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« À court terme, je veux aider des campeurs à trouver un logement et je veux continuer la lutte politique pour inclure le logement comme un droit fondamental dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le logement ne devrait pas être une marchandise. »
Jacques Brochu a beau avoir quitté sa tente, il n’a visiblement rien perdu des convictions et du franc-parler qui ont fait de lui LE visage du campement Notre-Dame, avant son démantèlement expéditif quelques semaines avant les fêtes.
L’ex-campeur de 60 ans, qui martelait être disposé à plier bagage seulement en échange d’un toit, est finalement parvenu à ses fins.
Il me reçoit d’ailleurs dans son nouveau logement du quartier Hochelaga-Maisonneuve, qu’il partage avec Francis, son ancien voisin au campement Notre-Dame. « Je l’ai côtoyé durant trois mois et je savais qu’il ne serait pas un fardeau. Il fait ses petites affaires », résume M. Brochu, que certains campeurs surnommaient « le maire ».
«J’ai reçu des menaces et j’essaye de ne pas m’en faire avec ça. Apparemment certains sont jaloux que j’aie eu un appartement.»
Un titre qui fait rougir le principal intéressé, même s’il semble spontanément prendre ce rôle à cœur, avec les bons et mauvais côtés. « J’ai reçu des menaces et j’essaye de ne pas m’en faire avec ça. Apparemment certains sont jaloux que j’aie eu un appartement », raconte Jacques Brochu, qui s’efforce malgré tout de faire sa part. « Une dame est venue me proposer quatre logements pour d’ex-campeurs », se réjouit celui qui continue à éclairer son chez-lui à la chandelle comme dans sa tente, même s’il a désormais l’électricité.
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Perché au troisième étage, son refuge – un loft plutôt – se résume en deux petites chambres sur une mezzanine et une grande pièce pour manger, lire son journal et peindre. Plusieurs de ses toiles ornent déjà les murs de la pièce principale. Un début, promet l’artiste, qui écrit et chante de l’opéra également.
S’il est parmi les rares ex-campeurs à avoir mis la main sur un appartement, Jacques Brochu assure qu’on ne tente pas « de lui fermer la trappe » en lui donnant ce qu’il veut. « Ma trappe va rester ouverte, c’était une de mes conditions avant d’accepter le logement. L’autre était que je sois maître chez moi », explique celui qui était responsable de la cuisine au squat Préfontaine il y a vingt ans, pendant une occupation ultra-médiatique en marge de la crise du logement qui sévissait à l’époque.
Si le campement Notre-Dame n’était pas son premier rodéo, il conserve toutefois un goût amer du récent démantèlement, qui s’est déroulé sous haute surveillance policière avec l’escouade antiémeute et même la cavalerie.
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Lorsqu’on lui demande ce qu’il retient de toute cette expérience, sa réponse semble déjà toute prête. « Un cafouillage politique et une mairesse qui a voulu se mêler d’un carré de sable qu’elle ne comprend pas », tranche Jacques Brochu avec aplomb.
Pour l’heure, il se consacre à mettre sur pied un programme d’art thérapie avec les personnes en situation d’itinérance, un projet qui lui tient à cœur depuis belle lurette. « Ça serait virtuel au début et j’ai déjà senti une ouverture de plusieurs organismes du coin », souligne « le maire », qui n’a pas fini de faire parler de lui, après avoir accordé des centaines d’entrevues pour des médias français, anglais, espagnols et même un allemand.
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Les refuges d’Hochelaga à la rescousse
Après le démantèlement, plusieurs campeurs ont déménagé leurs maigres effets qui n’avaient pas pris le chemin d’un entrepôt d’Anjou dans les trois refuges du quartier, situés à moins d’un kilomètre du boulevard Notre-Dame.
Au Cap Saint-Barnabé de la rue Bennett, la demande en hébergement a connu une augmentation drastique après le démantèlement. « J’ai 45 personnes qui dorment ici chaque nuit, au lieu d’une trentaine d’habitude. On pourrait en accueillir presque le double puisque j’ai plusieurs lits à deux étages, mais ce n’est pas permis avec la COVID », explique la directrice clinique de l’organisme Michelle Patenaude, dont l’équipe connaît étroitement tous les campeurs de Notre-Dame pour les avoir épaulés depuis le début.
«Avant, nous étions un refuge pour la nuit seulement, mais maintenant les gens peuvent rester toute la journée. Je préfère garder les mêmes personnes ici pour mieux contrôler la COVID.»
Qualifiant le démantèlement de « précipité » pour rester polie, Mme Patenaude a dû, comme ailleurs, se revirer sur un dix cennes pour faire face à la situation. « Avant, nous étions un refuge pour la nuit seulement, mais maintenant les gens peuvent rester toute la journée. Je préfère garder les mêmes personnes ici pour mieux contrôler la COVID », raconte Michelle Patenaude, qui ne rapporte jusqu’ici aucune éclosion entre les murs de son organisme.
À mon passage, la salle de séjour du refuge d’urgence est remplie de gens seuls ou à deux à leur table, en train de piquer un roupillon, siroter un café ou regarder la télévision perchée au mur.
Michelle Patenaude salue l’étroite collaboration avec l’organisme CARE/Montréal, qui gère deux refuges, dont un imposant se trouvant à l’aréna du YMCA accueillant environ 150 personnes par soir, parmi lesquelles on retrouve une vingtaine d’anciens campeurs. Un branle-bas permanent, mais sous contrôle, assure le directeur Michel Monette. « On a eu au départ une éclosion de COVID qui venait du campement (huit cas ont été recensés, dont quatre employés), mais tout a été contenu très rapidement et on a pu éviter une propagation globale », se réjouit M. Monette, qui a mis en place un protocole très strict au refuge de la rue Hochelaga pour éviter les risques de contagion.
«On a éliminé les heures de sorties obligatoires, là les gens peuvent rester dans leur cubicule en permanence pour limiter au maximum les déplacements.»
Je l’ai d’ailleurs appris à mes dépens en me faisant évincer du site par la sécurité après être débarqué sur place sans préavis. « On a éliminé les heures de sorties obligatoires, là les gens peuvent rester dans leur cubicule en permanence pour limiter au maximum les déplacements », explique M. Monette, qui travaille lui-même à distance de manière préventive pour prêter main-forte à un autre organisme en itinérance actuellement touchée par une éclosion de COVID au centre-ville.
Après quelques ajustements, M. Monette assure que la cohabitation se passe bien entre les ex-campeurs et les occupants du YMCA qui dormaient déjà sur place. « Certains avaient justement quitté le campement à cause de problèmes de cohabitation. Sauf quelques tensions, on a vite géré ça. Nos règles sont strictes au sujet de la violence et de l’agressivité », assure-t-il.
Le refuge d’urgence devrait rester ouvert tant que le financement gouvernemental sera là, soutient M. Monette. Pour les irréductibles qui fuient les ressources comme la peste, des tentes en fonte résistantes au feu – des sortes d’igloos – ont été commandées et devraient être livrées sous peu, ajoute le directeur.
Sans leur jeter la pierre, Michel Monette ajoute que la Ville a un peu causé malgré elle la création du campement Notre-Dame et l’augmentation de la population itinérante dans l’est de la Ville. « La ville a instauré des centres de jour au parc Dézéry et à l’aréna Francis-Bouillon. En répondant à un problème, elle en a créé un autre », résume M. Monette, ajoutant que des gens survivent dans des tentes depuis vingt ans à Montréal, mais jamais de façon aussi concentrée.
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Il y a des tentes, mais il y a aussi des roulottes.
Louis Rouillard a eu la permission de garer indéfiniment la sienne au bout du stationnement du YMCA, après l’avoir reçu en cadeau au campement Notre-Dame où il a vécu plusieurs mois.
Une mini-roulotte qui servait apparemment de kiosque au Village au Pied-du-Courant dans son ancienne vie. « Il fait chaud en masse là-dedans et je suis de toute façon toujours dehors. Je suis chanceux d’avoir ma place à moi », raconte Louis Rouillard en grillant une cigarette à l’aide d’une pipe à crack pour ne pas brûler ses mitaines, même s’il assure ne consommer que de la bière et du tabac.
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«À l’envers, mais chaude », résume M. Rouillard au sujet de sa roulotte.
À 60 ans, ce natif de Mont-St-Hilaire qui avait « la montagne dans sa cuisine au déjeuner » habite Montréal depuis trente ans. Il passe ses journées dehors dans le stationnement à placoter avec tout le monde. « Il y a beaucoup de cas psychiatriques ici, mais la police vient souvent et j’aime parler aux gens. Je suis comme l’aumônier du bonheur! », lance en riant M. Rouillard, qui se sent ici plus en sécurité qu’au campement. « Il y avait beaucoup de dealers et de petites gangs qui voulaient m’évincer. Ici, je ne dérange personne et les policiers m’ont assuré que je pouvais rester tant que je voulais. »
Les campements cachés…encore
Ce que l’on constate, c’est qu’une faible proportion des campeurs se sont éparpillés dans les trois refuges ouverts dans le quartier. Les autres auraient migré vers le centre-ville (où se trouvent davantage de services) ou dans d’autres campements improvisés, plus petits et surtout plus discrets. Une sorte de retour à la case départ aux yeux de Julien Montreuil, adjoint à la direction à L’Anonyme, dont le célèbre autobus sillonne la Ville depuis trente ans pour offrir du soutien, du matériel et des références aux personnes dans le besoin. « Les gens n’avaient pas d’affaires à partir de là (le campement). On aurait pu travailler l’aspect sécurité et il y aurait moins eu de monde à mesure que l’hiver avance. Il y aura toujours des irréductibles qui vont dormir dehors, mais là, on doit à nouveau les chercher », déplore M. Montreuil, qui travaille dans le milieu depuis près de 25 ans.
«La Ville finance la maison de chambres qu’on est en train de rénover, mais rien n’est encore parfait et ça demeure insuffisant.»
Selon lui, le fait de forcer les irréductibles à se cacher les rend encore plus vulnérables. « On était au campement tous les jours pour s’assurer que ça se passe bien. Là, si quelqu’un passe au feu, personne ne sera là. On ressent encore le manque de solutions structurantes », peste Julien Montreuil, critique envers les autorités dans sa gestion chaotique du démantèlement. « Oui, la Ville finance la maison de chambres qu’on est en train de rénover, mais rien n’est encore parfait et ça demeure insuffisant », constate-t-il, ajoutant que plusieurs personnes en situation d’itinérance évitent les refuges par crainte d’attraper le virus. « Ce sont des gens déjà hypothéqués, j’espère que pour une fois dans leur vie, ils passeront en priorité et seront vaccinés dans les premiers », souhaite Julien Montreuil.
Morale de l’histoire: ce n’est pas parce que le campement Notre-Dame n’existe plus que les problèmes sont disparus par magie. Si Jacques Brochu, Louis Rouillard et quelques autres ont trouvé un toit, combien survivent toujours dans des tentes, loin des boulevards et des projecteurs?