Logo

Quinze minutes pour plier bagage

Démonter sa tente en vitesse au campement Notre-Dame.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Ça y est. L’incendie survenu samedi matin dans une tente – le troisième en deux semaines selon les autorités – aura finalement sonné le glas du campement de sans-abri de la rue Notre-Dame, où s’entassent plus d’une centaine de personnes depuis plusieurs mois.

Après avoir distribué des avis d’éviction dimanche, les autorités ont amorcé le démantèlement du site dès lundi matin, par un froid mordant.

Publicité

Un réveil brutal pour les campeurs, puisqu’une centaine de policiers ont été déployés pour former un vaste périmètre autour du site en bordure de la rue Notre-Dame, en plus des effectifs du Service de sécurité Incendie de Montréal (SIM) qui pilotaient les opérations.

Si le démantèlement était dans l’air depuis des mois, les campeurs étaient déterminés à rester sur leur site, prêts à y passer l’hiver après avoir affronté les premières neiges.

Dans ce contexte, l’opération s’est déroulée sous haute tension, théâtre de quelques accrochages entre les forces de l’ordre et les campeurs évincés, épaulés par des manifestants venus dire leur façon de penser aux policiers.

« Vous vous demandez pourquoi tout le monde vous haït, ben c’est exactement pour ça! », peste l’une d’elles au coin Davidson et Notre-Dame, où sont postés des policiers de l’escouade anti-émeute, à vélo et à cheval, alors que j’arrive sur les lieux.

Publicité

Si la mairesse Valérie Plante a toujours affirmé de pas vouloir démanteler de force ou envoyer des bulldozer raser le campement, les occupants n’ont toutefois que quelques minutes pour plier bagage, sans compter le bordel entourant l’entreposage de leur matériel, l’accès interdit aux intervenants communautaires dépêchés sur place et les consignes floues.

Sous un arbre devant les cordons de sécurité sur la rue Davidson, Chantal Gladu arrose aussi copieusement d’insultes les policiers. « C’est pas parce qu’il y a eu un feu ou deux que tout le monde doit payer la note! », plaide cette quinquagénaire, ajoutant que la police l’a menacée de jeter ses affaires aux ordures si elle ne démontait pas rapidement le campement qu’elle occupe depuis la fin septembre. « J’avais un logement, mais le propriétaire est mort de la COVID et j’ai atterri ici », raconte Chantal, qui ne sait pas trop où aller en attendant de réintégrer son logement, « J’ai pas envie de pogner la COVID dans un refuge ou de vivre avec des coquerelles dans des appartements trop chers, j’aime mieux être dehors », tranche-t-elle.

Publicité

Difficile de lui donner tort une semaine après la publication de notre reportage démontrant que les alternatives à la rue sont bien souvent des taudis.

Un peu plus loin sur le trottoir de la rue Notre-Dame, je croise France, qui en a aussi long à dire contre les policiers en les apercevant à cinq ou six autour de sa tente.

Elle traverse la rue pour s’enquérir de la situation et revient en pestant de plus belle. « Ah ils sont chiens! Ils m’ont dit que j’avais 15 minutes pour défaire ma tente », rapporte France, qui s’est installée ici il y a quelques mois après une profonde dépression liée à la pandémie « Je viens de Laval, mais j’habite ici parce que je suis aidante naturelle de mon frère qui vit tout près dans un 2 1/2 trop petit pour nous deux », explique-t-elle, avant d’interrompre brusquement son récit en se rappelant que le compteur tourne. « Ils (les policiers) m’ont donné 15 minutes, je dois y aller! », lance-t-elle, avant de foncer vers sa tente avec une boîte de carton vide sous le bras. Comme elle est un peu en panique, je lui propose mon aide, aussitôt accepté. S’en suit une négociation avec les policiers et pompiers pour m’autoriser à l’intérieur du périmètre, permission qui m’est finalement accordée.

Publicité

L’argument « Ça ira plus vite à deux » a semblé convaincre les autorités, visiblement pressées d’évacuer le site.

Je n’ai rien contre les policiers (au contraire, mon père en était un pendant 30 ans à Montréal ), mais pas le choix de trouver que plusieurs de ceux qui sont sur place nous rushent.

Je comprends bien qu’ils doivent suivre des ordres. N’empêche, il y a quelque chose de désolant à voir France s’activer à défaire le campement qu’elle habite seule depuis des mois pendant que des policiers jasent de leur fin de semaine autour de nous sans lever le petit doigt, sauf pour nous rappeler de nous grouiller. « Encore deux minutes! », lance d’ailleurs une policière, qui a visiblement hâte qu’on achève.

Moi qui déteste le camping et qui n’a jamais su comment monter une tente, je suis là à essayer de comprendre comment retirer sans outil les clous profondément figés dans le sol gelé aux extrémités de la tente. On réussit finalement à démonter le campement de France en une trentaine de minutes. « On vous a déjà laissé plus de temps que les autres », rétorque une policière lorsque France, paniquée, demande plus de temps pour mettre de l’ordre dans ses maigres affaires.

Publicité

Une policière se montre toutefois aimable en dégainant son couteau pour sectionner les tie wrap liant la toile à la tente. Même chose pour ce pompier venu dessiner avec une canette de peinture un cercle autour des effets appartenant à France. « Le camion cube est en route. Ce qui est dans ce cercle ira dans un entrepôt à votre nom et sera en sécurité », explique l’homme à la campeuse, incapable toutefois d’expliquer à France comment le chauffeur du camion cube fera les liens entre le matériel en question et France ( ou n’importe qui d’autre dans le campement ).

Deux policières nous escortent finalement avec deux boîtes et un sac en plastique rempli de vêtements que France souhaite conserver avec elle. Dans ma boîte, il y a des piquets de tente, quelques items de camping comme de la vaisselle, des bouteilles de liqueur à moitié vides et pas grand-chose d’autre. « Allez près du bus de la Croix-Rouge là-bas, où vous serez pris en charge », laisse tomber une des policières, en nous abandonnant en bordure des cordons de sécurité.

Publicité

À l’ombre du bus rouge, le bordel semble total et les organismes communautaires venus prêter main-forte aux évincés dénoncent leur impuissance. « On reçoit les informations au compte-goutte. On sait que le démantèlement se prépare depuis quelques jours, mais la police n’autorise pas les intervenants sur le site pour aider. C’est contradictoire avec ce qu’on nous a dit au départ et c’est inacceptable! », déplore la présidente du CA du centre d’aide et de réinsertion CARE Montréal, Catheryn Roy-Goyette, dont les organismes affiliés accueilleront plusieurs campeurs.

France prévoit justement trouver un hébergement temporaire au Y des femmes où elle a déjà ses habitudes. Au même moment, un collègue de Mme Roy-Goyette tente de faire le point sur la situation avec un policier sensible à leur cause. « Les gens n’ont pas de numéro de tente. Ils ne savent pas comment ils feront pour retrouver leur stock », explique calmement l’intervenant du CARE au policier qui promet d’y voir. « Mais pour l’instant, ils ne peuvent pas garder plus de deux sacs sur eux et le reste sera entreposé jusqu’en mars », précise ce dernier.

Publicité

Le vent froid claque au visage, France va se réchauffer à l’intérieur du bus de la Croix-Rouge. Ça me bouleverse de l’imaginer greloter dans son bus avec ses deux boîtes et son sac pendant que je retourne écrire dans mon confort rosemontois. « Ma mère est morte d’Alzheimer il y a deux ans et là je dois m’occuper de mon frère, il n’a que moi. Je suis seule, brûlée, mais ça m’arrangeait d’être dehors. Physiquement et mentalement », souligne France, refusant d’être étiquetée comme une itinérante. « Je suis une aidante naturelle épuisée et au bord du gouffre mental », résume-t-elle, en grimpant dans l’autobus avec tout ce qui lui reste au monde.

Publicité

Quelques mètres derrière, le terre-plein de Notre-Dame a des airs de champ de bataille, avec les policiers d’un côté et les manifestants de l’autre. Un de ces derniers a beau s’être costumé en père Noël, l’hostilité est palpable. Les médias sont pour leur part un peu plus loin dans un enclos réservé, où se succèdent différents porte-paroles.

« So so so solidarité! », scandent des manifestants en invitant les automobilistes à montrer leur appui à coups de klaxon.

Patrick, un employé du Comité BAILS d’Hochelaga-Maisonneuve est des leurs, avec sa pancarte. « Les évincer pour aller où? », pouvait-on lire sur sa pancarte, où le «c» d’«évincer» manque à l’appel. Mais au-delà de l’orthographe, la question demeure tout à fait légitime. « Les gens devraient pouvoir s’organiser tout seuls, ils sont très équipés. On les chasse de leur maison, pourquoi? Pour les précariser davantage? », explique Patrick, d’avis que les refuges ne sont pas faits pour tout le monde, sans compter les difficultés de mettre la main sur un logement abordable à l’heure des rénovictions et des constructions de condos. « Ce qui me choque c’est que cette opération coûtera des centaines de milliers de dollars et je ne suis pas d’accord que la ville agisse ainsi en mon nom », ajoute le manifestant.

Publicité

De son côté, le SIM assure que l’incendie de samedi n’était pas le prétexte espéré pour démanteler le campement Notre-Dame, qui fait les manchettes depuis des mois. « Les appareils artisanaux, les dangers liés au chauffage, la proximité des tentes et l’accumulation de matériaux combustibles par plusieurs occupants nous ont donné toutes les raisons d’agir. La zone était dangereuse pour les citoyens du site et ceux du secteur », énumère la chef de section à la prévention du SIM Louise Desrosiers, ajoutant que l’incendie de samedi aurait pu avoir des conséquences plus graves en raison de la proximité d’une bouteille de propane avec le brasier.

Au moment d’envoyer ces lignes, le démantèlement tire à sa fin.

Les autorités ont beau faire valoir que le site était dangereux et marteler qu’il était urgent de le fermer, mais parions qu’elles respirent mieux à la vue de cet œil au beurre noir qui disparaît du visage de la Ville.