L’offre télévisuelle m’emmerde un peu depuis quelques années.
C’était inévitable que ça se produise. Une révolution culturelle comme l’a connu le milieu au tournant du millénaire est presque toujours suivie par une inondation du marché par des produits de qualité moindre. Les Mad Men, Breaking Bad et The Wire de ce monde ont créé un nouveau besoin et c’est certain qu’une série de réalisateurs de talents variables allaient essayer de le combler. Ça fonctionne comme ça, le capitalisme dans une économie d’attention.
Vous aussi, vous avez le goût d’une proposition radicalement différente? J’en ai une pour vous.
La comédie américaine Kevin Can F*ck Himself est passée complètement inaperçue de notre côté de la frontière pour plein de raisons, toutes plus mauvaises les unes que les autres. Le concept est un peu difficile à comprendre. C’est distribué sur AMC+ (il faut s’abonner à Amazon Prime Video et à AMC+ pour y avoir accès). Il n’y a pas d’acteurs connus qui y jouent.
Le titre vous intrigue par contre, hein? Avouez-le.
J’ai le plaisir de vous annoncer qu’en attendant le premier épisode de The Idol ce dimanche, vous pouvez regarder l’entièreté de Kevin Can F*ck Himself avec seulement un abonnement à Amazon Prime Video et que c’est aussi bon, peut-être même meilleur que ce que le titre laisse entrevoir!
Petit cours de patriarcat 101 (mais l’fun là)
Kevin Can F*ck Himself, c’est deux séries à l’intérieur d’une seule. Lorsque le personnage titulaire est à l’écran, c’est une comédie de situation tournée à plusieurs caméras, avec un éclairage de plateau et des rires en cannes. Dès qu’il quitte la pièce, ça devient une drame filmé avec une caméra à l’épaule. Pensez aux films de David Fincher.
Pour rendre ça moins abstrait, voici ce que ça donne en présence de Kevin :
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Et en l’absence de Kevin :
La série raconte l’histoire de sa femme, Allison, la blonde bienveillante quoiqu’un peu excédée par son chum. C’est une femme au bout du rouleau, détruite par le narcissime du tyran infantile qui contrôle sa vie dès qu’il quitte l’écran. Lorsqu’une ancienne flamme revient en ville pour ouvrir un commerce, elle commence à entretenir l’idée de se débarrasser de ce mari inutile et encombrant qui semble incapable d’aimer.
Mais si elle le laisse, elle n’a plus d’existence à elle-même. Si elle le tue, son propre contexte de vie prend alors le dessus. La série fait un point très théorique avec les envies meurtrières d’Allison, mais l’exprime de façon pragmatique et souvent amusante, si vous aimez l’humour sec et grinçant des frères Coen.
Le patriarcat (ou la société patriarcale), c’est un concept un brin abstrait lorsque ça nous profite.
Mis à part l’impact émotionnel de changements d’esthétiques drastiques d’une scène à l’autre (ça ne rate d’ailleurs jamais, on ne s’y habitue pas), Kevin Can F*ck Himself est une série d’exception lorsque vient le temps d’expliquer le patriarcat aux bros comme moi. Elle dresse un portrait franc et dur, mais jamais moralisateur.
Le patriarcat (ou la société patriarcale), c’est un concept un brin abstrait lorsque ça nous profite. Ce que Kevin Can F*ck Himself illustre si bien, c’est que pour qu’une personne puisse vivre dans une désinvolture et une irresponsabilité quasi-complètes comme le fait Kevin, ça prend plusieurs personnes pour le soutenir et le torcher. En l’occurrence sa blonde, parce que tous les autres hommes autour de lui sont tout aussi désinvoltes et irresponsables.
Vous commencez à comprendre? Le format anachronique de la comédie de situation dépeint la puérilité de Kevin comme quelque chose de charmant et d’inoffensif, mais dès que le format dramatique prend place, cette perspective est questionnée et tout s’écroule. Tout ce qui s’y passe vient à informer notre perception de Kevin par la suite. Le poids de son narcissisme devient alors palpable. Si ça a l’air complètement sauté, c’est parce que ça l’est, mais Kevin Can F*ck Himself est une série avec du cœur qui explore l’iniquité dans ses plus fines nuances.
Relativisme 201 ou la tyrannie du point de vue
Une autre qualité intrinsèque à Kevin Can F*ck Himself, c’est son usage du relativisme radical. Avec ses lectures quasi-instantanées et aux antipodes des mêmes situations qui se passent réellement, elle détruit complètement la notion d’absolu.
En refusant obstinément de se déconstruire et de réfléchir sur les conséquences de ses agissements, Kevin rend Allison esclave de ses moindres caprices
Bien sûr, l’autrice de Kevin Can F*ck Himself, Valerie Armstrong, n’a pas inventé le relativisme moral. La forme contemporaine de cette idée découle de l’héritage du philosophe français Jacques Derrida qui affirmait qu’une signification attribuée à un texte en opprimait nécessairement toujours une autre. Oui, c’est un peu abstrait dit comme ça, mais le génie de la série de Valerie Armstrong, c’est d’avoir démocratisé cette idée et de l’avoir rendu séduisante.
En refusant obstinément de se déconstruire et de réfléchir sur les conséquences de ses agissements, Kevin rend Allison esclave de ses moindres caprices. Elle est constamment entourée de ses amis à lui, il prend des décisions unilatérales pour leur couple, invalide ses désirs et on ne s’en rendrait jamais compte si Kevin Can F*ck Himself ne levait pas la voile plusieurs fois par épisode sur la pression psychologique que Kevin exerce sur sa femme.
AMC+ offre un essai de trente jours gratuit via Amazon Prime Video au Canada. Profitez-en donc pour vous claquer l’entièreté de Kevin Can F*ck Himself. Vous me remercierez après!