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La taverne du mois : Bar des chums

Excursion des plus mémorables dans ce haut lieu de Rouyn-Noranda.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Auparavant repaire de beuverie entre hommes, en raison d’une loi de Maurice Duplessis qui y interdisait l’accès aux femmes, la mythique taverne québécoise est maintenant considérée comme un lieu plus ou moins salubre dans lequel il fait bon se retrouver pour ingurgiter quelques bocks glacés. Bien au-delà de ce qui la différencie au sens légal d’une brasserie ou d’un bar, la taverne se définit officieusement par son incroyable capacité à figer le passé dans tout ce qu’il a de plus miraculeux : des prix dérisoires, des tables collantes et, surtout, des affiches de bières désuètes en guise de décoration.

Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson avec le Bar des chums, contrée emblématique de Rouyn-Noranda.

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AMBIANCE

Après avoir nagé un petit 12-13 km dans le lac Osisko, on arpente l’avenue Carter avec le pas fébrile. C’est que, dans quelques instants, on remettra les pieds dans le temple alcoolisé le plus convoité de Noranda : le puissant Bar des chums. Les adeptes du FME pourront vous confirmer que c’est ici que les géants norandiens et les mélomanes des centres urbains se regroupent l’espace d’un festival pour y trinquer jusqu’aux petites heures du matin à grands coups de grosses pas trop chères.

À quelques décimètres du jardin sacré, nous sommes éperdument heureux de voir cette porte si emblématique se dresser devant nous. L’attente est enfin terminée.

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Avant la grande révélation, nous sommes titillés par l’agencement des affichettes promotionnelles soigneusement placées dans la fenêtre, notamment la plus basse qui marque par sa disposition antipode.

À noter aussi : les prouesses infographiques, qui sont très nombreuses.

En dedans, le calme provoque une sérénité. Si le bar s’annonce surpeuplé tous les soirs du FME, il a de quoi émouvoir par sa douceur et sa quiétude en plein jour.

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À peine assis, nous regardons avec attention le diaporama des chansons les plus jouées. Au passage, nous constatons avec stupéfaction qu’un album d’ABBA a déjà eu la même pochette qu’un disque live d’Éric Lapointe.

Mention à l’extincteur, soigneusement placé pour éteindre le jukebox au cas où quelqu’un enflammerait la piste de danse.

ALCOOL

Si plusieurs tavernes montréalaises semblent parfois prisonnières de leur entente de partenariat avec certains brasseurs, le Bar des chums, lui, mise plutôt sur une surabondance d’offres. Ici, les produits Labatt et Molson marchent main dans la main, et on peut aisément alterner les quilles de 50, de Black Label et d’Export

Comme quoi la paix dans le monde est possible.

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Nous sommes également heureux de voir qu’au-delà de ce menu de bières on ne peut plus diversifié, le bar n’a pas succombé au luxe de la tendance urbaine en mettant au menu des breuvages trop complexes, sucrés ou mondains. Seule l’inclusion de la Smirnoff et du Breezer fait ici fausse note.

Par-dessus tout, on apprécie le fait que l’établissement ne serve pas de drinks à plus de deux ingrédients.

PRIX DÉRISOIRE

À 6,25 $ en plein jour, le prix de certaines grosses quilles de choix a de quoi faire pâlir la concurrence.

Autrement, ce haut lieu de boisson se démarque de ses confrères taverniers québécois grâce à ses prix « avec orchestre ». Du pur génie.

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SERVICE

Rien à redire là-dessus. Malgré le fait qu’il faut s’approcher d’elle et lui répéter une ou quelques fois notre commande, notre serveuse témoigne d’une vitesse exemplaire et, surtout, d’une bonne humeur à tout casser, réussissant l’exploit de déboucher une grosse après l’autre sans jamais perdre le fil de ses pertinentes conversations avec les accoudés du bar. Et comme si ce n’était pas assez, notre serveuse nous sert verre glacé sur verre glacé.

Dur de demander mieux.

DÉCORATION/MOBILIER

D’emblée, c’est l’immense estrade qui vole la vedette aux Chums. Du double kit d’éclairages aux grosses caisses de résonance, en passant par le gear de son abrié et la clôture métallique qui sépare les kings des spectateurs, cette scène sobre, mais efficace a tout ce qu’il faut pour faire lever un party.

De quoi rendre jalouse la gang qui a mis 13 ans à construire une scène et une promenade de fontaines dans le Quartier des spectacles.

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Cette scène de rêve prend tout son sens les vendredis et samedis lorsque le fameux orchestre résident envahit la salle avec ses hits de tous les instants. Placée tel un trône en plein milieu du bar, cette guitare honorifique commanditée par une bière qui goûte l’eau est d’une beauté sans nom.

Moins ostentatoires, les multiples affichettes qui ornent les murs du bar méritent qu’on les scrute à la loupe. Sur le frigo, celle-ci nous émeut passablement, car elle nous dévoile ENFIN l’identité de cet orchestre si renommé.

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Même dans nos rêves les plus fous, Nathalie et Sylvain n’auraient pas pu se trouver un meilleur sobriquet, aussi authentique et moderne à la fois.

Tous les recoins de la place deviennent des babillards au Bar des chums. À elle seule, cette promo si bien présentée nous donne envie de rester toute la semaine en ville.

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Certains commerçants prolifiques ont mis le paquet pour se faire voir dans le plus emblématique sanctuaire norandien. C’est le cas de Gerry et de Camden qui ont choisi de s’unir sur ce miroir impeccable rappelant le design de l’après-guerre.

Depuis la nuit des temps, les œuvres les plus marquantes ont toujours été celles qui ont été capables de relater avec finesse le contexte social dans lequel elles ont été créées. En ce sens, difficile de dresser un portrait plus saisissant d’un bar où l’on joue au pool qu’avec une peinture montrant quelqu’un qui joue au pool.

Les naturalistes du XIXe siècle auraient été fiers.

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D’autres éléments décoratifs viennent contribuer au degré d’authenticité de l’endroit, notamment les caisses de bière placées à la vue de tous sur le bord du bar…

…….et les drapeaux de la nation qui alimentent la fierté patriotique de la clientèle.

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Enfin, c’est surtout l’aménagement embroussaillé de toutes les constituantes de la taverne qui nous émoustille à chaque moment. En témoigne ce cliché où cohabitent notamment extincteur, chaises de salle d’attente, tour d’ordinateur, TV plasma, dessin presque louche et pancarte orange.

Voilà une fidèle représentation du chaos quotidien.

PROPRETÉ

Un seul coup d’œil vers le haut est nécessaire pour remarquer le niveau de propreté du Bar des chums. Sans être nécessairement répugnant, le plafond suspendu de l’établissement témoigne d’un vécu robuste qu’aucun produit nettoyant ne pourrait venir effacer.

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Même chose pour certains bouts de mur qui, derrière leur état lamentable, symbolise l’esprit d’un bar qui ne fera jamais de compromis sur son authenticité.

Moins tape-à-l’œil, le plancher passe un peu plus inaperçu, notamment en raison du nombre considérable de caisses de bières, de chaises et de tables qui s’y trouvent. À certains endroits, les proprios semblent même avoir pris la peine de placer n’importe quoi dessus, histoire qu’on se sente comme si on était dans le backstore.

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TOILETTES

En traversant la porte des toilettes, on se doute qu’on entre dans un nouveau monde.

Prolongement encore plus tumultueux du bar, le petit coin des hommes frappe d’emblée par ses trous au plafond, ses poings dans porte et son illusion de loquet de cabine.

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Ensuite, nous restons fascinés par la peinture décrissée et/ou apprêtée toute croche.

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Que dire aussi des surplus de selles et d’urine qui bonifient grandement notre séjour?

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Enfin, comment passer sous silence les nombreuses affiches promotionnelles au design de qualité, qui viennent maximiser l’expérience client?

BOUFFE

Rien de mieux qu’un périple dans un endroit aussi gracieux pour stimuler la faim qui, malgré l’abus de quilles à 6,25 $, se fait tenace. En sortant des toilettes, ce menu aussi lisible qu’un roman de Michel Brûlé nous ouvre davantage l’appétit.

En fouillant un peu, nous remarquons que ce menu très élaboré a été remplacé au fil du temps par des machines à friandises de qualité régionale, tels que celle du King du cachou.

« Affamés » malgré toutes ces offres alléchantes, nous apercevons finalement la lumière au bout du tunnel.

Sous la machine, c’est bar open côté assaisonnements.

CLIENTÈLE

Peu représentative de la faune locale lors des nuitées du FME, le Bar des chums sait toutefois garder sa pureté en plein jour. Coton ouaté Headrush, chandails de loup à manche longue, couteau sur le bord de la ceinture… Les looks du jour sont à couper le souffle.

De la grande terrasse jusqu’au bord du bar, les habitués de la place sont en pleine forme. « Tabarnak j’serais pas un bon waiter moé », lance à haute une voix un homme au pas instable qui tente tant bien que mal de se rendre à sa table avec ses trois shooters.

« Nicole a des poules chez eux. Tu devrais y voir les œufs, toé. Sont hauts d’même. Ça, c’est des œufs! » proclame un autre individu de bon augure quelques minutes plus tard. « L’autre fois, je lui ai demandé si elle était capable de faire un huit avec sa bouche… Ben quoi, une poule, c’est ben capable de faire un œuf avec son cul. »

Très populaire, le coin des machines marque par l’élan de solidarité qu’il crée au sein de la clientèle. Comme dans n’importe quel autre sport digne de ce nom, les joueurs de loterie vidéo méritent d’avoir des spectateurs.

RAPPORT À LA TECHNOLOGIE

Figé en 1972, le Bar des chums succombe toutefois à quelques excès modernes. Si on lui pardonne un nombre minimal de télévisions plasma accrochées ici et là, on ne peut en faire autant avec l’abus de caméras de surveillance qui, en quelque sorte, témoigne d’un manque de confiance du propriétaire envers sa clientèle. Or, c’est cette même confiance qui a permis l’épanouissement des relations chaleureuses entre les tenanciers et la classe ouvrière au courant des années 1960 et 1970, soit durant les décennies les plus marquantes de la taverne québécoise.

Bref, ces caméras marquent une rupture avec la tradition.

Autrement, on apprécie que l’établissement n’accepte que l’argent comptant comme moyen de transaction.

BILAN DE L’ÉVALUATION

Remarquablement ivres, nous prenons soin d’écrire sur une napkin le résultat de nos différentes observations. Pour chacun des 10 critères, la taverne bénéficie d’emblée d’un total de cinq points, auxquels sont ajoutés ou retirés des points en fonction des motifs précédemment évoqués.

Bilan de l’évaluation : 89/100

BONUS : Une interdiction de fumer sur la terrasse, mais pas en dedans (+1)

Deux calculatrices pour compter ses points aux dards (+2)

Un joueur de fléchette recherché (-1)

Faire la promotion de quelque chose de propre (-1)

Un plan d’évacuation décrissé (+1)

Une allégorie sur ce qui se vend aux toilettes (+1)

Note finale : 92 %

Classement

Bar des chums : 92 %

La Chic Régal : 76,5 %

La Remise : 71%

Bar 99 : 61 %

VV Taverna : 49 %

Idéation et/ou photos : Olivier Boisvert-Magnen, Divan Viril, Gabrielle HG, Antoine Bordeleau, Karine Richard et Nicolas Baillargeon.