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La taverne du mois : le Bar de nos aïeux

Cap sur cette brasserie où règne la vieille époque.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec le Bar nos aïeux, célèbre brasserie où se croisent d’illustres doyens et vétérans de notre faune montréalaise.

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AMBIANCE

Après avoir tout risqué pour braver le chantier de construction guerre de la Plaza, on tourne sur la rue Bélanger avec une profonde joie. Là, devant nous, se profile le Bar de nos aïeux, un endroit houblonné de haut dynamisme, reconnu pour ses spectacles à couper le souffle et son ambiance du troisième âge.

Déjà, au pas de la porte, nous sommes émerveillés par ce qui nous attend et, surtout, par les feuilles imprimées soigneusement collées dans la fenêtre avec de la gommette. L’impression couleur top qualité nous indique que les proprios ont un certain budget.

Notre coup de coeur :

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Douze minutes de niaisage devant le bar plus tard, nous vivons un moment d’euphorie généralisée lorsque nous découvrons l’enceinte somptueuse de ce cher Nos aïeux. En ce vendredi soir bien bondé, le maître de cérémonie le plus honorable de l’espace public, l’illustre DJ Stéphane, nous gracie de sa présence.

En temps normal, nous considérons le karaoké comme un élément perturbateur, qui altère l’ambiance typique de la taverne, un endroit où l’on va pour oublier notre présent plutôt que pour se mettre en scène comme si la réalité avait quelque chose de bon à offrir. Dès les premiers instants, toutefois, nous sommes convaincus par la qualité des hits chantés : Ayoye d’Offenbach, Ces enfants-là de Mario Benjamin, Mon ange d’Éric Lapointe, Love Bites de Def Leppard…

Visiblement, la soirée sera bonne.

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ALCOOL

Labatt et Molson cohabitent avec harmonie ici, et on peut alterner comme bon nous semble entre la 50 et la Laurentide.

Existantes, les bières importées nous font le bonheur de ne pas trop se manifester auprès de la clientèle. À l’inverse, les cafés Baileys et les drinks à moins de deux ingrédients osent se montrer le bout du nez.

Notre réaction est sans équivoque.

PRIX DÉRISOIRE

Après lecture intégrale du menu, les pichets 60 oz de Laurentide ou de Canadiane (sic) à moins de 13$ font partie des deals les plus impressionnants des temps modernes. Même chose pour les bocks à 2,50$ qui s’avèrent pas mal avantageux quand il nous reste à peu près juste une poignée de change à dépenser. À part ça, les grosses Labatt à 11,50$ les soirs de spectacle, c’est un peu rough sur le portefeuille, mais on imagine qu’une qualité musicale de la sorte, ça vaut son pesant d’or.

Au passage, mention aux parenthèses qui se ferment pas.

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À noter que les aubaines du Bar de nos aïeux ne viennent pas automatiquement avec des prix.

SERVICE

D’emblée, on apprécie que le serveuse délaisse souvent son bar pour aller dehors ou pour aller jaser avec des clients. C’est ce qu’on appelle un service tavernier classique.

Autrement, nos communications avec la serveuse sont plutôt limitées, car la plupart du temps, nous sommes beaucoup trop obnubilés par la prestance de celui qui transcende la brasserie : le grand et célèbre DJ Stéphane.

Regardez-le dans toute sa puissance.

Un zoom sur ce splendide montage graphique s’impose.

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Concentré à réaliser ses mix, notre ravissant DJ Stéphane est imperturbable, même lorsque son ami, le vendeur de roses au suit Adidas, tente de venir l’importuner.

DÉCORATION/MOBILIER

Sur ce point, difficile d’être plus authentique que le Bar de nos aïeux. En plusieurs décennies, la décoration a eu le temps de ne plus être à la mode 3-4 fois et de le redevenir.

À titre d’exemple :

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D’emblée, nous sommes subjugués par le rideau à la droite de DJ Stéphane, qui semble faire office de backstage.

Juste à côté, nous sommes tout aussi impressionnés par ce vestiaire bien garni et ce balcon étroit, tout droit sorti d’un immeuble à condos cheaps, finalisé en 2002.

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Difficile de rester de glace devant cet autel de mariage violet. Après discussions et recherches soutenues, nous apprenons que celui-ci a une forte valeur symbolique, car c’est ici, au Bar de nos aïeux, que notre magnifique et romantique DJ Stéphane se serait marié il y a deux ou trois ans.

L’amour existe encore.

Ravivés par toutes ces émotions, nous poursuivons cette grande évaluation décorative avec le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue.

À nos pieds, nous retrouvons trois classiques de la taverne québécoise : un sol pas fini, des caisses de bières vides pas ramenées dans le backstore et une marchette.

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Parlant de boisson, les affiches promotionnelles de bière semblent installées au mur depuis belle lurette, comme en témoignent ces deux logos provenant du tournant du millénaire.

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Coup de coeur pour cette bière qu’on a pu se procurer en magasin pendant quatre mois à l’été 2003 au dépanneur, c’est-à-dire juste avant que Molson fusionne avec Coors et se rende compte que son produit qui goûte l’eau ne servait plus à rien.

Élément singulier de ce bar du troisième âge : une mini-porte amovible à l’utilité discutable.

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CLIENTÈLE

La dichotomie au sein de la clientèle est vive au Bar de nos aïeux. À l’avant, tout près de notre charmant DJ Stéphane, on retrouve surtout de jeunes hipsters rosemontois qui, en attendant qu’on nomme leur toune au karaoké, font semblant de trouver ça intéressant de se parler. À l’arrière, c’est la vie qui continue : un homme lit son journal bien attablé avec sa Molson Ex, un autre tente de flirter avec la serveuse, un autre passe plus de temps à fumer dehors qu’à boire en dedans… Finalement, la bonne vieille portière amovible marque peut-être cette division entre deux générations de buveurs qui, malgré leurs différences, ont jugé bon venir perdre leur vendredi soir ensemble.

Reste que les vrais gagnants dans toute cette faune tavernière, ce sont les joueurs de machine.

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PROPRETÉ

Curieusement, le Bar nos aïeux est relativement propre. Le doux mélange d’effluves de houblon et de CHSLD a quelque chose de réconfortant. Évidemment, la saleté sur certains coins du sol et du plafond semble profondément encastrée, à l’image des standards de propreté de la taverne québécoise.

Au-delà de ça, mention honorable à ce toit de roulotte à hot-dog qui ne semble pas servir à grand-chose à part ramasser de la poussière.

TOILETTES

En poussant la porte du cabinet pour hommes, on assiste à un coup de génie marketing : deux affiches de bières presque superposées qui nous laissent croire qu’on commence à être pas mal chauds et qu’on voit en double.

Premier constat : au moins, ça pue pas.

Deuxième constat : va falloir se laver les mains à l’eau.

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Constat final : la gang d’Antirouille Métropolitain gagnerait à venir faire un bon coup de cash icitte.

BOUFFE

Après avoir ingurgité un sac de Doritos comme si notre vie en dépendait, nous regardons les autres options culinaires sans vraiment espérer quelque chose de concret. Désarmés, nous sortons de l’établissement pour tenter de scruter les options gastronomiques autour. Heureusement, le Nickel’s est fermé.

Affamés, nous contemplons cette publicité de déjeuner en espérant que le soleil se lève bientôt. Malheureusement, il n’est que 1:38.

Pour ceux qui ne le savaient pas : des salades, c’est nouveau.

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Finalement, on va se contenter d’une bonne descente de chlorure de sodium dans notre breuvage.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Il y a des signes qui ne trompent pas. Dès qu’une taverne digne de ce nom prend autre chose que de l’argent comptant comme mode de paiement, c’est qu’il y a anguille sous roche. À ce sujet, le Bar de nos aïeux ne déçoit pas, car il est resté figé dans une autre époque avec un guichet ATM qui affiche des billets de banque du millénaire dernier.

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Décidément, cette brasserie se tient debout face au changement. Rejetant toutes formes de modernisme, l’établissement évite même le surplus de prises électriques, comme le démontre cette rallonge qui flirte dangereusement avec le court-circuit.

BILAN DE L’ÉVALUATION

Carrément ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations avec, en bonus, une tache de café Baileys. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Bilan de l’évaluation : 76/100

BONUS : un cylindre scotché (+1)

Des filtres à café (-1)

Un très bon jeu de mots en première page du Journal de Montréal (+1)

MARIE-CHANTAL TOUPIN (+1)

Nichel Rivard (+1)

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Gagner un montant entre 10 cennes et 27 piasses aux machines (+10,27)

De l’optimisme (-5)

Une photo aussi floue que notre soirée (+0,22)

Une très belle photo de mariage sur la page Facebook de Stéphane (+1)

Un évènement à ne pas manquer le 6 octobre (+1)

Note finale : 86,49 %

Classement

Bar de nos aïeux : 86,49%

La Chic Régal : 76,5 %

La Remise : 71%

Bar 99 : 61 %

VV Taverna : 49 %

Idéation et/ou photos : Olivier Boisvert-Magnen et Dany Gallant.