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La grande vie (le retour)

Aller voir ailleurs pour se retrouver.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Encore nous.

Oui oui, la même famille nucléaire de type qu’on pourrait auditionner pour des annonces de céréales qui avait tout sacré là il y a quatre ans pour cause de « solide crise de la quarantaine », avant d’aller faire tourner des ballons sur son nez en Asie durant sept mois.

Peut-être que mon quasi-trépas auto-encastré dans une table en vitre lors d’une brosse indonésienne de cabochon vous sonne une cloche? J’ai même ventilé l’affaire avec moult détails à Bruno Blanchet dans son balado.

Bref, au terme de ce long périple, j’étais devenu une sorte de philosophe (influence de l’Inde et du bouddhisme). J’avais décrété que ce que j’avais surtout gagné avec ce voyage, (parce que j’avais perdu beaucoup d’argent) c’était du temps.

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Du temps en famille, plus rare qu’on ne le pense dans ce ROLLER COASTER SAUVAGE NOMMÉ « VIE ».

Je cite narcissiquement la chute de ma toute dernière chronique.

« Ma blonde et mes enfants ne le savent pas encore, mais avant de sortir de l’aéroport, où ma mère nous attendra comme si on était les Beatles aux États en 1964, je vais les prendre à part comme dans un caucus de football juste pour leur dire que je vais m’ennuyer pour le restant de mes jours de ce que nous avons été, les sept derniers mois. »

« Awwww », soupirez-vous ici intérieurement, un sourire niais plaqué au visage.

Mais voilà que le temps – encore lui – a vite fait de montrer une facette plus sombre. Son ultime côté obscur : l’oubli.

En quelques semaines seulement, le train-train du quotidien nous ramenait dans son sillage, avec une taloche en arrière de la tête.

– Ok, vous avez eu votre fun, mais ça suffit les hippies! Hop hop, à l’école! Awaye à shop!

Résultat : le temps de crier « routine , nous étions revenus au point de départ de notre vie d’avant. Ma blonde, Martine, comme prof à l’école du quartier (donc pas vraiment un travail, plutôt du gardiennage d’enfants) et moi comme chasseur d’histoires chez URBANIA (où faire éclater la vérité et avancer la société un reportage à la fois est ma mission sacrée).

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Les enfants ont repris le chemin de l’école. La petite, Simone, à celle du coin (la même que sa mère = favoritisme) et mon grand, Victor, à la polyvalente.

Et comme si on s’était tous pas assez vus comme ça, la pandémie est venue fucker le chien pour nous confiner en famille. Au lieu de jouer à Uno ou fabriquer notre pain en soupant avec la visite sur Zoom, tout le monde s’est un peu isolé, chacun dans son espace.

Moi, dans le travail (sous mes allures nonchalantes se cache un fieffé workaholic) et mes enfants, dans leurs espaces, aspirés par leur écran. Ma blonde, elle, s’est startée une PME de boucles d’oreilles avec un nom de tenancière de donjon BDSM pour échapper à la dépression et dans l’espoir de devenir la nouvelle Caroline Néron (moins les millions de dollars en dettes).

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La pandémie a fini par finir et cette distance entre nous s’est encore creusée. Après notre voyage et le confinement, je pensais avoir perdu mon légendaire FOMO, mais voilà que j’écumais les karaokés, 5 à 7, lancements de livres, salons, congrès ou autres activités connexes. J’en étais réduit à croiser mes enfants après l’école, sinon les fins de semaine, hangover.

Se retrouvant du jour au lendemain dans la secte de l’adolescence, mon fils – jusqu’à tout récemment affectueux avec une voix hélium – passait dès lors sa vie dans sa chambre, entre autres à dessiner.

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S’il était capable à huit ans de réciter en ordre alphabétique tous les noms des dinosaures, même les compliqués (elasmosaure, spinosaure, leptoceratops), son vocabulaire se limitait désormais à un seul mot : normal.

-Pis ta journée?

-Normal-euh (voix en mutation avec un accent montréalais).

– Pis la vie?

-Normal-euh.

Tout le contraire de ma fille constamment à courir la galipote dans la ruelle avec ses amies. C’était cute au début d’avoir des temps libres les fins de semaine, mais on s’ennuie à la longue d’avoir enfanté quelqu’un qui a un entourage semblable à Kendall Jenner.

Quant à ma blonde, elle consacre tout son temps libre à vendre des sapins pour l’école, écumer les ventes artisanales dans des micro-brasseries louches, siéger sur des comités de parents et autres activités bénévoles lui conférant le titre de « Che Guevara de Rosemont-Est ».

Sérieux la mairie locale, recrutez-moi ça.

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Tout ça pour dire qu’un soir sur notre balcon, autour d’un feu de propane de douchebag (meilleur achat pandémique avec une machine à karaoké qui fait de la lumière), j’ai réalisé que je n’avais pas vu ma famille ou presque depuis notre dernier voyage. Sinon juste en surface.

-Et si on repartait?, ai-je proposé à ma blonde avec ma tisane de quadragénaire assumé.

-Go!, a répondu la principale intéressée, encore plus bohème que Jorane en 1996.

Et si on repartait?

C’est comme ça que le projet est né. Dans ma tête, en tout cas.

Pendant que mon voisin McSween vend la retraite à 45 ans, on se garroche dans cette nouvelle aventure faite de paysages andins, de nouvelles rencontres et de non-cotisation de CELI.

On met donc le cap en Amérique du Sud pour six mois, soit en Colombie, au Chili, en Argentine, en Uruguay, au Brésil, en Bolivie et au Pérou. On devait au départ amorcer tout ça en cochonnant le Machu Picchu comme tout le monde, mais comme le Pérou est à feu et à sang, on a remis ça à plus tard.

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Nous avons donc opté pour la Colombie, clairement le nouveau Portugal si je me fie à mon fil Facebook. Les billets d’avion ne coûtent pas cher, le tourisme a repris et paraît que c’est safe depuis que les FARC ont cessé de pratiquer le kidnapping.

Confession : je n’ai jamais vraiment ressenti « l’appel » pour l’Amérique du Sud. Sauf un voyage quasi organisé en Équateur (on était genre sept-huit ami.e.s) et une virée ratée en Argentine (mon chum s’est ramassé trois semaines aux soins intensifs après s’être étouffé en mangeant un steak, true story), j’ai jamais mis les pieds sur le continent.

M’être écouté, je serais retourné en Asie, où le coup de foudre a été immédiat. Mais tant qu’à vivre la version Wish du dernier voyage, aussi bien se télécharger des expériences neuves en famille.

Je m’attends donc à vivre l’effet Arlette, oui oui le film de Marilou Wolf avec Maripier Morin que j’ai écouté dans l’avion. Je m’attendais tellement à de la marde que j’ai finalement passé un agréable moment.

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Bon, du calme, rien en comparaison avec le grandiose Confession de Luc Picard, que j’ai aussi écouté durant le vol Montréal-Bogota.

Aussi, il fallait vendre une vocation académique pour justifier le retrait des enfants des bancs d’école pour un autre six mois. Apprendre l’espagnol se qualifiait. Comme la dernière fois, c’est Martine qui hérite de cette charge mentale (elle est prof, faut rappeler). Mais comme Victor est au secondaire, il devra aussi se gérer par lui-même, après avoir reçu ses travaux à faire au préalable. La pandémie aura eu ça de bon; les élèves peuvent se débrouiller à distance grâce à la magie de l’Internet. Je reviendrai plus tard sur la portion école du voyage, je sais que vous avez des questions.

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Pour le reste, les semaines précédant le départ ont été bizarres. Pour tout le monde. Martine quittait sa classe en plein milieu de l’année scolaire la mort dans l’âme, Victor, sa chambre, et Simone pleurait souvent tellement elle ne voulait pas quitter ses précieuses amies.

Moi, j’avais du mal à me projeter dans le voyage et à être fébrile, tant on avait à faire avant de partir.

Il y a notamment eu un ménage de fond en comble de notre manoir rosemontois (incluant le nettoyage des tiroirs dans le frigo rempli de jus de légumes pourris) pour mettre ça beau pour notre sympathique locataire, une amie de ma jeune collègue chouchou Maudé.

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Bon, « sympathique » c’est vite dit puisqu’elle a failli faire une crise cardiaque en voyant mon pauvre chat Yoda, aussi attachant qu’inoffensif.

-C’est que j’ai jamais eu ça, un chat…

-Ok, mais c’est pas compliqué, tsé.

-S’il reste, possible que j’aille le porter dans le quartier chinois ni vu ni connu…

Bonjour les préjugés… enfin, par respect, je vais préserver l’anonymat de cette malheureuse, dont le prénom commence par « Clau » et se termine par « Dia ».

Par prudence, on a relocalisé notre pauvre chat au deuxième étage, chez mes parents, des gens qui ont un cœur qui bat.

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Enfin, après une tournée d’adieux digne de celle d’Offenbach, il était temps de partir, pour cesser de nuire à mon nouveau titre de porte-parole de la sobriété au Québec.

Hugo Meunier < Hugo Molinero

Alors, nous voilà depuis maintenant trois jours à Bogota.

On a réservé six nuits dans un Airbnb typique de La Candelaria, le quartier historique à saveur coloniale, situé à un jet de pierre de la place Bolivar. J’ai l’impression de chercher mon souffle encore, pas habitué à l’altitude.

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Faut dire que la capitale est perchée à 2 640 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui en fait la troisième plus haute capitale au monde, après La Paz et Quito (merci Wiki, je vais te faire un don encore cette année).

La ville, immense, s’étend à l’ombre de la colline de Monserrate sur laquelle on peut visiter un sanctuaire en empruntant un téléphérique. La vue là-haut est à couper le souffle. Littéralement.

On habite proche du Sanctuaire Notre-Dame-des-Carmes, où les gens convergeaient il y a quelques jours à l’occasion du mercredi des Cendres (marquant le début du carême) et se faisaient barbouiller une croix dans le front pour copier Mark Wahlberg.

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On explore donc la ville avant de se diriger vers Salento, notre prochaine destination. Rien n’a été réservé encore; on fait ça au fur et à mesure pour se garder le droit de prendre le premier avion pour Bangkok à tout moment.

Parce qu’il ne fait pas chaud ici, 15-20 au soleil, mais le soir, on gèle pas pire sur notre balcon. Moins que chez vous, ok, et j’ai déjà un coup de soleil de gigon.

On renoue sinon avec l’art presque perdu de ne rien faire (allo Dany!). Déambuler en ville, éviter les pièges à cons, manger des patentes exotiques, découvrir des trucs hors de l’ordinaire (les kiosques d’Obleas en hommage à Mick Jagger qui aurait trippé sur ces pâtisseries locales), flâner, se retrouver.

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Parce que c’est ça, le véritable but du voyage : se retrouver tous les quatre, une dernière fois. Après ça, mon gars voudra sûrement collectionner de nouveaux souvenirs avec des gens de son âge. Déjà que j’ai vécu hier soir mon baptême de me faire accoster pour de la dope avec lui, un beau moment père-fils.

Coke? weed?

Pas de panique les grand-mamans, on a dit non. Pour cette fois.

Mais je suis convaincu que cette deuxième aventure sera aussi différente qu’importante. Déjà, je pense avoir passé plus de temps avec mes enfants dans les derniers jours que dans la dernière année.

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Juste Simone qui est plus difficile à aller chercher, à l’aube de l’adolescence. Elle roule déjà des yeux quand j’ouvre la bouche.

Côté espagnol, je me débrouille. Les gens sont gentils, semblent heureux de voir une petite famille dépenser de l’argent (1 $ canadien = 3 600 pesos) dans leur beau pays. Ils s’intéressent aussi à notre culture, très au fait de l’actualité québécoise.

-Si, perro sin Mama…

-¿¡¿Sin MAMA?!?

-Exacto.

-¿¡¿Pero, cómo es esto posible?!?

-Nadie lo sabe…

En fait, mon espagnol est tellement potable que j’insiste désormais – inspiré par le chanteur Jérôme Couture – pour me faire appeler « Hugo Molinero ». C’est dit.

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Bon, je vous laisse pour aller faire le plein de nouvelles choses à vous raconter ici, sur une base hebdomadaire.

D’ici là, je vais certes m’ennuyer un peu de vous, de la fondue chinoise, du Normandie et de la SQDC.

J’écris ces lignes étendu sur mon lit avec une vue sur le sanctuaire noyé dans les nuages de la colline. Ma famille est au rez-de-chaussée en train de faire l’école. Une dernière fois avant la relâche.

Je vais les attendre dehors devant la porte en lisant l’excellent Just kids de Patti Smith – un cadeau de départ de mon amie Gab – et en riant dans ma barbe en regardant les gens marcher en pente en face de moi.

Et peu importe si j’ai pu de job en revenant ou si je fais du facing au Métro jusqu’à la fin de mes jours pour rembourser tout ça, je ne changerais de place avec personne au monde (sauf Eddie Vedder).

Hasta la proxima.

PS : vous pouvez aussi me suivre sur Instagram et sur TikTok.