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La résilience avec vue sur le fleuve
Pour souligner l’an un de la COVID-19 au Québec, URBANIA a entrepris un road trip à travers la province au volant d’une rutilante Matrix 2006 et avec une grosse pile de masques dans le coffre à gants. L’objectif? Raconter la pandémie de celles et ceux qui ont fait les manchettes aux côtés de ce virus et témoigner du quotidien des Québécois.e.s avec ce qui n’était pas « juste une grosse grippe » finalement.
SAINT-GERMAIN-DE-KAMOURASKA – Le fleuve s’étend, majestueux, sous une couverture de glace morcelée et mouvante. Au loin, on devine les montagnes de Charlevoix.
J’emprunte le rang de la Montagne où l’imposant cabouron sort de terre et surplombe les environs depuis l’époque glaciaire. Dans une belle vieille maison jetée en pâture aux vents, Maxime Ethier sirote son café près du poêle à bois.
Ce musicien lanaudois est venu s’installer en mars dernier – trois jours avant la fermeture des régions -, sans se douter qu’il se poserait indéfiniment dans ce coin de pays.
Pas à cause de la pandémie, même s’il admet qu’il fait bon vivre à un endroit où la COVID n’est qu’une lointaine rumeur venue des villes.
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« Le Bas-Saint-Laurent confirme trois nouveaux cas dans la région au cours des dernières 24 heures », soulignait-on justement à la radio un peu plus tôt.
Trois cas, aucun décès: une réalité à des années-lumière de celle de Montréal, à l’autre extrémité de la 20.
Et pourtant, les sacrifices demeurent, malgré quelques récents assouplissements en zone orange. Une situation qui agace plusieurs personnes interrogées.
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Mais pas Max, qui prend les choses avec philosophie…et son mal en patience. « On se fait parfois des apéros de voisins en sortant nos chaises berçantes dans la rue. On fait attention à nos distances», assure le jeune homme habitant avec sa colocataire Chantale.
Quelques personnalités québécoises habitent d’ailleurs leur rang, mais on va se garder une gêne de les name-dropper pour préserver leur intimité. Un seul indice: vino.
En jasant avec les « locaux », on découvre vite qu’un des principaux irritants de l’heure, ce n’est pas le virus, mais plutôt ces citadins qui – flairant la bonne affaire – traquent les propriétés abordables pour les convertir en Airbnb. Et comme l’été 2021 s’annonce pour être un copier-coller du dernier, ça peut devenir un projet très lucratif.
D’autres achètent sinon des maisons pour une bouchée de pain même s’ils ne descendent pratiquement jamais, privant d’un nid des familles du coin ou des gens désireux de contribuer à l’essor de la région.
« C’est très accueillant ici. Si t’as de quoi à offrir, si tu deviens un acteur de la culture locale », explique le musicien, qui a pour sa part démarré Mississippi sound system, un collectif de percussion populaire qui se produit un peu partout dans les parages. Grâce à une bourse, il compose aussi la musique d’un spectacle de cirque reporté après la pandémie.
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J’ai longé la route des navigateurs jusqu’à La Pocatière, qui avait fait les manchettes pour les mauvaises raisons en septembre dernier après une éclosion de COVID-19. En gros, les étudiants du Cégep et ceux de l ’Institut de technologie agroalimentaire (ITA) à côté avaient fêté fort la rentrée scolaire dans les bars et une douzaine de cas avait été répertoriée, forçant la suspension des cours.
«C’est dur de rester motivée, surtout quand on se compare aux autres cégeps.»
Plus de six mois plus tard, c’est toujours désert dans les couloirs du Cégep, malgré une reprise partielle des cours en classe. « C’est dur de rester motivée, surtout quand on se compare aux autres cégeps. Il y a plus de présentiel à Rivière-du-Loup », déplore Cyrilla Dumont-Cloutier, inscrite en première année en Santé animale. Elle se déplace pour quelques cours en laboratoire, mais l’essentiel se fait à distance. « J’ai pas eu de bal des finissants l’an dernier et c’est spécial comme début de cégep. J’étais pas là aux partys de début d’année. Une chance que j’ai trois colocs, je ne suis jamais seule au moins », se console l’étudiante.
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Un gardien posté à l’entrée du cégep s’assure que tout le monde se désinfecte les mains. Il ne fait pas de cas du fait que j’ai l’air plus vieux que les comédiens de Chambres en ville, qui allaient encore au cégep à mon âge.
Par les fenêtres du collège, on aperçoit le fleuve au bas de la côte. C’est sûrement la plus belle vue d’une école au monde, ex-aqueo avec L’ÉCOLE DE LA VIE.
Plus que celle que j’avais à Lionel-Groulx en tout cas, qui donnait sur le boulevard Curé-Labelle ou le bar HB.
Dans la cafétéria, trois finissants en Comptabilité/gestion encouragent Ronald McDonald’s en tentant de rétablir un peu la réputation de leur cégep suite au « party-de-la-rentrée-qui-dérape-gate».
En fait, ils rejettent surtout la faute sur l’établissement voisin, une stratégie éprouvée « C’était même pas à cause d’un party dans un bar, mais plutôt dans une maison privée. Et c’est un ancien de l’ITA qui l’avait (la COVID) et qui ne suivait pas trop les règles me semble », raconte Félix, nostalgique de la vie étudiante d’avant. « Ici d’habitude, c’est rempli (il pointe la cafétéria), même chose pour les bars les jeudis soirs, les matchs d’impro et ceux des Gaulois (l’équipe de football locale) », soupire cet employé de dépanneur, qui a besoin d’une autorisation pour rentrer après le couvre-feu, fixé ici à 21h30. « Si au moins tous les cours étaient en présence, j’aurais pas pensé autant lâcher le cégep », admet le jeune homme, qui terminera heureusement ses études collégiales dans quelques semaines.
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Dans le stationnement de l’ITA à un jet de pierre, l’enseignant de français/littérature Nicolas Fauteux grille une cigarette. Il relativise la saga des cas de COVID qui ont fait les manchettes en début d’année scolaire. « Les jeunes étaient contents de se voir. On est allés au cégep nous autres avec…», lance-t-il dans un sourire entendu.
«Ça n’a aucun sens d’enseigner à des pastilles sur Zoom»
« Les premières années ne savent même pas ce qu’ils manquent. Mais je vois plus d’anxiété et d’angoisse par contre », nuance l’enseignant, qui a lui-même décidé de reprendre les cours en classe (c’est à la discrétion des profs). « Ils demandent juste ça, les étudiants. Ils sont masqués, mais on le voit quand même dans leurs yeux s’ils ne comprennent pas. Ça n’a aucun sens d’enseigner à des pastilles sur Zoom », tranche Nicolas.
Les cloches de l’église en face résonnent. Douze coups. Le parking du carrefour est bien rempli. Une drôle de ville La Pocatière, où un gros silo à grains s’élève à environ 200 pieds d’un petit mail sur l’avenue Pilote. Le cinéma Scénario se prépare à ouvrir ses portes dans quelques heures, pour présenter AVEC DU POPCORN La Déesse des mouches à feu, Tom et Jerry et Wonder Woman 1984.
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Ça sonne triste comme la pluie, mais la vue du Subway avec plusieurs tables occupées, m’émeut. C’est la première fois que je vois des gens manger dans un restaurant depuis je ne sais plus quand.
Ça sonne triste comme la pluie, mais la vue du Subway avec plusieurs tables occupées, m’émeut.
Cette puff de normalité se prend bien, même si elle prend la forme d’un sandwich douze pouces avec un side de chips Lay’s.
« J’aimais mieux le orange d’avant que le orange actuel », illustre candidement Hélène Chénard, croisée en sortant de l’épicerie avec sa grosse commande. Cette dernière fait référence à l’interdiction de voir des proches, toujours en vigueur ici contrairement à avant les fêtes. « Mes enfants restent à Montréal et je ne peux pas voir mes parents. Je fais leur épicerie et je les dépose chez eux. Je rentre, je sors », raconte-t-elle résignée, ajoutant commencer à au moins voir la lumière au bout du tunnel.
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Avant de reprendre ma route, j’entre au café Azimut me chercher une boisson chaude qui ne goûte pas l’eau de vaisselle. C’est rare depuis le début de ce road trip, durant lequel j’ai arrêté trop souvent chez Tim Hortons. Plusieurs tables sont occupées ici aussi, près des fenêtres donnant sur la rue principale. « Ça marche bien. Je dois fermer ma cuisine à 20h30 à cause du couvre-feu », explique Julie, la propriétaire.
Je roule dans une carte postale pendant soixante kilomètres jusqu’à Rivière-du-Loup. Il fait soleil, plusieurs passants déambulent sur la rue Lafontaine. La chanson Insentitive de Jann Arden joue dehors grâce à un haut-parleur perché à une friperie voisine de la défunte brasserie Lafontaine.
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À l’angle de la rue Devost, je tombe sur une intervention policière, nécessitant la présence d’une ambulance et de deux autopatrouilles. J’approche pour écornifler. Une automobiliste aurait percuté une piétonne et deux voitures garées dans le stationnement me résume une employée énervée, dont le véhicule a été épargné de justesse. Un caméraman de TVA prend quelques images de la scène.
« Pis, la piétonne est correcte? On sait ce qui s’est passé?»
- – Aucune idée.
À travers la vitre du restaurant Taxi, je vois plusieurs dames âgées placoter dans la salle à manger. J’entre pour aller leur jaser, mais la serveuse me freine dans ma quête de vérité. « Tu viens d’une zone rouge et les madames ne voudraient pas te parler de toute façon », m’explique-t-elle sèchement.
Pfff, tu serais surprise du nombre de madames qui seraient prêtes à me parler ar ar ar. Je garde cette réplique du siècle dernier dans ma tête, me contentant de sortir avec une baboune.
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Pour ventiler ce rejet me rappelant ma période « Dungeon & dragon » à la polyvalente Saint-Eustache, je vais me payer un tour d’oreille au salon de coiffure La Garçonnière tout près, rue Amyot. J’ai pas de rendez-vous, mais j’ai un pas pire karma.
«En gros, les gens du coin sont tannés de payer pour les grandes villes»
L’affable Bruno a justement une place qui vient de se libérer ET un nœud papillon en bois. « En gros, les gens du coin sont tannés de payer pour les grandes villes », résume Bruno pour décrire le mood ambiant après presque un an de pandémie. En trimant ma barbe, il ajoute que le climat de délation est parfois lourd dans certains villages où tout le monde se connaît.
« Tiens, comme neuf, ça fait vraiment changement ! », s’exclame Bruno à mon sujet en retirant mon tablier comme s’il dévoilait une oeuvre d’art.
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En sortant avec un nouveau look, mais la même personnalité attachante, je profite du soleil couchant pour faire quelques photos à la sortie de la Ville, sur le chemin de Cacouna. Je tombe sur un endroit magique nommé « Noël au château », dont la cour arrière donne directement sur le fleuve.
Je repars avec un nouvel objectif de vie: habiter là un jour avec une Louperivoise grivoise que j’appellerais « madame la baronne» dans l’intimité.
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Il me reste un dernier arrêt au Centre culturel Berger, quelques heures avant la représentation d’un premier show en trois dimensions depuis quelques mois. C’est l’humoriste Pierre-Yves Roy-Desmarais – dont l’identité n’est qu’un long nom composé – qui brise la glace.
Son spectacle affiche complet. « On a 250 places au lieu des 1000 disponibles de la salle, on ferme une rangée sur deux et on laisse trois bancs libres de chaque côté. Le port du masque est obligatoire pour toute la représentation », résume Manon la gérante de salle. « Il n’y aura pas d’autographe ni de photo à la fin, puisque les artistes proviennent souvent des zones rouges », ajoute Manon, fébrile de voir la culture recommencer à vivre.
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Il fait noir lorsque je retourne à mon logis de voyageur.
À la radio, deux gars évoquent avec beaucoup trop d’enthousiasme le goût succulent des pilons de canard et des burgers au poulet d’un restaurant de la rue Fraser.
Une fois à destination, personne ne remarque mon nouveau look.
Une bonne raison de me sauver en Gaspésie demain matin.