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Télé-Pandémie: Oz, la série dont personne n’est le héros

La révolution télévisuelle du XXIe siècle a réellement débuté en 1997.

Par
Benoît Lelièvre
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Il fut une époque (avant la commercialisation d’internet) où la télé était la source de distraction majeure dans la maison. L’industrie avait moins besoin de se fendre en quatre pour nous garder intéressés : c’est facile de s’accrocher à Virginie quand il n’y a pas d’autres options.

Ce n’est plus du tout la même game aujourd’hui. Les auteurs et créateurs importants en tout genre sont presque tous au petit écran. Bien que la plupart des gens imputent ce changement de paradigme à la série The Sopranos, il s’agit de la deuxième création d’HBO à sortir des sentiers battus. Les aventures du mafieux banlieusard Tony Soprano n’auraient jamais été possibles si ça n’avait pas été d’une série largement oubliée aujourd’hui: Oz.

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La série dont personne n’est le héros

Oz, c’est l’histoire du pénitencier fictif d’Oswald State et plus particulièrement de l’unité expérimentale Emerald City, où vivent en nombre égal les membres de différentes factions. On y fait la promotion de la responsabilité personnelle et de la réhabilitation. En tout cas… théoriquement.

C’est aussi une série sans personnage principal dans le sens classique du terme. Aucun des détenus n’est là par erreur et aucun administrateur n’est à 100% vertueux.

Ce qui est génial avec Oz, c’est que chaque personnage est le reflet de différentes valeurs. Donc, personne n’aura exactement la même lecture des épisodes. Par exemple:

– Les idéalistes qui se lancent corps et âmes dans des projets qui finissent par prendre trop de place dans leur vie s’attacheront à l’administrateur d’Emerald City Tim McManus.

– Les introvertis avec des problèmes d’estime d’eux-mêmes s’attacheront à l’ex-avocat Tobias Beecher, qui essaie désespérément de garder son âme en prison.

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– Les personnes qui passent trop de temps à se blâmer et qui rêvent de nouveaux départs auront l’imam Kareem Saïd pour assouvir leur besoin dévorant de changement.

Vous voyez où je veux en venir. Non seulement les personnages d’Oz sont tous imparfaits, mais il sont aussi le reflet de nos imperfections. Ça rend le visionnement inconfortable, mais ça offre une expérience qui nous prend aux tripes. Les crimes commis par les personnages nous dégoûtent, mais on souhaite secrètement que celui qui nous interpelle le plus trouve une issue matérielle et existentielle aux circonstances qui l’ont fait aboutir dans une cellule d’Oz.

Ce n’est peut-être pas aussi raffiné dans le ton qu’un Breaking Bad ou un Justified, mais l’expression littérale et violente de tourments psychologiques qui nous habitent un peu tous à différents degrés est extrêmement confrontante.

L’illusion de la morale

Un autre aspect d’Oz que je trouve personnellement très cool, c’est qu’on y explore ce que le monde aurait l’air sans les idées suivantes: 1) on doit être une bonne personne 2) il faut respecter la loi, sinon on va aller en prison. Bref, les deux choses que le commun des mortels s’efforce de faire jour après jour.

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Le créateur d’Oz Tom Fontana raconte d’ailleurs au réputé critique Alan Sepinwall dans le livre de ce dernier The Revolution Was Televised, que c’était pas mal son idée de départ: « J’envoyais des criminels en prison chaque semaine dans ma série précédente Homicide: Life on the Street, » dit-il. « Personne ne se demande jamais ce qui se passe avec eux après. C’était à propos de ça que je voulais écrire. »

Ce sont des gens qui sont justement punis selon les règles de notre société, mais aussi déshumanisés et privés de raisons de vouloir se réhabiliter.

On y voit des hommes privés de l’identité qu’ils avaient cultivée en société, d’espoir et pour certains, de toute forme de futur. Ce sont des gens qui sont justement punis selon les règles de notre société, mais aussi déshumanisés par des décisions institutionnelles et privés de raisons de vouloir se réhabiliter. Tout ce qui leur reste, c’est le pouvoir qu’ils peuvent exercer sur leur prochain.

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En psychologie, on appelle ce que vivent les prisonniers d’Oz le self-fulfilling prophecy, c’est en quelque sorte l’idée voulant que lorsqu’on traite certaines personnes d’une certaine façon, elles deviennent exactement comme l’idée qu’on se fait d’elles. Par exemple, si on décide d’enfermer tous les criminels ensemble ad vitam aeternam parce qu’ils sont trop brutaux et pas assez humains pour vivre en société, ils deviendront encore plus brutaux et inhumains parce que c’est tout ce qui leur reste.

Les résidents d’Oswald State Correctional Facility se rassemblent en clans qui n’ont rien d’autre à faire de leurs journées que de s’antagoniser et s’éliminer l’un l’autre. C’est du tribalisme à l’état pur.

Au-delà de son écriture bien ficelée et de son honnêteté brutale, Oz pose une question morale particulièrement intéressante: que doit-on faire avec nos criminels endurcis?

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Au-delà de son écriture bien ficelée et de son honnêteté brutale, Oz pose une question morale particulièrement intéressante: que doit-on faire avec nos criminels endurcis? Oui, il faut protéger la société. Mais est-ce qu’on doit arrêter de se soucier du futur des prisonniers? Ont-ils carrément droit à un futur?

Comme toute série télévisée de qualité supérieure, Oz n’offre pas de réponse toute faite. Elle amorce plutôt une réflexion dans l’esprit de son audience. Elle sonde nos valeurs en explorant les répercussions de problèmes systémiques auxquels on pense peu ou pas. En nous donnant des exemples fictifs des répercussions des règles de notre société, elle nous oblige à penser un peu plus avec notre coeur.

C’est pour cette raison que je vous encourage à regarder Oz pendant ce confinement. Il y a six saisons, 56 épisodes et de profonds questionnements. Soyez toutefois avertis : si la violence extrême ou les comportements autodestructeurs vous posent problème, on en trouve à la pelletée dans cette série.

L’intégrale d’Oz est disponible sur Crave.

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