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Gagner du temps

Enfiler son pantalon à zip pour la dernière fois.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Nous sommes une famille montréalaise plutôt sympathique, ayant décidé de tout sacrer là pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois. Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement décrété que ce projet supplantait en importance tous les autres. Voici le récit de notre voyage.

Voilà c’est la fin.

À l’heure où vous lirez ces lignes, nous serons revenus dans notre manoir rosemontois, après un périple de 210 jours, 60 300 kilomètres, quinze vols, treize tubes de pâte à dents, douze cahiers de dessins, onze pays, dix fées des dents, huit visites de proches, sept gastros, un accident quasi-mortel, mais surtout un nombre incalculable de coups de coeur (awwww).

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Tout juste avant de rentrer, on s’est offert une étrange parenthèse mexicaine. Rien de mieux que passer deux semaines parmi de gros colons vulgaires avec des tattoos cheap à Cancun pour se réoccidentaliser.

J’exagère.

En vérité, on a loué une casa magnifique à Puerto Morelos, un village de pêcheurs vierge de succursales Starbucks, qui n’a pas encore été défiguré par le tourisme de masse. Si l’endroit était un être humain, il serait Garou qui chantait du blues dans les bars juste avant de sortir l’album Seul.

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Ce côté authentique fait de tacos bon marché, de sargasses et de chiens errants a d’ailleurs contribué à rendre cette escale inoubliable, alors qu’on se trouvait au départ juste très drôles d’écouler nos derniers jours au royaume des « tout inclus », après six mois et demi en Asie.

Rendons ici hommage à mon amie Karine (featuring ses enfants Isak et Émile), à l’origine de ce projet de cabochons. Ce dernier a finalement pris son sens en réalisant qu’un vol Osaka-Cancun était aussi aligné qu’une ride de bateau Stockholm et New York pour une militante écologique.

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Après un très long vol, qui incluait quelques heures aux Philippines et une nuit à L.A – où malgré un bronzage tenace nous n’avons été atteints par AUCUN projectile – nous avons enfin pu profiter de la canicule mexicaine.

En plus de Karine et sa descendance, nous avons aussi bu des Dos Equis avec Karyne (#Saint-Eustache) et son chum Seb, d’autres amis en visite.

C’est donc au son des fous rires aussi complices que dans La Vie, la vie, et le cœur aussi léger que le coude, que nous avons conclu ce périple dont les premiers balbutiements commencent déjà à s’évaporer, comme dans les photos de famille de Back to the Future.

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Une chance qu’il y avait une table en vitre au milieu de la terrasse de notre villa mexicaine pour nous rappeler certaines mésaventures.

Cinq semaines déjà que je suis un survivant, un miraculé de la vie, LE JÉSUS DE ROSEMONT!

D’ailleurs, ma traversée du désert est enfin terminée et j’ai pu renouer avec la baignade, histoire de boucler ce voyage comme nous l’avons amorcé : dans l’eau salée.

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Comme la malchance n’a pas besoin de visa, elle nous a suivis ici, où des mers d’algues défigurent la presque totalité des plages des environs. Du jamais vu depuis l’époque Maya, nous disent les locaux.

« Es más espantosa que un álbum de Jacques Villeneuve! », ont-ils ajouté, même, avant d’aller faire la siesta.

Résultat : le littoral sent un peu le fond de chaloupe et si on décide malgré tout de s’aventurer dans la mer, il faut surmonter l’impression de marcher sur le corps d’Alien 3 avant d’atteindre un fond marin acceptable.

Rien pour nous empêcher d’être proactifs. On s’est donc baigné dans un cénote, on a nagé avec des douchebags à Isla Mujeres, fait du snorkeling dans les Caraïbes (beau!) en plus d’avoir déprimé à la vue de masques de luchadores aux couleurs des Canadiens de Montréal à Playa del Carmen.

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Le soir venu, on se régalait dans les bouis-bouis du village, où nous avions nos habitudes. On s’amusait aussi à regarder Karine essayer de se débarrasser de Julio, l’employé responsable de la salubrité de notre piscine qui lui confiait se masturber beaucoup depuis que son couple est à la dérive. Karine, une magnifique célibataire, n’a pas été revue depuis.

RECHERCHÉE

Tout ça pour dire que le temps de crier « NACHO SEÑORITA POR FAVOR » et avant même d’avoir fini de roter notre dernière soupe Ramen japonaise, il fallait plier bagage.

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Ma blonde, une nostalgique chronique, braille depuis une semaine aux cinq minutes en fixant l’horizon. Moi je garde évidemment toutes mes émotions en dedans, depuis que mon père m’a dit un jour à Saint-Eustache : « Un petit gars, ça pleure JAMAIS, même pas en coupant des oignons! »

Au moins les enfants sont contents. Très même. Victor a amorcé il y a quelques semaines déjà un décompte encore plus fatigant que celui qui précédait « Le 12 août, j’achète un livre québécois ».

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Simone a la chiasse depuis trois jours. On ne se bat même plus pour leur enlever leurs foutus écrans. Victor joue à Fortnite à distance avec ses cousins, comme si les sept derniers mois n’avaient jamais existé.

  • « Rem, Alexis, venez dans mon groupe, j’ai fait douze kills tantôt. »

Martine se demande où elle ira enseigner dans quelques semaines et moi aussi je commence déjà à noircir mon agenda.

Au pire, si je ne trouve rien, j’ai réfléchi hier à deux projets vraiment excitants et – je crois – assez lucratifs. Le premier consiste en l’ouverture d’un kiosque de sacs portatifs nommé « Sacdebanana Republic » pendant Osheaga. Sinon, il y a toujours mon vieux rêve de partir un magasin d’aliments vendus au poids avec Mahée Paiement et de l’appeler « Vrac et bottine ».

Comme tu vois, je ne manque pas de projets.

On niaise on niaise, mais je trouve ça quand même weird de rentrer. Ben oui, je suis ce gars-là qui camoufle ses véritables émotions derrière LE PARAVENT DE L’HUMOUR.

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Si j’ouvrais la champlure un peu, je dirais qu’en plus d’être l’expérience la plus formidable de ma vie, ce voyage nous a d’abord permis de gagner du temps.

Du temps en famille, à quatre, que je vais toujours me féliciter d’avoir pris. De savants calculs m’ont permis d’estimer avoir passé environ seize heures par jour (je leur ai enlevé huit heures de sommeil) avec mes enfants pendant 210 jours, pour un total de 3360 heures en 28 semaines.

Dans ma vie « normale » à la maison, je dois passer environ trois-quatre heures par jour avec eux pendant la semaine et seize heures les fins de semaine (je triche parce que je suis constamment en lendemain de veille de karaoké), pour un total d’environ 1450 heures pour la même période de temps.

Vous me suivez?

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En clair, on s’est offert plus qu’un an de temps de qualité avec nos enfants, compressé en sept mois. À 55 000$ le voyage environ, ça revient à autour de 15$ l’heure. Une aubaine.

Mais au-delà des chiffres, j’espère voir un jour des séquelles de ce précieux cadeau temporel. Entendre mon gars raconter la fois où il a failli recevoir une branche de palmier sur la tête ou mangé sur une feuille de bananier, après une longue balade en pirogue dans les backwaters. Ma fille quand elle nourrissait les singes de notre balcon dans la jungle sri lankaise et les dizaines de fois où on l’arrêtait pour la prendre en photo. J’ose espérer que ce voyage leur aura appris que le monde vaut le détour, qu’il n’est pas dangereux non plus, sauf si vous dansez comme un saltimbanque sur le mush.

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Ça suinte le cliché (rendu là), mais j’ai cette sensation bizarre que le temps a passé à la fois vite et lentement. Je me souviens de ce que j’ai commandé en débarquant de l’avion à l’aéroport de Paris le premier jour, mais on dirait aussi que ça fait 1000 ans.

Quand je regarde notre toute première photo prise à Dorval avant de partir, je réalise aussi que mes enfants ont pris un sérieux coup de vieux.

Mais bon, de peur de me faire tuer par la rédactrice en chef Barbara [NDLR On règlera ça quand tu passeras au bureau], je n’ajouterai pas qu’il me semble que c’est hier QUE JE LES BERÇAIS CES PETITS COCOS LÀ!

Anyway.

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« Le retour fait partie du voyage », m’a écrit récemment une personne sage. J’imagine qu’on me pardonnera donc ces quelques réflexions existentielles sur le passage du temps.

De toute façon, le temps est un concept bien abstrait si je me fie à l’essai Sapiens : Une brève histoire de l’humanité (Yuval Noah Harari), que je me tape présentement. Le livre, qui s’appuie sur des études scientifiques, retrace l’évolution de l’homme, de l’âge de pierre à aujourd’hui. On y apprend notamment que l’Homo sapiens trône au sommet de la chaîne animale pour deux raisons : sa capacité à potiner et à croire en des choses qui n’existent pas. Sans farce c’est excellent, troublant, en plus de nous rappeler brutalement à quel point notre court séjour sur terre est un pet sauce dans le grand ordre des choses.

Morale : t’as aucune raison valable de ne pas t’offrir quelques miettes de cette éternité avec ta famille, ta blonde, ton chum ou tes parents. Le voyage est secondaire, comme la destination, le stress de l’argent (tu es riche de toute façon), la job (il y en aura toujours), la gloire (tout le monde t’oubliera) et le danger (tu peux mourir d’un cancer ou carbonisé dans une violente collision sur l’autoroute 440 ).

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Gagner du temps avant qu’il ne soit trop tard, c’est ça que je te souhaite.

En terminant j’aimerais remercier URBANIA de m’avoir offert cet espace pour raconter nos aventures, Barbara (et parfois Jasmine) de m’avoir courageusement édité et vous, lecteurs, de m’avoir partagé et conseillé un paquet d’affaires tout au long de l’aventure, en plus de vos mots gentils.

J’espère vous retrouver quelque part.

En attendant, j’écris ici le point final, à la veille du dernier vol.

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Ma blonde et mes enfants ne le savent pas encore, mais avant de sortir de l’aéroport, où ma mère nous attendra comme si on était les Beatles aux États en 1964, je vais les prendre à part comme dans un caucus de football.

Juste pour leur dire que je vais m’ennuyer pour le restant de mes jours de ce que nous avons été les sept derniers mois.

+++

Si t’as trouvé le dernier clip de Safia Nolin audacieux, tu vas probablement te retrouver dans ce dernier billet de blogue familial.