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La poutine de Jagmeet Singh

Entrevue à saveur de patate douce avec le chef du NPD.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Au début de la campagne électorale, nous avons proposé aux chefs des principaux partis fédéraux de les recevoir en entrevue. Le chef du NPD Jagmeet Singh est le premier à accepter l’invitation.

L’entrevue était au départ prévue « en présentiel », profitant du passage du chef du NPD dans un parc montréalais.

Jagmeet Singh y rencontrait ses troupes, en plus de leur servir sa, apparemment, délicieuse poutine punjabi à bord d’un food truck personnalisé. « Tu auras environ quinze minutes tout seul avec lui à ce moment! », m’avait vendu son attachée de presse Nina.

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Comme la politique est un festival d’imprévus ne nécessitant aucun code QR – particulièrement en campagne électorale – on m’annonce à la dernière minute que mon entretien se déroulera finalement au téléphone.

Par contre, l’opération poutine aura toujours lieu en après-midi et pas question de rater ça.

Mais d’abord l’entrevue, je garde la poutine pour le dessert.

« J’adore la campagne, ça va bien, on s’amuse, on parle avec les gens! », résume d’emblée le chef néo-démocrate, à qui j’avais parlé il y a quelques mois, en pleine campagne de séduction dans la Belle province.

Deux semaines après le début de la campagne, Jagmeet Singh ne cesse de courailler d’un océan à l’autre, déterminé à déloger les libéraux de Justin Trudeau et ainsi devenir le 24e premier ministre de l’histoire du plusse meilleur pays au monde. « J’ai visité six provinces à date, dont trois en une seule journée. Ce sont des journées chargées, mais je suis en pleine forme! », lance-t-il avec aplomb, même s’il admet être un brin jet-lag après un vol Colombie-Britannique-Québec la veille.

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Sur le terrain, Jagmeet Singh dit entendre beaucoup de témoignages de frustration au sujet de l’administration en place. « Les gens trouvent que c’est une mauvaise décision de Justin Trudeau de déclencher présentement des élections et sont frustrés de ces belles promesses. Je pense qu’ils préfèrent un gouvernement où les libéraux n’ont pas la majorité », analyse le chef du NPD, plus ou moins objectif dans le débat.

N’empêche que ce snoro de Justin Trudeau a plongé le pays en élections dans le but d’aller chercher sa majorité. Le hic, c’est qu’il risque de s’autopeluredebananiser si on se fie aux récents sondages faisant état d’une montée des conservateurs, au Québec comme ailleurs au Canada. Quant au NPD, les candidat.e.s devront ramer le vent dans la face pour convaincre les électeur.trice.s du pays de leur confier le pouvoir, eux qui n’ont récolté que 24 sièges aux dernières élections, dont un seul au Québec.

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Disons qu’on est loin de la vague orange de 2011, surtout avec le Bloc qui a repris du poil de la bête aux dernières élections, passant de 10 à 32 sièges. « On ne pense pas que c’était le bon moment d’aller en élections, on aurait préféré attendre deux ans comme prévu, mais on est prêts à proposer une autre alternative aux Canadiens », assure Jagmeet Singh.

Côté promesses électorales, le chef du NPD s’est engagé ces derniers jours à construire des logements sociaux, enrayer les paradis fiscaux et éliminer les intérêts pour les prêts étudiants.

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Des mesures en phase avec les valeurs de sa formation, sans oublier l’environnement, principal cheval de bataille néo-démocrate. « Les jeunes sont tellement inquiets de ce qui se passe. On est prêt à se battre contre les gros pollueurs et leur faire payer leur juste part. Les libéraux ont fait le minimum et on veut montrer aux Québécois qu’avec le NPD, vous aurez des gens de votre bord, qui travaillent pour vous », affirme Jagmeet Singh.

Pour regagner le cœur des Québécois.e.s, le chef du NPD mise sur la qualité des candidat.e.s qui font campagne au Québec, notamment Ève Péclet (ex-députée de la circonscription de La Pointe-de-l’Île entre 2011-2015, qui se présente cette fois-ci dans Outremont), Nima Machouf (Laurier-Sainte-Marie), Catheryn Roy-Goyette (Hochelaga), Alexandre Boulerice (Rosemont-Petite-Patrie) sans oublier Ruth Ellen Brosseau qui tente de nouveau sa chance dans Berthier-Maskinongé. « On a un plan pour montrer aux Québécois que nous sommes là pour les familles, que c’est nous qui avons contribué à faire augmenter le montant de la PCU (de 1000 à 2000$ par mois) », se targue M. Singh.

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Ce dernier s’est gardé de lancer des tomates au Bloc, qui a pourtant repris plusieurs comtés remportés par les néo-démocrates en 2011. « Le Bloc n’a pas le même but que nous, c’est-à-dire faire fonctionner un gouvernement fédéral », tranche-t-il simplement.

Dix ans après la mort de Jack Layton, le chef du NPD estime que son héritage demeure palpable et que son parti est loin d’avoir dit son dernier mot. « Je vais toujours m’inspirer de cet homme qui se battait pour les gens avec le sourire », promet Jagmeet Singh.

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Poutine, point de presse et pep talk

Après l’entrevue, je fonce en vélo au parc Raymond-Préfontaine, où Jagmeet Singh – également en direction – est attendu pour servir sa poutine punjabi.

Un nid-de-poule a retardé l’événement, le temps de remorquer le véhicule et de remplacer une roue. Grosse journée pour l’équipe néo-démocrate qui a aussi eu à dealer avec un monsieur fâché à la fin de leur rassemblement.

Sur place, le food truck orange arbore le visage du chef néo-démocrate et les ingrédients de sa poutine sont placardés sur la carrosserie.

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Plusieurs militants, sympathisants, badauds, candidat.e.s et journalistes attendent Jagmeet Singh.

Tout le monde est masqué, je le réalise seulement quand un genre de caméraman du parti vient me demander de porter le mien. « Sinon je ne pourrai pas utiliser mes shots », plaide-t-il en me regardant avec dédain comme si j’étais Steeve « L’Artiss » Charland.

J’enfile mon masque en bougonnant pendant que le chef du NPD se pointe sous les applaudissements, accompagné par sa conjointe Gurkiran Kaur Sidhu.

Le député de RPP Alexandre Boulerice (le mien, accessoirement) l’accueille chaleureusement devant le food truck. « On ne veut pas que tu deviennes chef, on veut que tu deviennes premier ministre! », badine-t-il, pendant que Jagmeet distribue les coups de coude amicaux par-ci par-là.

Le politicien tout vêtu de noir et portant son kirpan à la ceinture s’installe ensuite devant un micro sur le gazon pour improviser un point de presse. Une voiture passe derrière en klaxonnant, ce qui génère les applaudissements nourris de la petite foule de sympathisant.e.s, des jeunes surtout.

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Un journaliste de Radio-Canada demande à M. Singh s’il est nerveux à quelques heures du premier débat présenté à TVA mais surtout comment il pense regagner les sièges perdus au Québec.

Plusieurs questions tournent autour de cette idée de reconquérir le Québec, dans les deux langues officielles. « Les gens ont appris à me connaître », répond Jagmeet Singh avec confiance, lorsqu’on lui demande pourquoi ses affaires marcheraient plus aujourd’hui qu’il y a deux ans.

Pendant que Jagmeet Singh distribue quelques taloches aux libéraux de Justin Trudeau, Gurkiran Kaur Sidhu fait des stories de l’événement à côté de moi.

Elle me raconte être enceinte de six mois et que sa grossesse se passe à merveille. « J’adore faire campagne, jusqu’ici ce n’est pas trop difficile et je suis capable », explique-t-elle, mentionnant avoir trouvé plus tough la récente canicule au Québec.

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Je dois avoir l’air louche avec mon chandail à motifs et mon cahier Hibou, parce qu’un membre de l’équipe du NPD vient me demander qui je suis. « UN GARDIEN DU QUATRIÈME POUVOIR!», que je beugle en majuscules pour le faire partir, avec succès.

Après le point de presse, Jagmeet Singh rend justice à son slogan de campagne en improvisant en direct sur Instagram un cri de ralliement sur l’air de «olé olé olé », l’hymne du soccer ou des spectacles des Cowboys Fringants circa 2005.

Oser, oser, oser, oser!

enseeeeemble….enseeeemble

Enfin, vous voyez.

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Jagmeet Singh grimpe enfin dans son food truck personnalisé pour son stunt de poutine. Une petite foule d’affamé.e.s s’agglutine autour, les bras tendus. J’en suis. Je n’ai aucun scrupule quand j’ai faim, si bien que je bump un jeune père avec son nourrisson.

En attendant mon tour, je prends des nouvelles de mon député Alexandre Boulerice. « Ça se passe super bien, le feedback est bon. Les gens sont contents aussi de retrouver Ruth (Ellen Brosseau) », résume l’irréductible Gaulois québécois du NPD, qui ne tient rien pour acquis en marge de sa cinquième campagne électorale. « Je suis toujours prudent, j’ai déjà battu un député qui était très confiant dans le passé », souligne-t-il avec humilité, au sujet de son prédécesseur, l’ancien bloquiste Bernard Bigras.

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Je le quitte en lui promettant de voter pour lui s’il ramène le buffet Casa Corfu.

À quelques pieds, Jagmeet Singh distribue des poutines et des selfies à la chaîne, avec l’aide de sa conjointe. Beau travail d’équipe, le couple est sérieusement craquant à voir. L’odeur de la friture me chatouille les narines.

À moi de goûter à la chose. Je me fraye un chemin vers la fenêtre du food truck avec la fougue de mes 17 ans au show d’Our Lady Peace au Metropolis.

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J’ai tellement faim que je suis prêt à échanger une poutine contre mon vote. Jagmeet me tend sa spécialité de couleur orange.

Je lui demande deux fourchettes et un égoportrait pour la route.

Deux fourchettes parce que j’ai croisé sur place le collègue Mathieu Charlebois derrière le truculent site Vas-tu finir ton assiette, avec sa camarade Caroline Décoste.

Professionnel jusqu’au bout des ongles vernis, Mathieu est venu tester la nouvelle poutine démocratique pour un article. Son verdict: un peu fade et pas assez épicé.

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Je me garde pour ma part de juger le mets, faute d’expertise en la matière. Il faut dire que ma conception d’un souper de riche n’exclut pas Au Vieux Duluth ou le Paccini.

Mathieu Charlebois: expert goûteur.
Mathieu Charlebois: expert goûteur.

Et puis de toute façon, je ne veux pas scraper ma relation avec Jagmeet Singh, le seul qui accepte de m’accorder une entrevue à ce jour.

Yves-François? Justin? Erin? Faites-moi signe, la balle est dans votre camp.

Je vous paye une poutine à l’endroit de votre choix, avec ou sans patate douce.