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La nouvelle terreur de « Black Mirror » : notre soif d’authenticité
Lentement mais sûrement, la télé redevient l’ennemie publique numéro un dans l’imaginaire collectif.
Déchue depuis longtemps de son titre peu enviable par l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, la télévision a bénéficié pendant de nombreuses années d’un changement de paradigme dramatique. Depuis la première de Oz en 1997, la perception du médium est passée de « perte de temps dangereuse pour l’âme » à « lieu de rassemblement où on découvre ensemble les histoires les mieux racontées dans la culture populaire ».
Sauf que ce n’est plus le cas depuis quelques années. Les séries se suivent et se ressemblent. On regarde pour le principe de regarder. On se remet à regarder la télé pour les mêmes raisons que dans les années 1990 : parce qu’on ne trouve rien de mieux à faire.
S’il existe une série farouchement inimitable et consciente de notre relation problématique avec la technologie, c’est Black Mirror. Aujourd’hui, j’ai le bonheur de vous annoncer que le bébé de l’auteur Charlie Brooker est de retour pour une sixième saison et que le premier épisode traite de cette obsession commune dont on semble profondément incapable de se débarrasser en tant que société : la télévision (ou plus précisément, le contenu!)
Cette maudite authenticité
Le premier épisode de la saison 6 de Black Mirror s’intitule Joan is Awful et met en scène l’histoire d’une femme qui découvre l’existence d’une émission Netflix (renommée Streamberry pour l’occasion) basée sur sa vie où Salma Hayek l’interprète.
Loin d’être flatteuse, la série met en lumière ses exacts faits et gestes au courant de la journée, notamment le congédiement d’une employée et une séance de petits bisous imprévus avec un ex-copain qui lui coûtent son emploi et sa relation après seulement un épisode. Humiliée et terrifiée, Joanne (jouée par Annie Murphy de Kevin Can F*ck Himself) se met à agir de façon extravagante afin de convaincre Salma Hayek de mettre un terme à la série.
Joan is Awful ne déçoit pas. Lors de chaque saison de Black Mirror, on se demande jusqu’à quel point Charlie Brooker peut approfondir le sujet de notre rapport problématique à la technologie. Et chaque fois, il nous surprend avec un nouvel angle à la fois pertinent et avant-gardiste. Ici, il est question d’authenticité. Celle qu’on recherche dans nos contacts interpersonnels et notre divertissement.
Sans révéler quoi que ce soit à propos de l’épisode, Brooker y pose habilement la question: est-ce qu’on dénature la promesse d’authenticité lorsqu’on la met à vendre? Lorsque Joan se rend compte qu’elle est devenue la star d’une émission entièrement générée par ordinateur, elle se met à agir dans le but de provoquer et pousser les limites du médium au lieu d’agir normalement. Avons-nous réellement soif d’authenticité ou souffrons-nous d’une forme de voyeurisme qui se nourrit de misère humaine?
C’est profond, c’est déprimant, ça fait paniquer un peu. Bref, c’est Black Mirror. Les questions changent, mais l’esprit de la série culte demeure le même!
Vie, mort et séries true crime
L’histoire ne révélera probablement jamais si Charlie Brooker avait averti Netflix (seul diffuseur de Black Mirror depuis la saison 3) qu’il allait les critiquer dans sa nouvelle saison, mais il n’y va pas de main morte.
Tout d’abord à travers le personnage de Mona Javadi, la présidente du service de visionnement en ligne Streamberry, une bureaucrate carnassière et ultracompétitive qui prend des décisions en fonction des analyses de marché plutôt que dans une optique créative. À la fois glauque et réaliste, elle fait écho au triomphalisme technologique aveugle de Silicon Valley qui franchit sans arrière-pensées les limites éthiques au nom de l’offre et la demande. Le fondateur de Netflix, Reed Hastings, a dû la rire jaune. Il a dû trouver ça brillant, mais la rire jaune néanmoins. Un peu comme tout le monde devant un épisode de Black Mirror, quoi.
Cette satire acerbe est tout aussi présente dans le deuxième épisode de la saison Loch Henry, pendant lequel on se demande en quoi au juste est-ce un épisode de Black Mirror, jusqu’à la toute fin où Streamberry revient à l’écran.
Loch Henry met en scène un couple étudiant Américano-Écossais qui planifie tourner un documentaire true crime sur un tueur en série quasi inconnu. C’est en creusant le dossier auprès des gens du village qu’ils finiront par vivre leur propre série true crime. Un peu comme dans n’importe quel film d’horreur au fond, à la différence près que les victimes de Michael Myers ne finissent pas vedette de leur propre série Netflix. Vous voyez où je veux en venir.
Le deuxième épisode de la saison met de l’avant la commodification de tragédies pour satisfaire les besoins croissants de consommation en ligne. La déshumanisation et la réappropriation d’épreuves personnelles à des fins pécuniaires. On est davantage dans l’univers du réalisateur d’horreur Eli Roth que dans celui de Charlie Brooker pendant les 50 premières minutes de l’épisode, mais on en ressort tout de même avec cette aigreur envers nos propres comportements.Allez, je ne vous en dis pas plus sur la sixième saison de Black Mirror, c’est arrivé sur Netflix hier matin. C’est tout nouveau, tout beau. C’est plus douloureux que jamais, parce que la série pointe plus que jamais le doigt vers l’écran.