jusqu’à la fin juin. Trop peu trop tard, croit Benoit Langevin. « Avec l’expérience de l’an dernier, on aurait dû être capable d’avoir une idée des comportements migratoires de cette population », souligne le conseiller.
Bref, l’histoire risque de se répéter. Plusieurs personnes en situation d’itinérance vont sans doute commencer à déserter les refuges pour toutes sortes de raisons ( retour du beau temps, règlements contraignants, éclosions de COVID, refus d’avoir des chiens, etc.) et se réunir quelque part. « Il y a au moins de l’entraide dans les camps, des règles entre eux, même si ce n’est pas nécessairement la solution », admet M. Langevin, d’avis que les refuges offrent à tout le moins un ensemble de services, notamment du soutien administratif.
« Ici on ne dérangera personne »
En contemplant Guylain et ses compagnons du campement Hochelaga, difficile de chasser cette impression qu’il est déjà trop tard pour faire marche arrière de toute façon. « Il n’y a pas de logements sociaux ni de logements abordables. On est rendu avec une nouvelle forme d’itinérance, des victimes de rénoviction ou des gens qui dorment dans leur char. On ne dérangera personne, mais on va choisir les gens qui vont rester ici », confie ce natif des Bois-Francs, qui calcule avoir déjà reçu plus de 25 000$ en contraventions. « Un gars m’a déjà dit: j’ai pas payé un condo 400 000$ pour avoir des itinérants en face de chez nous », soupire-t-il.
Pour l’heure, Guylain songe à nettoyer le terrain parsemé de déchets et racler les feuilles.
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Soudain, un gars baraqué s’amène de derrière la roulotte. Il explique travailler pour l’entreprise voisine. « Quelqu’un est venu prendre notre poubelle et on aimerait la récupérer. On va vous donner un récipient en fer en retour », explique cordialement le gaillard, en pointant une grosse poubelle blanche en plastique près de nous.
Le marché est aussitôt conclu et l’homme retourne vers sa shop, satisfait.
«Une famille haïtienne était venue nous porter du griot, des Vietnamiens nous avaient donné des nouilles et hier un gars nous a amené d’excellents hamburgers. La population est derrière nous.»
Au même moment, un autre homme fait lever la poussière au loin dans le chemin en terre, à bord de son triporteur. « Tiens, v’là le gros malcommode! », rugit Guylain au sujet du principal intéressé, un homme avec une tuque orange fluo et un sourire contagieux estampé au visage.
Côté responsabilités, Guylain prévoit y aller un peu plus mollo cette fois. « Je me suis un peu brûlé la dernière fois », confesse le quinquagénaire en mangeant un pudding, évoquant les bouffes communautaires d’envergure qu’il orchestrait sur Notre-Dame. « Un monsieur nous a déjà acheté 400$ de bonbons, une famille haïtienne était venue nous porter du griot, des Vietnamiens nous avaient donné des nouilles et hier un gars nous a amené d’excellents hamburgers. La population est derrière nous. Là on va peut-être juste laisser une table et des gens viendront chercher leurs affaires », explique Guylain, qui a aussi distribué des dizaines de sleeping bags reçus en dons.
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Dans le sofa devant sa roulotte, Martin Roy flatte Misha, qui fait sa guidoune. Arrivé la veille au campement, il ne tarit pas d’éloges envers ses nouveaux colocataires. « J’ai jamais vu du monde accueillant de même », louange le jeune homme originaire de Longueuil, portant des verres fumés trouvés par terre. Il a partagé une tente, avec un autre compagnon d’infortune. « La meilleure nuit de ma vie! », souligne Martin, qui raconte avoir marché nu-pieds plusieurs kilomètres pour se rendre ici. Lorsqu’on lui raconte comment il a atterri ici, sa réponse est évasive. «Je me suis rendu compte que j’étais un robot ».
« Je veux donner un visage positif à l ’itinérance »
Un peu plus loin dans le champ, on aperçoit la roulotte de Louis Rouillard, le premier arrivé ici il y a cinq jours. Avant ça, il a passé l’hiver dans le stationnement du YMCA, où je l’avais d’ailleurs rencontré au début de l’année.
« Une fille avait essayé d’entrer dans ma roulotte, il y avait beaucoup de consommation autour et ça simplifiait les choses de partir », résume l’affable sexagénaire originaire de Saint-Hilaire, qui se tient loin de la dope.
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Louis prévoit aussi prêter main-forte pour nettoyer de fond en comble le terrain. « Je veux donner un visage positif à l’itinérance et avoir l’impression d’être utile à la communauté. C’est la différence entre être marginal et marginalisé », philosophe-t-il, en griffonnant dans un cahier le titre du dernier article qui parlait de lui dans URBANIA. « J’ai pas de cell ni d’ordi ici, mais je vais aller voir ça plus tard », promet Louis.
Au même moment, trois policiers du PDQ local font une ronde sur le terrain. L’un d’eux raconte d’avoir reçu aucune indication à l’effet que la présence des campeurs dérange. « En autant qu’ils respectent le voisinage, nous on répond seulement s’il y a des plaintes », souligne avec empathie le policier.
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Guylain n’a d’ailleurs que des bons mots à l’endroit des policiers du PDQ23 qui venaient faire régulièrement leur tour au campement Notre-Dame. « Il y a une agente qui venait toujours porter un biscuit à toutoune! », lance-t-il au sujet de sa chienne.
Soudain, un véhicule d’une compagnie d’extincteurs dévale le chemin vers le campement. Au volant, il y a Bertrand Raymond, le patron de la compagnie Speedex. C’est lui qui a apporté de la nourriture la veille, comme il le fait régulièrement depuis l’ancien campement. « J’ai distribué environ 3000 repas l’an dernier, comme de la soupe maison, du café, du linge », calcule ce samaritain.
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Ce dernier agit par altruisme pur, après avoir lui-même failli se ramasser dans la rue. « J’ai marché sur la ligne longtemps, je buvais entre 12 et 24 bières par jour. J’ai arrêté de boire en 2006, ma compagnie fait de l’argent et j’ai les moyens de faire ma part », justifie Bertrand qui dit que la solution passe par l’accompagnement des sans-abri, ce qui n’est pas synonyme de leur dire quoi faire. « Une personne qui sort de la rue, c’est déjà un gros gain », résume cette âme charitable, qui dit vouloir suivre les traces du regretté Pop, celui qu’on surnommait « le Bon Dieu dans la rue».
Au moment d’écrire ces lignes, le campement s’organise, encore à l’abri des journalistes. Guylain m’a assuré plusieurs fois qu’il n’avait pas de problème à médiatiser l’endroit, si ça peut attirer des gens dans le besoin. Il a même peint une adresse sur la clôture à l’entrée du site.
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Les élections approchent et il aimerait sensibiliser les élus à leur réalité. En face à face idéalement. « Valérie Plante n’est jamais venue nous rencontrer et je ne sais pas si Denis (Coderre) va venir », laisse tomber Guylain, qui dit n’avoir pas voté pour lui aux dernières élections à cause de sa loi anti-pitbull.
L’invitation est lancée.
Misha est adorable en plus.