Logo

24 points de suture pour survivre

La fois oĂč Hugo Meunier a failli mourir en IndonĂ©sie.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Nous sommes une famille montrĂ©alaise plutĂŽt sympathique, ayant dĂ©cidĂ© de tout sacrer lĂ  pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois. Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement dĂ©crĂ©tĂ© que ce projet supplantait en importance tous les autres. Voici le rĂ©cit de notre voyage.

J’ai failli mourir.

Pour de vrai lĂ , pas pour te troller comme le font les sites qui parlent du monde des stars, en ressortant une publication FB random dans laquelle je rĂ©vĂšle avoir failli mourir de peur lors de mon premier saut en parachute en tandem avec Vincent Lemay-Thivierge (Guillaume n’était pas dispo). Nenon, la vraie de vraie mort, stupide et banale comme un dĂ©but d’épisode de Six Feet Under.

Rassurez-vous, je vais bien, malgrĂ© mes 24 points de suture et une cicatrice que je vais conserver toute ma vie comme Harry Potter, un autre miraculĂ© de la vie. Contrairement Ă  lui, je n’ai pas survĂ©cu Ă  une attaque badass de Voldemort, mais plutĂŽt Ă  une chute niaiseuse dans une table Ă  cafĂ© vitrĂ©e.

Publicité

Comme cette histoire me fait moins bien paraĂźtre que Kurt Russell dans Pompiers en alerte, j’ai sĂ©rieusement envisagĂ© de la garder pour moi. Ma mĂšre aurait apprĂ©ciĂ© d’ailleurs, toujours soucieuse de prĂ©server ma rĂ©putation. Mais bon, je me suis engagĂ© Ă  faire preuve d’une transparence totale dans ces chroniques et ça serait paradoxal de censurer le seul bout oĂč il y a de l’action.

Et puis, si moi j’ai l’air d’un gros Ă©pais dans cette mĂ©saventure, d’autres s’illustrent par leur bravoure et j’aimerais profiter des millions d’abonnĂ©s d’URBANIA pour leur rendre hommage.

À une personne surtout.

J’y arrive, soyez patient.

*ATTENTION, le contenu suivant peut ĂȘtre difficile Ă  lire.

L’«incident» remonte Ă  une dizaine de jours. Nous Ă©tions toujours aux Ăźles Gili, cette fois avec Gitane et Rock, nos amis aux prĂ©noms rappelant ceux du house band d’un resto-bar de Waterloo.

Publicité

«Allez pisser, allez fumer une tope, parce que dans une couple de menutes, on remet ça avec le deuxiÚme set de Gitaaaaane eeeeeet ROCK!»

En voyage pour un mois, ils nous accompagnaient dans la derniÚre étape de notre séjour indonésien.

Nos retrouvailles avaient démarré sur des chapeaux de roues : une bonne virée à Bali, du snorkeling avec des tortues, puis des jours heureux à Gili, véritable paradis terrestre.

Puis, un soir, aprÚs une soirée passablement festive, les choses se sont corsées*.

*Petit apartĂ© pour souligner que si ces chroniques dĂ©crivent souvent ce voyage comme Woodstock en Beauce, dĂ©trompez-vous. Mes moments de quiĂ©tude familiale constituent l’essentiel de nos aventures, mais s’avĂšrent moins flamboyants que mes niaiseries en boisson. En gros, tout est ta faute, exigeant lectorat, puisque je vis d’excĂšs seulement pour te donner une lecture captivante. Bonne chance pour dealer avec ta conscience.

Publicité

On s’enfilait donc des Bintang dans la bonne humeur sur la terrasse de notre guesthouse, pendant qu’Aznavour s’époumonait dans mon petit speaker portatif.

Emmenez-moi au pays des merveilles!

Il me semble que la misÚre, serait moins pénible au soleil!

À jamais, ces paroles seront associĂ©es Ă  ce qui allait suivre. Au milieu d’une chorĂ©graphie plutĂŽt honnĂȘte, j’ai soulevĂ© Gitane sur mon Ă©paule pour lui faire profiter de ma tristement cĂ©lĂšbre toupie malĂ©fique.

Publicité

AprĂšs avoir dĂ©posĂ© mon amie au sol indemne, j’ai titubĂ© vers l’arriĂšre puis


CRAC!

J’ai perdu pied pour m’encastrer dans la table vitrĂ©e, celle qu’on avait soigneusement poussĂ©e au fond de la terrasse pour Ă©viter de se blesser en improvisant notre plancher de danse.

CRAC!

L’énorme fracas a rĂ©veillĂ© Martine, qui dormait avec les enfants. D’abord fĂąchĂ©e, son visage s’est dĂ©crispĂ© en me voyant.

Deux morceaux de vitre d’au moins 40 centimĂštres pouces me transperçaient le corps, sur le flanc droit. J’étais sur mes jambes, fouille-moi comment, l’adrĂ©naline assurĂ©ment.

J’ai figĂ©. Mon regard a ensuite rencontrĂ© celui de Gitane. Il Ă©tait blanc et Ă  ce moment que j’ai compris que c’était grave. J’ai lu la peur sur son visage.

«Mon pĂšre est mort durant notre voyage de rĂȘve en famille en s’autopoignardant sur une table Ă  cafĂ© vitrĂ©e aprĂšs avoir dansĂ© en gigon sur du Aznavour »

Publicité

À ma gauche, Martine s’affairait Ă  circonscrire les enfants dans la chambre, pour les empĂȘcher d’assister au spectacle de leur gĂ©niteur empalĂ©. À ma droite, il y avait Gitane, qui ne savait pas trop quoi faire et me flattait comme si j’étais un chiot.

Par chance, il y avait Rock. Infirmier auxiliaire depuis quinze ans, dont cinq au CUSM de MontrĂ©al. Il a aussitĂŽt pris les choses en main. Jusqu’alors passif dans le sofa, il a automatiquement quittĂ© le «mode veille» pour voler Ă  mon secours.

Il s’est prĂ©cipitĂ© sur moi, en m’ordonnant de ne pas toucher Ă  la vitre qui me sortait du corps. Le sang coulait abondamment et on ne savait toujours pas si un organe vital Ă©tait touchĂ©.

Jamais je ne pourrais dĂ©crire la sensation qui a suivi, celle des morceaux de vitre en train de glisser simultanĂ©ment tout seuls hors de moi pour s’écraser au sol, suivant les lois de la gravitĂ©.

C’est lĂ  que j’ai eu la chienne. Rock m’a ordonnĂ© de ne pas bouger avant de dĂ©camper en trombe je ne sais oĂč.

Publicité

Je n’avais pas l’intention d’aller nulle part. Martine et Gitane tentaient de me rĂ©conforter en masquant leur propre traumatisme, sans trop de succĂšs.

J’allais crever bĂȘtement ici, comme ça, j’en Ă©tais sĂ»r. Tu parles d’une mort glorieuse toi.

– «Moi, mon pĂšre est mort en dĂ©fendant son pays, pour la libertĂ©!»

– «Moi, le mien est mort durant notre voyage de rĂȘve en famille en s’autopoignardant sur une table Ă  cafĂ© vitrĂ©e aprĂšs avoir dansĂ© en gigon sur du Aznavour »

Le plus drĂŽle quand on pense mourir, c’est qu’on ne pense justement Ă  rien. AprĂšs coup, je me dis que j’aurais dĂ» serrer mes enfants dans mes bras, leur dire de finir leur secondaire au moins. Dire Ă  ma blonde que je l’aime. Comme amie surtout.

Mais non. Rien. J’étais juste figĂ© lĂ , en silence, comme quand quelque chose de mĂ©chant te pourchasse dans un cauchemar et que t’es incapable de bouger.

Rock est revenu avec une partie du village. On m’a Ă©tendu sur une brouette avec la consigne de tenir fermement une serviette en tapon contre ma plaie.

Publicité

Les rues de Gili sont faites de terre, de trous et de roches. Mon corps meurtri a ressenti chaque seconde de ce voyage mĂ©diĂ©val jusqu’à la clinique.

Plusieurs dĂ©tails de l’accident demeurent Ă  ce jour assez flous, mais on m’a racontĂ©. J’ai ainsi su que Martine Ă©tait restĂ©e avec les enfants et que Gitane me faisait parler pour Ă©viter que je perde connaissance. J’étais livide, parait-il. Je me lamentais aussi.

Rock, lui, avait dĂ©cidĂ© que je n’allais pas mourir cette nuit-lĂ . Il me l’a promis mĂȘme. Il prenait tellement sa mission au sĂ©rieux qu’il a dĂ©foncĂ© d’un coup de pied la porte vitrĂ©e de la clinique en voyant que personne ne rĂ©pondait.

Publicité

Le mĂ©decin de garde s’est rĂ©veillĂ© en sursaut. Des gens sont venus l’aider, pas vraiment des infirmiers. Rock gĂ©rait les opĂ©rations comme le contremaĂźtre d’un chantier important. Au-dessus du tumulte, je l’entendais aboyer des consignes.

«We need a blood test, now! Check the vitals signs!», ordonnait-il au jeune médecin, dont les mains tremblaient en entreprenant mes points de suture. Il y en aura 24 au total, sans compter une dizaine de piqures pour me geler.

Dans l’état oĂč j’étais, il aurait pu me faire ses points Ă  frette. J’essayais mĂȘme de fumer une cigarette pendant l’intervention, un privilĂšge refusĂ©.

Publicité

À ma dĂ©fense, j’étais sĂ»r que je mourais drette lĂ  sur la table et je voulais au moins en fumer une derniĂšre.

C’est en dĂ©grisant que j’ai mesurĂ© l’ampleur de l’affaire. Ma chance inouĂŻe surtout.

Être baquet m’a sauvĂ© la vie.

«T’es vraiment le gars le plus mardeux que je connaisse», m’a rĂ©sumĂ© Rock, qui en a pourtant vu d’autres. Il n’avait pas quittĂ© mon chevet de la nuit. Aucun organe vital n’a Ă©tĂ© touchĂ©. Les morceaux de vitre se sont miraculeusement frayĂ© un chemin entre le foie, le rein et les intestins, pour s’immobiliser dans mon bourrelet. Morale : ĂȘtre baquet m’a sauvĂ© la vie.

Aucune chance que je commence le jogging cette année.

Mieux, le mĂ©decin m’a donnĂ© dix jours d’antibiotiques avant de me donner congĂ©, alors qu’on Ă©tait tous certains quelques heures plus tĂŽt que j’allais devoir ĂȘtre hĂ©liportĂ© je ne sais oĂč et que ce voyage se terminait de la pire des maniĂšres.

Publicité

Avant de quitter la clinique au petit matin, on a quand mĂȘme dĂ» subir l’extorsion de celui qui se proclamait le mĂ©decin-chef, un barbu fanatique qui nous faisait feeler cheap d’avoir fait la fĂȘte avec enthousiasme.

Il exigeait 5000$ pour sa bĂątarde de porte.

Le hic, c’est qu’il avait le bon bout du bĂąton, en nous menaçant d’appeler les policiers si on ne payait pas la somme demandĂ©e.

Disons qu’on n’avait pas envie pantoute de mĂȘler les forces de l’ordre Ă  cette histoire.

On a finalement dealé ça à 1000$. Belle estie de dépense inutile dans un budget serré de fin de voyage.

Mince consolation : ça aurait pu ĂȘtre pire. Bien pire. Si la vitre m’avait transpercĂ© quelques centimĂštres plus loin, je rentrais Ă  MontrĂ©al dans la soute de l’avion.

Les jours suivants, j’ai feelĂ© doux. J’étais fatiguĂ© au moindre effort et j’ai dormi beaucoup. J’ai paranoĂŻĂ© aussi, que quelqu’un d’autre profite de la situation pour m’extorquer plus d’argent.

Publicité

On a quittĂ© Gili dĂšs que j’ai repris du mieux en direction d’Ubud, oĂč nous avons Ă©coulĂ© nos derniers jours en IndonĂ©sie.

Mon pansement doit ĂȘtre changĂ© aux deux jours et mĂȘme si la plaie ressemble au visage du PrĂ©dateur quand il enlĂšve son masque, Rock m’assure que tout cicatrise parfaitement. Un mĂ©decin est mĂȘme venu dans ma chambre d’hĂŽtel s’assurer qu’il n’y avait pas d’infection.

Une idée de Rock, qui souhaitait un deuxiÚme avis, puisque le jeune doc de Gili ne lui inspirait pas suffisamment confiance.

Publicité

Ubud, avec sa verdure luxuriante et ses riziÚres, offrait le cadre idéal pour nous remettre de nos émotions.

Enfin presque, puisque deux jours plus tard, Gitane s’est fait cambrioler dans la forĂȘt des singes. Un primate a grimpĂ© dessus, deux fois plutĂŽt qu’une, pour dĂ©zipper une poche de son sac Ă  dos puis dĂ©guerpir avec son portefeuille.

Le voleur a trouvĂ© refuge dans un arbre, d’oĂč il a ensuite ouvert le portefeuille. Le singe a finalement vidĂ© la totalitĂ© du contenu au sol, en rĂ©alisant qu’il n’y avait rien de comestible. Une autre histoire qui finissait bien.

Publicité

Lorsque Rock et moi avons Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s par un policier zĂ©lĂ© deux jours plus tard pour avoir roulĂ© du mauvais bord dans un sens unique, j’ai compris qu’il fallait que je quitte l’IndonĂ©sie au plus sacrant.

J’écris donc ces lignes d’un Starbucks de Kuala Lumpur, Ă  la veille de notre dĂ©part au Japon. On a jusqu’ici Ă©vitĂ© les Starbucks, mais l’heure est grave et il ne se passe justement jamais rien d’excitant dans un Starbucks, Ă  part le retour du lattĂ© Ă  la citrouille en octobre.

Aujourd’hui encore, j’ai du mal Ă  savoir si j’ai Ă©tĂ© vraiment chanceux ou terriblement malchanceux ces derniers temps.

Je sais que j’ai Ă©tĂ© trĂšs con, ça sera au moins ça de gagnĂ©.

Aujourd’hui encore, j’ai du mal Ă  savoir si j’ai Ă©tĂ© vraiment chanceux ou terriblement malchanceux ces derniers temps.

Publicité

Con d’avoir imposĂ© ce stress Ă  ma famille. À Martine, qui voit encore des flashbacks de mon corps ensanglantĂ©. Aux enfants, surtout Victor qui m’avait mĂȘme demandĂ© de baisser le son de ma musique quelques minutes avant l’accident.

Ils savaient que leur pĂšre n’est pas parfait. Ils ont une preuve supplĂ©mentaire.

J’ose espĂ©rer que je vais tirer une leçon de tout ça, profiter de la seconde chance que la vie m’offre, m’assagir un peu, qui sait. Je ne suis probablement pas programmĂ© pour vivre centenaire, mais je rĂ©alise que ça aurait Ă©tĂ© dĂ©cevant rare de finir de mĂȘme, avant mĂȘme d’avoir ma propre page WikipĂ©dia en plus.

Publicité

Je crois que j’aurais essayĂ© de ressusciter juste pour pouvoir me trouver cave.

D’un naturel optimiste, j’aurais au moins dĂ©couvert Ă  travers tout ça Ă  quel point je suis bien entourĂ©. Martine et Gitane ont Ă©tĂ© d’un support indĂ©fectible, mais c’est surtout Rock qui s’est illustrĂ© par son courage.

Je ne sais pas si sa boss lit URBANIA, mais il mérite une augmentation. En tout cas, les patients du CUSM peuvent dormir tranquilles et ça donne presque envie de tomber malade quand on pense que la plupart des infirmiÚres-ers sont comme lui.

Non, les héros ne portent pas tous des capes, parfois ils ont des barbes louches et sont dans un état semi-végétatif dans le sofa.

Mais c’est quand ça compte vraiment qu’ils se rĂ©vĂšlent et sauvent des vies.

Merci encore, man.