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La taverne du mois : Funki Munki

Incursion dans ce grand couloir prestigieux de Hochelaga.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec le Funki Munki, établissement peu fréquentable de la rue Sainte-Catherine Est.

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AMBIANCE

À peine entrés dans le lobby, nous apercevons des avertissements qui nous convainquent d’une chose : le potentiel de dérape est considérable au Funki Munki. Au passage, nous sommes également convaincus des talents du graphiste responsable de ces deux sublimes affiches.

La gang derrière la conception des polices Word Art peut aller se rhabiller.

En ce 5 à 7 du jeudi, nous apprécions l’ambiance intimiste qui prévaut dans cet établissement de qualité apparente. Rarement un grand couloir vide a-t-il été aussi attrayant.

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Qui dit «jeudi» dit «soirée hip-hop» au Funki Munki. Manquant à l’appel, les gens qui portent des casquettes à l’envers ont laissé place à un gars ben tranquille qui joue aux machines dans le fond de la place avec un t-shirt de biker. Et 50 Cent, lui, a laissé sa place à Calvin Harris dans les speakers. Douteux choix musical s’il en est un.

Nous nous emparons alors du juke-box pour blaster nos classiques habituels, qui ratissent de Gerry Boulet à Offenbach. En scrutant à la loupe les chansons les plus jouées, on constate que la faune habituelle du Funki a un penchant pour à peu près n’importe quoi, genre du cock metal à la Avenged Sevenfold mais aussi du hip-pop de 2014 à la Pitbull. Bref, il va sans dire que les goûts des gens de Hochelaga ont des affinités naturelles avec ceux des citoyens de Blainville.

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ALCOOL

Assoiffés bien comme il faut, nous nous rendons au bar pour être certains que la serveuse ne nous oublie pas une fois qu’elle va avoir servi tous les autres 0 client. D’emblée, l’éventail de bières a de quoi surprendre : de la bière blanche quelconque qu’on prendra pas, de la IPA bromontoise pas buvable Cobra, de la ridicule Rickard’s Red et, surtout, de la bière FUNKI MUNKI. Sans crier pistache, nous nous rabattons sur cette dernière option on ne peut plus locale, car de toute façon, les classiques invétérés que sont la Laurentide et la Labatt 50 sont crapuleusement absentes de l’inventaire.

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Après avoir repéré de subtils arômes de vomi et de chlore, nous nous décidons à prendre une bonne gorgée de cette bière mystérieuse. Rapidement, on se rend à l’évidence: cette bière s’apparente FRAUDULEUSEMENT à de la Vieux-Montréal, un breuvage réputé pour son goût ranci.

Contre toutes attentes, le contenant était en phase avec le contenu.

SERVICE

Un bon vieux classique qui, habituellement, augure plutôt bien pour toute taverne qui se respecte : la serveuse ne se gêne pas pour laisser son bar à l’abandon histoire d’aller fumer une bonne smoke à l’extérieur.

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Signe aussi d’un service 5 étoiles : les verres sortent du congélateur.

Autre signe d’authenticité : la serveuse nous informe que les Coor’s Light sont à deux pour 6$ jusqu’à 19 heures, alors que dans le fond, elles sont une piasse de plus. Un marketing sauvage digne des grands stratèges de ce monde.

PRIX DÉRISOIRE

Mis à part le spécial trompeur sur les Coor’s Light, le Funki Munki mise sur des prix qui ont pas mal d’allure. Un pichet à 13,48 avant la dime gouvernementale, c’est tout de même une aubaine notable pour une bière qu’on a de la misère à boire.

DÉCORATION/MOBILIER

D’abord, il y a le bar qui nous séduit avec son mur scotché, son choix d’alcool fort qui s’en tient à l’essentiel, son présentoir en plastique Red Bull, son frigo Red Bull complètement vide, son cadre de Patrick Roy, sa casquette du Canadien et, surtout, sa Coupe Stanley faite en tasses du Canadien.

Difficile de se sentir plus en vie qu’en regardant ça.

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Ensuite, il y a le coin avant du Funki qui mérite des applaudissements à tout rompre.

Les deux choix de bancs sont alléchants : le merveilleux banc zébré ou le divan blanc juste assez sale qui se distingue par ses springs qui nous rentrent dans le cul.

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La vue parfaite pour observer des gens revenir d’un dépanneur avec une 6 de Carling.

À lui seul, ce beau gros bonhomme incarne le mode de vie qui prévaut sur Sainte-Catherine Est.

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Enfin, on ne pourrait passer sous silence l’arrière de l’établissement, transcendé par une mezzanine au design exploratoire.

Jusqu’à aujourd’hui, on n’avait encore jamais vu d’aquarium avec juste des toiles, du filage et des lumières de Noël dedans. Juste pour ça, ça vaut la peine de venir scrapper son après-midi ici.

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Élégant, le coin technique est constitué d’un duo de tables tournantes, d’une console et, surtout, d’un blender. Évidemment, cet objet fait de bien meilleurs mix que n’importe quel autre DJ à Montréal.

Très beau aussi, le mur expérimental en brique cassée est toutefois miné par le reflet de plusieurs lumières LED, une dérive électroluminescente que nous considérons beaucoup trop contemporaine pour exister dans une taverne. Au total, ce sont huit sets de 36 lumières affreuses qui ornent le Funki Munki. Évidemment, des points importants se perdront ici…

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Pas non plus de compliments à faire sur cette devanture de bar aux couleurs changeantes. On se croirait en 2003 et on devrait être en 1978.

PROPRETÉ

Alors que nous sommes bien assis en train de siroter une bière, un homme de grande prestance vient faire sa run de nettoyage de vitres dans le bar. Tout de suite après, on l’aperçoit en face en train de faire la même chose dans les commerces avoisinants.

Un contrat qui va faire des jaloux.

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Tandis que les amas de poussière et les toiles d’araignée cohabitent au plafond, les traces de souliers et les botchs de cigarettes se font de l’oeil sur le plancher.

Finalement, le sombre couloir du Funki Munki est le prolongement de la rue.

Ce ne sont pourtant pas les outils ménagers qui manquent ici. Bien entreposés sur le bord d’un appareil de loterie vidéo, ces balais sont sur le bord de se passer tout seuls.

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Tout près, une moppe encore humide et un seau d’eau savonneuse nous laissent croire qu’il y a peut-être quelqu’un qui, récemment, a eu l’initiative de faire un peu de ménage, mais qui finalement a dû lâcher le projet pour aller fumer une bonne smoke en avant.

TOILETTES

L’éclairage bleuté phosphorescent de la toilette des hommes n’est pas sans rappeler celui de la toilette tout aussi invitante de la station-service au coin de Papineau et Ontario. Un habile clin d’oeil.

Un habile coup de poing.

Un habile lancer de bouchon de REV dans la cuvette.

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Reste que pour voir la vraie couleur des toilettes du Funki, il faut activer le flash de son appareil photo. On y découvre alors un upside down aux étonnantes découvertes.

BOUFFE

Après une excursion de la sorte, la faim nous appelle. Se catégorisant de resto-bar sur sa devanture, le Funki offre trois menus plutôt ragoûtants.

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Désirant compléter notre repas, nous demandons à notre aimable serveuse de nous donner ses dépliants culinaires les plus populaires. Le resto-déli Jimmy’s et son festival de pâtes de grosses portions nous titillent.

Nous saluons également ce restaurant qui prend les plaintes sur son compte iCloud.

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Finalement, nous nous rabattons sur le restaurant Chez la mère pour un pizza-ghetti et une assiette de souvlaki, qu’on ne finira par ne jamais déguster, car le serveur n’a jamais trouvé la place.

CLIENTÈLE

Curieusement, les clients sont peu nombreux en cette soi-disant soirée hip-hop. Quelques individus louches avec des vestes Headrush entrent et sortent constamment, d’autres viennent retirer de l’argent dans la machine ATM pour mieux le perdre dans les machines à sous… À part de ça, il y a un enfant qui vient porter un sac Econofitness à la serveuse sur le bord de la fenêtre.

Aussi, notre laveur de vitres retontit en début de soirée pour venir pogner ses gants de Motocross qui trainaient sur le bord du bar. Quelques minutes après, il revient avec des paquets d’agrumes et un sac de chips au bacon, qu’il partage à un autre gars qui porte un manteau Headrush. Assoiffé, il se sert un verre à même la pompe de ginger ale et se rend en arrière pour compter du cash.

Plus tard, un couple à l’allure déglingué se pointe à la machine ATM en mangeant des chips. Dehors, un gars passe avec une Carling et un Coke dans la main, tandis qu’un homme rasé au crâne luisant se tape le poing dans la paume. «Y’a encore le mongole avec son gun à plomb là-bas», nous apprend ensuite notre laveur de vitres après une petite visite à l’extérieur.

Bref, les péripéties sont typiquement hochelagaises.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Évidemment, les cartes de débit et de crédit ne servent à rien au Funki Munki. Ici, c’est l’argent comptant qui règne, et le guichet ATM aux frais qui approchent les 4 piasses nous fait un beau sourire pour nous rappeler que toute est ben correct de même.

Signe d’une dérive technologique éhontée, les machines à loterie vidéo sont maintenant équipées d’une fente à chargeur USB.

BILAN DE L’ÉVALUATION

Notablement ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Bilan de l’évaluation : 75/100

BONUS : De la brique en masse en backup (+1)

Quelque chose de brisé (+1)

Un boutte de bois qui traine (+1)

Un boutte de bois qui tient le lavabo (+1)

Un long papier de toilette qui pend du plafond (+1)

Une autre affaire décrissée (+1)

Un sac qui traine dans l’espace lounge (+1)

Un menu Illico circa 2006 (+1)

Un autocollant du métro de Montréal (-1)

Quelqu’un qui a fessé sur la table de pool (+1)

Perdre 5$ dans Homards en folie (-5)

Note finale : 78 %

Classement

Gaspé Broue et Funki Munki : 78 %

La Chic Régal : 76,5 %

La Remise : 71%

Bar 99 : 61 %

VV Taverna : 49 %

Idéation et photos : Olivier Boisvert-Magnen, Divan Viril et Dany Gallant.